Les bibliothèques et les librairies italiennes ont su s’adapter à la pandémie, en multipliant les initiatives de livraison à domicile, selon un esprit d'association salutaire. Des initiatives solidaires ont fleuri, toujours avec la perspective de préserver le tissu de lecteurs dans le pays : panorama synthétique des projets et des stratégies les plus efficaces.
Le 29/03/2021 à 12:16 par Federica Malinverno
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29/03/2021 à 12:16
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Depuis le printemps dernier — au début du confinement — nombre d’initiatives ont été mises en place pour rendre les livres proches des lecteurs. Elles ont été organisées par des bibliothèques, des librairies ou encore des associations.
Un exemple intéressant est celui des associations Nonna Roma et Trionfalmente XVII qui ont pu prendre possession des livres « suspendus » achetés par les citoyens dans les quinze librairies indépendantes qui ont participé au projet. Un livre suspendu est un livre acheté par un citoyen pour un autre citoyen qui n’en a pas les moyens. Dans une déclaration, la présidente de la municipalité de Rome I Centro, Sabrina Alfonsi, rappelle que « les livres nourrissent l’esprit et l’âme, ils offrent des perspectives d’avenir et des horizons inattendus ».
Une initiative qui est née lors du premier confinement dans le but de donner une nourriture matérielle et spirituelle à des familles en difficulté et à d’autres structures spécifiques telles que des écoles.
D’autres initiatives ont concerné les réseaux de bibliothèques dans toute la péninsule. Ils ont été très actifs en particulier dans l’organisation de différents types de services à domicile.
Un cas intéressant est Autobooks, la bibliothèque mobile du département de la culture de Catane, en Sicile, qui contribuera aussi à la création d’une maison-bibliothèque de quartier, un lieu de rencontres et de promotion de la lecture.
Une autre initiative destinée aux usagers des bibliothèques municipales a été lancée dans toute la commune d’Aoste : il s’agit du projet Livre-ison, selon lequel une série de volontaires seront formés pour apporter des livres à ceux qui ne peuvent pas se déplacer. « Il est nécessaire de donner un signal d’espoir, de culture, de contact — a expliqué le conseiller municipal pour la culture, Samuele Tedesco, à l’agence de presse Ansa — ainsi que de valoriser le réseau des bibliothèques d’Aoste qui est un service essentiel en tant que propagateur de la connaissance. »
Le service de livraison et de retour des livres prévoit l’utilisation de sacs en plastique et d’autres dispositifs pour contrer la propagation du virus Covid-19.
La pandémie a donc été l’occasion pour les bibliothèques d’expérimenter de nouvelles pratiques pour atteindre les lecteurs. Un cas intéressant est celui du système de bibliothèques de Milan, dont Stefano Parise est le responsable. Toutes les initiatives font partie d’un projet préexistant que Parise présente à Il Giornale della libreria. Avec la définition « Milan, ville de la lecture généralisée (lettura diffusa) ». L’objectif ? « Faire en sorte que le livre et la lecture fassent partie de la vie quotidienne des citoyens de Milan. »
Parmi les initiatives, Biblio Express a été lancé fin novembre 2020 : il s’agissait initialement d’un système de livraison à domicile par les employés municipaux. Lors de la réouverture des bibliothèques, le service a été consacré aux catégories les plus fragiles, en particulier les personnes âgées ou malades et donc dans l’impossibilité de se déplacer.
Des accords ont ensuite été conclus avec des librairies et des marchands de journaux, afin de « couvrir plus largement le tissu urbain de la ville ». En particulier un accord a été établi avec LIM (Librerie indipendenti Milano – Librairies indépendantes de Milan) et SNAG (Sindacato nazionale autonomo giornalai – Syndicat national indépendant des commerçants de journaux) « qui permet, à partir du 7 décembre 2020, de choisir comme points de retrait des livres réservés — en plus des 26 bibliothèques de notre réseau — certaines librairies du circuit LIM et les 36 marchands de journaux associés à SNAG », précise Parise.
Il s’agit d’un système très utile pour interconnecter différents types de structures dédiées au monde du livre, en créant des « réseaux de voisinage où plusieurs organisations s’entraident pour faire circuler les livres : qu’il s’agisse de librairies, de kiosques à journaux, de bibliothèques de copropriété, de bibliothèques civiques ou d’autres associations ».
Un autre atout dans la manche des bibliothèques pour atteindre les lecteurs pendant la période de pandémie a été le numérique : alors que le prêt de livres papier a chuté, la consultation de documents numériques a explosé. Par exemple, « le réseau milanais des bibliothèques sur MLOL [plateforme de prêt numérique née en Italie en 2009 à laquelle environ 7000 bibliothèques adhèrent] a totalisé 2,626 millions de consultations et téléchargements, 606.000 consultations de livres audio, 100.000 téléchargements de livres électroniques et 1,895 million d'accès à notre kiosque à journaux numérique. Un an plus tôt, le nombre total de consultations et de téléchargements numériques s’élevait à 1,07 million », affirme Parise.
La consultation des ressources numériques a donc beaucoup augmenté. Il convient également de rappeler que la croissance moyenne au cours de l’année 2020 a été supérieure à 100 % par rapport à l’année précédente, avec des pics de 250 % dans la période du premier confinement (les données se réfèrent encore à la plateforme MLOL).
