La SCELF, Société Civile des Éditeurs de Langue Française, organisme de gestion collective représentant des éditeurs, s'était lancée dans la mise en place de perceptions au titre des lectures publiques. Elle estimait que les maisons d'édition devaient être rémunérées pour ces événements autour des textes. Après des mois de négociations et devant l'absence d'accord avec les parties concernées, l'organisation jette l'éponge.
C'est dans un communiqué laconique que la SCELF annonce sa décision : « Suite à une réunion de concertation au ministère de la Culture le 12 juin 2018, réunissant les représentants des bibliothèques, des auteurs et des éditeurs, et faute d’accord entre l’ensemble des parties quant au champ de perception de la SCELF au titre des lectures à voix haute, celle-ci a décidé de mettre un terme à la perception de ces droits à un niveau collectif. »
La SCELF précise par ailleurs que « [c]ette exploitation dérivée des œuvres littéraires relèvera donc désormais de la compétence de chaque éditeur, les laissant libres d’appliquer leur propre politique de perception ».
La Société Civile des Éditeurs de Langue Française s'est inquiétée des lectures publiques de textes, en bibliothèques ou en manifestation, à partir du 1er janvier 2016, alors qu'elle récupérait la gestion du droit sur la lecture publique jusque-là tenue par la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques). En octobre de la même année, elle avait fait part de son intention de prélever une taxe sur les lectures publiques.
Face à la levée de boucliers des bibliothécaires, mais aussi des auteurs, la SCELF avait tempéré ses propos, limitant son intervention aux lectures où un droit d'entrée payant était demandé ou dans le cadre desquelles un comédien était rémunéré. Quand bien même, les opposants dénonçaient une taxe inique, qui allait en plus générer un travail administratif bien supérieur aux sommes perçues.
Aux dernières nouvelles, la SCELF avait proposé un protocole que les organisations d'auteurs et l'Association des Bibliothécaires de France avaient amendé. « C'était un peu la surprise de la réunion du 12 juin, nous arrivions avec un accord à signer, et, d'après ce que nous avons cru comprendre, il s'est avéré que c'était trop compliqué pour la SCELF de percevoir ces rémunérations », nous explique Xavier Galaup, président de l'ABF.
Selon le protocole amendé présenté ce jour-là, les lectures publiques en bibliothèques, les lectures par les auteurs, les lectures gratuites en salon et les lectures gratuites animées par des bénévoles étaient exonérées de toute perception pour une durée de 5 ans.
Finalement, ce recul de la SCELF devant l'accord laisse les bibliothécaires dubitatifs : « Nous aurions préféré, malgré tout, un accord, car nous restons là dans une incertitude juridique, même si l'on prend acte de la renonciation à toute perception de la part de la SCELF. Un accord aurait été plus confortable pour tous, même les auteurs. Nous restons ici dans une forme de tolérance qui ne constitue pas une exonération à proprement parler. »
En effet, le choix de la SCELF de laisser les éditeurs libres ne laisse pas à l'abri les professionnels d'une mauvaise surprise, comme un éditeur qui refuserait de laisser lire en public ses textes ou réclamerait une rémunération malgré tout. « Les auteurs sont contre ces procédés, mais ils ont cédé leurs droits aux éditeurs, qui peuvent légitimement réclamer quelque chose. Je doute toutefois qu'ils aillent dans cette direction, et nous le dénoncerions très fermement », indique Xavier Galaup.
