En mai dernier, les Imaginales célébraient leur vingtième anniversaire… accompagné de nouvelles polémiques, et d’un festival off qui s’est tenu en marge, pour contester l’événement. Pour le directeur de la Culture de la ville d’Épinal, Stéphane Wieser, l’avenir passera par une clarification de l’événement, dans sa démarche autant que son fonctionnement. Pour ce faire, un appel d’offres concernant la direction artistique vient d’être publié.
Le 08/07/2022 à 16:38 par Nicolas Gary
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Publié le :
08/07/2022 à 16:38
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Depuis vingt années que Stéphanie Nicot prenait en charge la DA de la manifestation, jamais le recours à un marché public n’avait eu lieu. Changement, continuité, et surtout professionnalisation : Épinal, dont le maire Patrick Nardin souhaite porter au niveau national le patrimoine lié à l’image, abordera ses Imaginales 2023 d’un nouvel œil.
ActuaLitté : Pourquoi avoir déclenché cette procédure d’appel d’offres ?
Stéphane Wieser : Plusieurs raisons l’expliquent. D’abord, l’édition 2022 s’est achevée sur des tensions, sans que nous ne prenions ouvertement la parole. Cela a conduit à ce qu’on nous prête des intentions ou que des hypothèses voient le jour, souvent infondées. Nous avons entendu — disons, pris connaissance — des multiples rumeurs colportant tout et son contraire. Par exemple, que notre directrice artistique avait des projets qui devenaient incompatibles avec l’événement : je rappelle cependant que la municipalité lui a renouvelé à plusieurs reprises sa confiance tout au long de cette dernière année.
D’autre part, personne ne l’a manqué, le monde du livre est en mutation, les Imaginales aussi. Nous sommes résolument un festival tourné vers la littérature et l’Imaginaire et à ce titre, servons à la filière du livre. Notre rôle doit évoluer pour introduire des échanges avec les univers du cinéma, du jeu vidéo et de l’image, au plus grand profit des auteurs et de l’économie du livre. La politique de la ville se base sur la richesse de l’image populaire, et par là même, narrative. Elle raconte une histoire, dans une logique de texte et d’illustration. Nous voulons renforcer cette vision. (l'appel d'offres est à consulter ici)
Qu’attendez-vous précisément de cette démarche ?
Stéphane Wieser : Le procédé, très administratif, n’a rien d’exceptionnel. Il nous permet toutefois de développer différents points qui étayent notre philosophie, tout en élargissant le périmètre d’action. Nous restons liés à une littérature de genre, mais souhaitons aussique la direction artistique intègre des perspectives littéraires plus diversifiées. Tout en s’ouvrant sur d’autres secteurs, comme je le disais.
Autre chose : nous porterons une attention toute particulière aux jeunes publics et aux lecteurs de demain. L’évolution est là. Les répondants — personne physique ou groupement — seront évalués sur ce point, nouveau pour nous. Nous espérons disposer d’une sélection avant la fin du mois de septembre.
Maintenant, plus concrètement : l’appel d’offres s’intègre dans une professionnalisation de l’ensemble de nos process. Le festival a grandi, à travers trois grandes phases. La première fut celle des entrées payantes, sur les premières années — que la municipalité a souhaité arrêter. La transition s’est bien opérée, aboutissant à une deuxième phase : celle où il fallait obtenir une reconnaissance de nos missions et de notre action.
La troisième, ma modestie dut-elle en souffrir, intervient quand j’ai pris la direction de l’événement. Nous devions préserver la fan base tout en nous ouvrant aux publics familiaux. Autrement dit, étendre la portée des Imaginales pour devenir grand public — sans perdre la dimension spécifique. Nous avons accueilli des historiens, des scientifiques, pour des débats et échanges très pointus. Cela restera, bien sûr. Mais Les Imaginales doivent évoluer pour préparer demain.
En somme, c’est un gage que vous présentez ?
Stéphane Wieser : Plus encore : nous avons des processus à structurer, et l’appel d’offres, par sa dimension administrative, nous donne place dans un cadre contractuel. De la sorte, un pacte se noue entre la ville, les professionnels, les partenaires, les invités et le public.
La mairie porte un grand intérêt à l’événement et à ce titre, nous devons répondre en visant l’irréprochabilité. Les rumeurs passées nous ont interrogés, mis en cause — nous avons été accusés de fascisme, et d’autres termes tout aussi violents que blessants. À cela, nous répondrons par la transparence : le prochain projet sera inclusif de toutes et tous, au-delà des idées et opinions. Par exemple, le roman d’Hervé Le Tellier, L’anomalie, aurait toute sa place chez nous : ce n’était pas le cas, et nous y remédierons.
Les Imaginales ont également été pointées lorsqu’un éditeur d’imaginaire a été accusé de comportements déplacés. Quel impact cela a-t-il eu ?
Stéphane Wieser : Oui, la fameuse Affaire Marsan [NdR : à ce jour, aucune des accusations portées dans la presse n’a été, à notre connaissance, suivie de plaintes en justice. L’éditeur n’a donc pas été condamné]. Évidemment, cela a pesé : en tant que festival, nous reflétons aussi une société qui évolue. Le CNL a mis en place une Charte de bonne conduite, à laquelle nous souscrivons pleinement. Et bien entendu, nous avons, comme organisateurs d’événement, le devoir de garantir à toutes et tous une intégrité physique et morale.
