Sept années de procédure, qui viennent de trouver une première conclusion — très temporaire — entre la société Electre et les sociétés Furet du Nord/Decitre, devenues groupe Nosoli. Plus spécifiquement était visé Decitre Interactive, la branche numérique de l’entreprise et sa base de données, ORB. Dans une décision du tribunal correctionnel de Lyon, a été reconnu un usage frauduleux des services d’Electre par Decitre Interactive.
Le 18/05/2022 à 17:53 par Nicolas Gary
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18/05/2022 à 17:53
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Tout débute par une activité considérée comme anormale sur la base de données Electre (Le Cercle de la librairie), qui entraîna en mars 2015 un dépôt de plainte contre X. Les accès frauduleux, constatés entre 2014 et 2015, auront conduit à une perquisition en septembre 2015, dans les bureaux de Decitre, à Lyon. À cette époque, Guillaume Decitre est encore à la manœuvre des librairies et de la filiale numérique, Decitre Interactive.
Laquelle développait justement une base de données propre, ORB, pour Outil de Recherche Bibliographique, évidemment concurrente des solutions commerciales d’Electre. « La plainte intervient au moment où nous développons notre propre base et que nous brisons le monopole d’Electre... », assurait Guillaume Decitre au Parisien.
Le plaignant, dès les premières heures de l’affaire, pointait la gravité extrême des actions identifiées — un vol de données — susceptible de représenter un réel préjudice économique. Après vérification par un expert, les garanties de sécurité et de protection du système d’Electre furent validées : il y avait donc bien matière à une plainte, pour lutter contre un acte de piratage.
Car pour accéder aux données d’Electre, il faut souscrire à un abonnement, souvent qualifié d’onéreux : sans ce sésame, pas de données.
Guillaume Decitre
Entre-temps, les librairies Decitre basculent et deviennent propriété de Furet du Nord, en janvier 2019. Dans le paquet, se retrouve également la SSII Decitre Interactive, structure désormais spécialisée dans les métadonnées et le cybercommerce. Et résolument concurrente d’Electre.
L’ancien directeur général de la société, Philippe Beauvillard, le confirmait dès 2016 : « Ce n’est pas la première fois que nous sommes piratés et que nous découvrons nos résumés de livres sur des sites qui ne les ont pas achetés. Mais ici les faits sont d’une autre nature. Cette fois, on est face à une usurpation avérée et qui pourrait être l’œuvre d’un concurrent direct. C’est extrêmement choquant. »
Mais de quoi parle-t-on ? Libraires et bibliothécaires ont recours à des bases de données contenant les informations liées aux ouvrages qu’ils commercialisent ou prêtent : les métadonnées. Elles contiennent titre, nom de l’auteur, de l’éditeur, prix, couverture, résumé, ISBN, etc. : toute l’artillerie nécessaire à distinguer un livre d’un autre.
Des éléments fondamentaux, notamment pour la vente en ligne, et qui étaient jusqu’à lors l’apanage d’Electre, avant l’arrivée d’ORB.
Voici donc que le tribunal correctionnel de Lyon est saisi d’une plainte, jugée ce 14 mai par une condamnation de la société Decitre Interactive à 10.000 € d’amende.
« Le tribunal a considéré que le délit était constitué, chose que nous avons précisément contestée », indique Me Nicolas Bes, avocat de Decitre, à ActuaLitté. « Cela sans pour autant indiquer que la direction était au courant. » De fait, poursuit le conseil, tout part de ce qu’une ancienne salariée de Decitre, voilà 7 ou 8 ans, aurait eu recours aux fameux codes Electre, hérités d’une précédente activité professionnelle.
« Il y a eu une négligence de sa part, mais Guillaume Decitre n’a jamais été au courant. Or, il existe un principe juridique nommé imputabilité. Pour être reconnu coupable, il faut être soi-même l’auteur de l’infraction », reprend l’avocat.
Ayant interjeté appel de la décision, Decitre entend désormais montrer à la Cour d’appel que toute la procédure découle avant tout d’un enjeu commercial. « Decitre Interactive est devenu le concurrent qui attaque le monopole de fait dont disposait Electre. Nous sommes ici devant un cas d’instrumentalisation de la justice pénale, où le plaignant se sert de la procédure afin d’hyper-communiquer, et nuire de la sorte à l’image de l’entreprise. C’est cousu de fil blanc. »
L’appel étant suspensif, l’affaire sera reprise d’ici 12 à 24 mois. Me Bes souligne par ailleurs que les 10.000 € d’amende infligés « démontrent que la “gravité extrême” que dénonçait Electre n’est probablement pas aussi sérieuse que cela ».
Une forme de contradiction entre le préjudice subi et la taille du dossier constitué. « Decitre Interactive disposait d’ailleurs d’un abonnement Electre : accuser un concurrent d’avoir, par souci d’économiser quelques milliers d’euros, tenté de frauder, est risible. Guillaume Decitre pas plus qu’aucun autre dirigeant n’ont été poursuivis à titre personnel — et personne n’avait cure de pirater la base de données », conclut l’avocat.
Reste que la condamnation au pénal, si elle devait être confirmée, ouvrirait la voie à une autre procédure, plus délicate. En effet, dans une action au civil, Electre prétend être en mesure de réclamer 1 à 2 millions € de dommages-intérêts.
Là encore, ces déclarations agacent l’avocat de Decitre : « Dès les premiers éléments posés, nous avons tenté de nous rapprocher d’eux, pour trouver une solution. La matérialité des faits n’a pas été niée, mais nous avons compris que la procédure leur servait à communiquer négativement sur Decitre. Cette somme avancée putative le prouve à nouveau. Ces dommages-intérêts sont disproportionnés, posés avec emphase et arrogance. » Un trait de caractère qui se serait retrouvé durant l’audience, lorsqu’Electre va jusqu’à solliciter la destruction de la BDD de Decitre.
