L’année passée, les vacanciers français ont privilégié l’Hexagone pour leurs congés — principalement chez des amis ou en location saisonnière. Pour les propriétaires, une manne : pour la Sacem, idem. Un courrier de « mise en conformité juridique » invite en effet à s’acquitter d’un forfait « spécial hébergement touristique ». Il concerne la présence d’une télé, radio ou lecteur CD… et quid des livres ?
Le 19/07/2022 à 17:31 par Nicolas Gary
50 Réactions | 1246 Partages
Publié le :
19/07/2022 à 17:31
50
Commentaires
1246
Partages
Un article du Parisien en aura fait tomber plus d’un de sa chaise : 198,01 € HT de forfait à régler, pour quiconque diffuse « de la musique ou de la télévision dans votre établissement d’hébergement touristique ». Et l’amende dont est passible le contrevenant s’élève à 300.000 € maximum : de quoi inviter à réfléchir.
Et la Sacem, organisme responsable de collecter et répartir les droits d’auteur, de rappeler que la démarche s’inscrit dans la mission qu’attribue le Code de la propriété intellectuelle. « Dès lors que des œuvres protégées sont diffusées — de manière directe ou enregistrée — dans des locaux proposés au commerce comme l’est une location saisonnière, il y a un acte de communication au public soumis à droits d’auteur », indique Jean-Félix Choukroun, directeur du service marketing et relation client de la Sacem à nos confrères.
Le souci législatif dont fait preuve la Sacem n’a pas manqué de rappeler l’étrange débat que la SCELF, Société Civile des Éditeurs de Langue Française, avait alimenté mi-2017. Cette dernière réclamait aux bibliothèques et médiathèques qu’elles versent une rémunération aux éditeurs et auteurs, lors de lectures publiques — quand bien même ces dernières seraient gratuitement proposées.
Il avait fallu une mobilisation collective, depuis Daniel Pennac au ministère de la Culture, en passant par différents organisateurs de manifestations littéraires, pour qu’on enterre l’affaire #ScelfControl.
Sauf que le courrier de la Sacem quant à la perception adressée aux propriétaires de gîtes et autres hôtels, résidence de tourisme ou chambre d’hôtes, relance les questionnements. Car, si une redevance s’applique pour l’audio et la vidéo, qu’en serait-il des livres ? La Scelf reviendrait-elle à la charge dans un nouvel excès de zèle ?
La présence d’une petite bibliothèque, à disposition des vacanciers, aurait-elle des conséquences économiques pour les bailleurs ? Pire : quiconque laisserait un livre pour les prochains voyageurs, sans même en parler aux propriétaires, conduirait-il à un rappel de la loi ?
Stéphanie Le Cam, maître de conférences à l’université Rennes 2, et directrice de la Ligue des auteurs professionnels voit dans l’action de la Sacem une délicate problématique. « Juridiquement, cela soulève une vraie question : il faudrait admettre que la présence de livres dans des locations saisonnières est un acte de communication au public, ce qui pourrait donner lieu à la perception de redevances, mais interrogerait à l’évidence la fonction initiale du droit d’auteur. »
et des livres en trompe-l'oeil ? - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Suivant l’interprétation de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la Sacem applique bien les deux critères reconnus : la communication d’une œuvre et l’existence d’un public. Ainsi, les hôtels avaient perdu leur procédure : la présence d’un service TV, radio ou autre participe bien de l’exploitation commerciale – quand bien même la chambre d’hôtel reste un espace privé.
« Une telle démarche alimente la crise de légitimité que le droit d’auteur vit actuellement », reprend Stéphanie Le Cam. « Certains saisissent de moins en moins cette logique de paiement pour accéder à la culture. Et la démarche de la Sacem n’entreprend aucune forme de pédagogie pour y contribuer. Cela aurait nécessité une réflexion collective avant une pareille injonction. »
Mais alors quid ? Si un bailleur propose des lectures dans la maison de campagne qu’il met en location, un couperet similaire l’attend-il ? Maître Magaly Lhotel, avocate en droit de la propriété intellectuelle le confirme.