De leur côté, les auteurs remarquent que la « décision de la SCELF est surprenante, après tant de temps passé à travailler sur un accord entre les partis », comme l'explique Samantha Bailly, présidente de la La Charte des Auteurs et des Illustrateurs jeunesse. « Il est dommage de ne pas avoir écouté les auteurs plus tôt », ajoute-t-elle. « Ce prélèvement sur les lectures publiques était un non-sens pour les auteurs. Si les auteurs se battent pour vivre de leur métier, ils ne réclamaient pas la perception de ce droit qui pose mille et une questions de périmètre et d'application, et qui venait en plus télescoper la question des lectures faites par les auteurs eux-mêmes. »
Après les déclarations et démarches de la SCELF, dès 2016, « les auteurs ont déjà souffert de lourds préjudices en voyant des interventions ou événements annulés du fait du climat de crainte qui s'est installé chez les bibliothécaires ou associations renonçant tout simplement aux lectures publiques », ajoute Samantha Bailly. « Il ne s’agit aucunement de renoncer au droit exclusif de l’auteur qui s’applique : nous défendons le droit d’auteur sans être pour autant maximalistes. Nous nous réjouissons que soit maintenu le système de tolérance qui a prévalu jusqu’à présent. »
Nathalie Piaskowski, directrice générale de la SCELF, affirme que, dès la réunion du 12 juin, l'absence d'accord signifiait l'abandon des perceptions par la SCELF. « Les demandes des auteurs vis-à-vis des exonérations n'étaient pas compatibles avec la gestion collective », explique la directrice générale. « Pour des raisons de respect de la concurrence, on ne peut pas discriminer des utilisateurs dans le cadre de la gestion collective », précise-t-elle.
« Le périmètre de ce que l’on souhaitait comme exonération semblait trop important pour la SCELF », confirme Geoffroy Pelletier, directeur de la SGDL. De plus, les organisateurs d’auteurs n’imaginaient pas que disparaissent les exceptions « dans un cadre scolaire, périscolaire, pour les lectures bénévoles, même hors bibliothèques ».
La SCELF évoque de son côté des exonérations demandées sur « certains cas de lecture publique à voix haute sur lesquels la SACD percevait auparavant, à l'exception des lectures effectuées par les auteurs eux-mêmes » qui l'ont poussé à refuser le protocole proposé. « La SACD percevait un droit sur les lectures bénévoles », précise Nathalie Piaskowski, « elle avait une tarification basée sur le théâtre amateur ».
Dans les faits, ce sont donc les éditeurs qui géreront individuellement les droits de représentations de leurs auteurs : les utilisateurs devront s'adresser individuellement au service des maisons, pour chaque texte. « Pour chaque lecture, même d'un extrait, une demande est faite à l'éditeur, qui consulte son auteur pour l'autorisation, puis celle-ci remonte à l'utilisateur, ce qui donne lieu à la collecte des droits, parfois assez faibles », résume la directrice générale de la SCELF. Ceci, bien sûr, si l'auteur a cédé ses droits de représentation à l'éditeur. Ensuite, l'éditeur reverse sa part à l'auteur, selon le taux convenu dans le contrat d'édition.
« La gestion collective est une facilité, nous passons finalement à une gestion libre », souligne Nathalie Piaskowski. « La répartition des droits est une étape complexe. Si l'on multiplie les cas d'exonérations, si on rogne sur-le-champ de la perception, les demandes ne permettent plus de maintenir une gestion collective profitable pour tous. »
L'absence d'accord autour des usages en bibliothèque « ne rend pas la situation juridique plus incertaine qu'auparavant », assure Nathalie Piaskowski, qui insiste sur le fait que le droit d'auteur est rappelé et « n'est contesté par personne, car il est écrit dans le code de la propriété intellectuelle ».
Interrogée sur l'opportunité d'introduire une exception au titre de la représentation publique, Nathalie Piaskowski affirme « qu'il n'en est pas question. Il n'y a pas d'exception lorsqu'il y a un concert ou une diffusion de musique dans un lieu public, la SACEM perçoit un droit. Pour moi, quelqu'un qui chante une chanson dans la rue, c'est pareil que quelqu'un qui déclame un texte. Le droit de représentation publique est inscrit dans tous les systèmes de droit d'auteur continentaux, il n'y a pas lieu de le supprimer. »
De la même manière, établir une distinction entre une représentation dans un cadre commercial et dans un cadre non-commercial semble hors de propos à la directrice de la SCELF.
« Nous avons toujours favorisé la concertation, à aucun moment nous n'avons commencé à percevoir », tient à préciser la directrice de la SCELF, « sauf dans le cas des lectures-spectacles, ce que la SACD faisait déjà ». À partir du 1er septembre, la SCELF ne sera plus mandatée par ses membres pour la gestion du droit de représentation publique.
mise à jour 29 juin - 18h :
Les cinq organisations réunies dans ce conflit ont diffusé un message pour saluer le fait que la Scelf mettait un terme à ses perceptions.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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