Me Richard Willemant, avocat du plaignant partie civile, évoque pour sa part les cinq chefs d’incriminations retenus — quatre découlant d’infractions classiques dans le cas d’intrusions informatiques, avec extractions de données et exploitation. Le cinquième, en revanche, touche à la Propriété intellectuelle, « et présente un apport jurisprudentiel, car peu de décisions pénales sont rendue sur ce fondement ». Autrement dit, l’atteinte aux droits sui generis du producteur de base de données, qui s’apparente à la contrefaçon.
« En puisant dans la base de données de mon client, Decitre Interactive aurait économisé, d’après les estimations de l’expert, au moins 12 millions €. Autrement dit, le temps nécessaire pour accomplir le travail de collecte des informations, leur traitement et la maintenance de la base de données », indique l’avocat. De quoi estimer le préjudice entre 1 et 2 millions € pour Electre.
« Mon client enrichit sa base de 75.000 notices de livres — des nouveautés notamment — chaque année. Or, il est possible d’estimer que plus de 130 000 pages de la base Electre ont été consultées par Decitre Interactive pour en extraire frauduleusement le contenu, chaque année, entre 2011 et 2015. » Pour autant, l’utilisation frauduleuse n’aura été détectée qu’entre 2014 et 2015.
« La direction informatique a observé des usages volumétriquement supérieurs aux utilisations classiques des comptes dont disposent les bibliothèques d’ordinaire », précise Me. Willemant. Car le fameux compte utilisé serait celui d’une ancienne employée d’établissement de prêt. « Il aurait été possible de couper les accès, par des contre-mesures techniques, mais en ce cas, mon client n’aurait pu disposer des éléments ouvrant la possibilité d’une action juridique. » Arrêter l’hémorragie aurait donc impliqué d’obérer toute riposte.
D’autant qu’il fallait disposer des ressources d’enquêtes — qui sont même passées par la Belgique, pour identifier l’adresse IP de serveurs hébergés outre-Quiévrain, pour le compte de Decitre. « Pénalement, la responsabilité de la bibliothèque ne pouvait être engagée. Contractuellement, c’était envisageable. Toutefois, Electre l’a exclu, considérant que la bibliothèque était elle-même victime de cet usage frauduleux. »
La plaignante n’avale pas l’objection formulée par un dirigeant qui aurait ignoré les faits. « Une douzaine de personnes de l’entreprise a reconnu les faits contre M. Guillaume Decitre. Les actions ont été engagées sciemment : à l’effet d’opportunité des premiers temps a succédé un opportunisme dont l’entreprise a continué à profiter en toute connaissance de cause et des risques. »
ORB se présentant comme un acteur disruptif aurait ici trouvé l’occasion de gagner du temps, au détriment de son concurrent, estime le plaignant. « Quant à cette notion d’imputabilité, qui dégagerait le chef d’entreprise de sa responsabilité, elle ne tient pas. L’enquête a montré que des responsables ont commis les infractions pour le compte de la personne morale » Responsable, pas coupable, « cet argument ne tient pas : des fautes ont été commises sciemment au vu et au su de la direction générale et donc pour le compte de la personne morale, l’entreprise ».
Decitre Interactive aurait volontairement agi pour récolter le fruit du travail d’Electre ? À ce titre, Me Willemant confirme avoir évoqué la possibilité que soit détruite la base de données. « Prenons le cas d’un produit de luxe contrefaisant : la justice décide d’une sanction économique, sous la forme d’une amende ou de dommages et intérets, certes. Elle peut aussi demander que les copies illicites, qui n’ont pas le droit d’exister et contreviennent au droit de la propriété intellectuelle, soient détruites ou retirées des circuits commerciaux. »
Il en irait de même dans le cas présent — mais une telle sanction, sous forme de peine complémentaire, n’a pas été retenue par le tribunal, seul maître à bord.
« Il reste choquant qu’une société — qui à l’audience, a reconnu la matérialité des faits, se scandalise de cette possibilité. C’est en totale contradiction avec le fait d’admettre l’infraction et donc le pillage de la base Electre. » L’affaire a été renvoyée, sur les intérêts civils, à l’audience du 25 novembre 2022. Le Tribunal devra alors étudier le second volet de l’affaire relatif à la fixation des dommages et intérêts qui devront être versés par Decitre Interactive, mais le juge sera certainement contraint de la renvoyer, du fait de l’appel.
« Electre n’a aucun problème avec la concurrence, dès lors qu’elle est loyale. Face à un comportement pénalement répréhensible, franchissant sans contestation possible la ligne de la loyauté commerciale, seule la justice peut intervenir. Nul ne rentre sur un marché en puisant par un comportement parasitaire les ressources nécessaires à son développement. D’ailleurs, d’autres bases de données existent, et Electre n’a jamais été en conflit avec elles », conclut Me Willemant.
Le groupe Nosoli, réunissant Decitre, Decitre Interactive et Furet du Nord, rappelle que les faits datent d’avant le rachat du groupe Decitre en janvier 2019.
crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
rez
20/05/2022 à 15:13
embaucher assez mal des catalogueurs pour reprendre des données produites par les éditeurs (et la BnF) et les mettre en ligne (avec pas mal d'erreurs) pour les vendre (cher) a tout le monde y compris des établissements publics est assez dégueu quand même.
si on avait tous un sens de l'éthique plus développé on aura depuis longtemps soutenu le Moccam en ligne (équivalent gratuit) pour qu'il soit finalement de qualité égale à electre et ces sous-humains auraient été forcés a chercher un vrai travail comme tout le monde.