« Un arrêt du 2 avril 2020 de la CJUE clarifie la distinction entre la diffusion au public et la simple fourniture d’appareils de réception, cette dernière excluant l’existence d’une mise à disposition d’une œuvre au public », indique l’avocate. Il s’agissait de juger si un service de location de véhicules était assujetti à la perception de droit de la Sacem suédoise… pour la présence d’autoradio dans les voitures.
« En l’occurrence, la Cour établit deux nuances : la première est que toutes les voitures possèdent aujourd’hui un autoradio. Au contraire des hôtels qui introduisent les appareils évoqués sur une décision propre. La seconde porte sur la maîtrise du service : en louant une voiture, j’accède à la radiodiffusion locale, sans intervention du loueur », poursuit Magaly Lhotel.
« Si le service de location de véhicules proposait une playlist préconstituée, la situation ne serait pas la même. »
Cette jurisprudence s’appliquerait-elle aux livres, quand ils sont en libre-service, tant dans des hôtels que des locations saisonnières ? En regard des deux critères traditionnellement retenus — critères de communication et du public —, tout porte à croire que oui.
« Dans un gîte qui proposerait une bibliothèque, nous nous trouvons bien dans un cas “d’intervention additionnelle” et pas la fourniture involontaire — le cas des autoradios » pointe l’avocate. « En l’espèce, des livres sont mis à disposition dans des hôtels ou des locations saisonnières. Cette mise à disposition est volontaire : les hôteliers ont le choix de proposer ou non ce type de prestation. De plus, les livres sont choisis par le prestataire de services, de sorte que celui-ci possède un degré important de maîtrise sur les œuvres communiquées. »
Pour un particulier, cette prestation volontaire serait plus discutable. Et contrairement à ce qu’affirment les représentants de la Sacem, « si leurs agents peuvent pénétrer dans un endroit ouvert au public (comme un lobby d’hôtel par exemple), ils ne peuvent pas pénétrer dans une location saisonnière fermée (de type appartements ou maisons individuelles) de sorte que les contrôles seront difficiles à réaliser », insiste Magaly Lhotel.
Quant à l’existence d’un public, second élément à examiner, il ne laisse que peu de place au doute. « Les clients d’un hôtel ont souvent été qualifiés de public par la jurisprudence », reprend l’avocate. (Voir en droit français : Cour de cassation, première chambre civile, 6 avril 1994, CNN ; en droit européen : CJCE, 3e chambre, 7 décembre 2006, SGAE c./Rafael Hoteles, n ° C -306/05).
De la même manière, le client d’une location saisonnière se verrait volontiers qualifié par le droit de public. « Les clients d’un hôtel, de même que les locataires saisonniers par assimilation, sont alors soumis au champ d’application de la jurisprudence. » Avant de conclure : « Il est donc possible d’étendre la jurisprudence aux livres mis à disposition dans le cadre de leur activité par les prestataires de services aux clients d’un hôtel ou aux locataires saisonniers. »
Mais qui, alors, pour percevoir ces droits, jusqu’à présent inconnus ? Pour Stéphanie Le Cam, un problème se pose : « Si ce service volontaire qu’un bailleur fournit devait être assujetti à une perception, à ce jour, aucun système de gestion collective n’existe pour la gérer. » Sollicitée, la SCELF n’a pas retourné nos demandes de précisions, certainement échaudée par l’affaire de 2017.
Même si la démarche de réclamer des droits lors de lectures en médiathèque frisait l’indécence, « la démarche s’avère fondée en droit, dès lors que l’on admet l’existence d’un acte de communication au public », reprend la direction de la Ligue. « C’est d’ailleurs le cas, dès lors qu’un public intervient — dans un bar, ou tout autre lieu. »
Or, si la Sacem tente de récupérer quelques sous auprès des loueurs de biens saisonniers, le reversement n’ira pas à l’ensemble des artistes. « La Sacem fonctionne suivant un modèle parfois étonnant : celui qui vend le plus gagne le plus dans le cadre de la gestion collective. » Un système à l’opposé du droit de prêt en bibliothèque, où La Sofia intervient afin de répartir les sommes suivant les volumes d’exemplaires achetés.