Le risque serait en revanche de se faire entraîner dans une action purement politique. Bien entendu, je condamne, au nom du festival, tout comportement déplacé. Et à ce titre, je trouve que la Charte du CNL revêt un caractère nécessaire, pour apporter des garanties à chacun. Les Imaginales offrent un espace consacré à la lecture, où les convictions et les opinions sont ouvertes : cela ne peut s’effectuer que dans le respect mutuel.
D’ailleurs, d’autres évolutions — comme la parité des jurys de nos prix — seront à l’œuvre. La richesse tient dans la diversité, personne ne le contesterait.
Économiquement, comment le festival fonctionne-t-il ?
Stéphane Wieser : On sait que 2022 est déjà une année complexe, avec l’inflation en cours. 2023 sera plus difficile encore. Notre budget de fonctionnement est de 430.000 €, auxquels il faudrait ajouter les coûts cachés — les salaires pris en charge par la ville pour les équipes, l’installation, etc. Par le passé, notre financement était déséquilibré, il faut l’admettre. Le niveau de subvention était faible et les investissements privés inexistants.
Depuis, nous avons régulé les flux. La Sofia, le CNL, la Drac, la Région, et le département, dans une moindre mesure, apportent des sources de financement par les subventions, qui représentent un tiers du montant global de nos recettes. Ensuite, le mécénat intervient pour un tiers lui aussi : c’est grâce à lui que nous avons pu opérer la rémunération des auteurs sans mettre l’événement en péril. Mais il fallait que les montants évoluent — raison pour laquelle nous avons pris deux années pour nous mettre en conformité. Enfin, il y a les recettes propres : la boutique, la buvette et les partenariats avec les éditeurs. Puis, vient la ville qui apporte 115.000 € de financement direct.
Effectivement, pour les festivals, 2023 sera complexe, mais cela nous pousse à chercher de nouvelles ressources.
Comment, dans ce contexte, prolonger les actions au fil de l’année ?
Stéphane Wieser : Nous avons déjà mis en œuvre des projets tournés vers les auteurs. Une formation juridique a été proposée, de même que d’autres actions pour les professionnels. Ainsi, nous aménageons des temps de rencontres entre auteurs et producteurs — cette année, les organiser durant la manifestation n’aurait pas eu de sens : le Festival de Cannes se déroulait en même temps. Mais ce n’est qu’un rendez-vous reporté.
Épinal entend travailler à des rencontres sur le long terme. Pour cela, les actions ont besoin de cohérence et de lien avec l’esprit de la manifestation. D’ailleurs, nous travaillons déjà sur des projets d’Éducation artistique et culturelle. Les prix des lecteurs, qui impliquent les élèves depuis l’école jusqu’au lycée, fonctionnent durant toute l’année. Ce sont des rencontres avec les auteurs, pour favoriser la découverte des littératures de l’Imaginaire en établissements scolaires.
De même, avec le prix des bibliothécaires, nous avons mis en place une solution technique pour proposer un service de presse numérique dans une application de lecture. Ces deux volets, il nous faut les renforcer à l’avenir, pour que la manifestation puisse s’étendre plus largement, au-delà du point d’orgue que sont les journées mêmes de l’événement.
crédits photo : Imaginales
5 Commentaires
Locke
09/07/2022 à 14:14
Faire un festival plus inclusif et citer en exemple Hervé Le Tellier, un auteur blanc de plus de 50 ans... sans avoir rien contre l'auteur, j'ai connu de meilleurs exemples d'inclusivité.
Quant au couplet larmoyant sur la JUSTE rémunération des auteurs, on rappellera que les Imaginales ne se sont mis en conformité qu'en 2019 d'une règle édictée en... 2015. Il s'agit d'une contrepartie obligatoire au fait de recevoir des subventions de la Sofia et du Centre National du Livre, rémunérer les auteurs en intervention selon un barème établi.
Donc le coup du "olala ça nous est tombé dessus on a été OBLIGÉS de se tourner vers le mécénat pour survivre", juste : non.
Renoncer à un magic mirror ou retirer 20% des tables rondes pour payer 150 euros brut les auteurs intervenant, ce n'est pas mettre en danger le festival.
Bref, un bel entretien empli de langue de bois qui réussit l'exploit de ne même pas citer le nom de Stéphanie Nicot. Du grand art.
Mb
09/07/2022 à 16:07
Second paragraphe, on la cite, même si c'est trop peu.
Locke
10/07/2022 à 14:52
Non, c'est le journaliste qui la cite dans l'introduction. Wieser ne cite pas son nom une seule fois dans l'entretien.
alephaleph
09/07/2022 à 14:35
Bonjour. Merci pour cet article. Cependant, la manchette indique : "un appel d’offres concernant la direction artistique vient d’être publié." Or, quand on regarde l'appel d'offre via le lien que vous mettez, il concerne "la Direction littéraire du Festival des Imaginales" qui est indiqué. Direction artistique et direction littéraire ne recouvrent pas la même chose. La direction littéraire a un un champ d'action plus réduit par rapport à une direction artistique, plus globale.
Dave Feng
20/07/2022 à 10:03
Il me semble que l'entretien ci-dessous donne la deuxième partie de l'histoire :
https://www.actusf.com/detail-d-un-article/imaginales-st%C3%A9phanie-nicot-revient-sur-son-%C3%A9viction