« On constate donc qu’au sein du domaine de la création, on a le même droit d’auteur, mais pas appliqué de la même manière suivant les arts », soupire Stéphanie Le Cam. Et d’ajouter : « D’ailleurs — et j’insiste, ce n’est pas le cas —, si une gestion collective concernant ces livres mis à disposition dans les hôtels et les locations saisonnières était mise en œuvre, il s’agirait de déterminer qui serait bénéficiaire des redevances ? »
L’auteur cédant ses droits pour toute la durée de la propriété intellectuelle à son éditeur, c’est en toute logique ce dernier qui recevrait les sommes collectées. Il serait alors tenu d’en reverser une partie à l’auteur en fonction des termes du contrat d’édition. « Le titulaire des droits de représentation publique n’est en effet autre que l’éditeur. Voilà qui poserait de nouveau la question d’une rétribution équitable pour l’auteur, partie faible du contrat ! »
Pour la juriste, cette perception s’entendrait, mais ferait fi « de la constante recherche d’un équilibre entre le droit d’auteur et l’accès du public aux œuvres. Avant d’en arriver à de telles extrémités, il serait prudent d’envisager des concertations préalables. Car cela mettrait en péril de nombreuses autres initiatives, comme les bibliothèques de plage », s’inquiète l’enseignante.
Ces guitounes que l’on retrouve sur les bords de mer, et que les bibliothèques et médiathèques des environs alimentent en livres relèveraient en effet de la communication au public…
50 Commentaires
IRIS
21/07/2022 à 09:32
C'est à pleurer !!
Pourquoi comparer notre pays - bien défavorablement- aux autres états européens et envisager de TOUT FAIRE pour tuer la lecture ?
La
CaptainBN
22/07/2022 à 14:58
Excellente idée.
Mais allons donc au bout de la démarche !
Taxons aussi les boites a livres, les bancs publics sur lesquels des livres ont été un jour abandonnés, les prêts de bouquins entre amis, les reventes sur le vide-greniers, les lectures a l'école et les livres trouvés au hasard lors de déménagements ou en vidant la maison de grand mère.
Comme ça plus personne ne partagera plus de bouquins et la lecture disparaitra complètement.
Ray Bradbury n'avait pas pensé à ça.
Je crois que le plus drôle, c'est l'argument de la rémunération des auteurs.
Aux vues des miettes que touchent ceux qui produisent la matière première, on est dans du grand guignol.
Exception Culturelle
22/07/2022 à 15:21
La taxe sur la revente d'occasion, ils y pensent, les manoeuvres ont déjà commencé sur le thème "les auteurs ne touchent rien dessus", seulement les vilaines plate-formes (à cause de leur commission sur le "market place"). Le ministère répond dans ce sens à des questions parlementaires ou sénatoriale
" ... il semble nécessaire de réglementer la vente de livres d'occasion. La majorité de ces ventes se faisant sur les grandes enseignes de vente en ligne, nous pourrions imaginer obtenir de leur part un déclaratif de ces ventes et, à travers un organisme collecteur, obtenir un reversement destiné aux auteurs et aux éditeurs." ...
Je cite ici le JO Sénat du 22/07/2020 - page 7094 , la réponse à la Question orale n° 1164S de M. Frédéric Marchand (Nord - LaREM) publiée dans le JO Sénat du 05/03/2020 - page 1086
pris pour un !!! cela suffit
23/07/2022 à 15:38
et comment ferait un hôtelier qui intégrerait ( une somme dite " pour la lecture et la musique " ) dans la location alors que je n'en veux pas ..? la pognon toujours le pognon pris d'office aux vaches à lait ... tout cela finira mal un jour !!! ( et si l’hôtelier m'interdit l'entrée de mes livres et musiques personnelles ( payés à l'achat ) dans son établissement ... que se passerait il d'après vous ... personnellement je le sais et ferait en sorte de le divulguer autour de moi .