Toujours côté numérique, à Rome a été récemment lancé un projet de bibliothèque urbaine virtuelle (e-Lov). À Milan, il y a également eu l’initiative Milano da leggere, qui en 2016, pour la première fois, a mis à disposition dans les mezzanines des gares et autres lieux de passage des tablettes virtuelles à partir desquelles il était possible de télécharger gratuitement certains ebooks. Comme le rappelle Parise, « l’année dernière, les titres téléchargés étaient de 143.900 » et, en 2019, ils étaient de 96.548.
Parise confirme ensuite l’importance de la croissance du numérique et de son intégration à la fonction de lieu d’accueil physique que la bibliothèque a toujours eu : « Je ne crois pas que la consommation numérique supplantera un jour le livre papier, mais la pandémie a clairement montré que, même pour la bibliothèque, le numérique est un atout indispensable, aussi stratégique que le livre imprimé. Les deux canaux coexistent dans une offre complète et de plus en plus intégrée, ce qui constitue un changement culturel important pour l’infrastructure des bibliothèques. »
Enfin, l’une des priorités sera l’alphabétisation numérique, à laquelle les bibliothèques devront contribuer : une arme fondamentale contre l’exclusion sociale.
Le premier confinement a été aussi l’occasion de la naissance de structures pour permettre la distribution de livres aux citoyens à une époque où il était impossible de se rendre en librairie de manière indépendante.
L’un d’entre eux était le projet LibridaAsporto, dont l’objectif était d’aider les librairies à atteindre leurs lecteurs grâce au service de livraison à domicile, en s’adressant exclusivement aux librairies indépendantes qui ne disposaient pas d’une plateforme de vente en ligne.
Une autre structure qui a été créée est Bookdealer, une plateforme de commerce en ligne réservée aux libraires indépendants.
Et, du point de vue de ces plateformes, il y a du nouveau. LibridaAsporto a rejoint le 9 mars 2021 GoodBook.it, l’une des plus importantes plateformes sociales dédiées au monde du livre, un portail de librairies indépendantes italiennes actif depuis 2012 pour commander des livres en ligne et les retirer dans l’une des librairies participantes réparties dans tout le pays.
La nouveauté est que si le lecteur n’a pas de librairie du circuit Goodbook.it près de chez lui, il peut toujours choisir de soutenir une librairie indépendante en demandant la livraison à domicile par le libraire.
« Il est temps de faire un pas en avant, d’ajouter une pièce, de conduire les lecteurs éloignés vers des librairies lointaines, de les conduire vers un endroit où ils peuvent comparer, choisir, décider, acheter leur prochaine lecture dans la librairie la plus proche d’eux », peut-on lire dans le communiqué de presse de l’initiative.
L'idée fondatrice est présentée comme telle : « Le lecteur a besoin de son libraire, ou d’un libraire attentif. Il a besoin de sa librairie et de la place autour de sa librairie, des lecteurs qui fréquentent cette librairie. » L’accent est donc clairement mis sur « la relation entre la librairie et l’espace social », ce qui constitue le point fort de beaucoup de librairies de quartier…
La renaissance des librairies indépendantes pourrait être considérée comme une conséquence positive de la pandémie. La librairie, en plus d’être le commerce vendant des livres, constitue en effet un moyen de faire communauté, un lieu de culture et de sociabilité, et c’est ce qui pourrait expliquer la fréquentation accrue des librairies par les lecteurs pendant le confinement.
La librairie de quartier, en effet, est sortie des mois de fermetures moins meurtrie que les chaînes de librairies (données de l’Association italienne des éditeurs), qui ont parfois dû s’adapter au nouvel équilibre. La Feltrinelli de la Piazza Piemonte à Milan, par exemple, a inclus différents services (vente de fleurs et de plantes, mais aussi de jeux vidéo) en réponse à la pandémie.
Une partie de la réussite des petits libraires peut être due à la suspension dans les mois de la fermeture du service de livraison de livres par Amazon, axé sur les produits de première nécessité. Mais ce n’est pas tout : une contribution importante à la renaissance des librairies de quartier a été la loi italienne sur les rabais, votée à la mi-février 2020 : l’article 8 fixe les limites des rabais possibles à 5 % du prix de couverture, limitant ainsi la portée d’Amazon et relançant l’offre des librairies physiques.
À Linkiesta, des libraires de Milan (où l’on compte plus de 30 librairies indépendantes – il y en a 33 associées) ont exprimé leur opinion sur la situation des librairies de quartier. Luca Allodi, propriétaire de la Libreria del Tempo Ritrovato, réaffirme la spécificité de sa librairie et se montre confiant quant à la force des librairies indépendantes : « L'espoir est que les clients soient davantage sensibilisés au choix des librairies. Nous garantissons la bibliodiversité. Notre catalogue est 100 % indépendant (…). Bien entendu, nous commandons également des livres aux grands éditeurs pour les clients qui en font la demande. »
Guido Duiella, propriétaire de la Libreria Popolare de Via Tadino, confirme que l’année dernière, les gens ont redécouvert « les quelques librairies au sens strict du terme, celles qui ont été décimées ces dernières années ». Toutefois, il rappelle que « la vente de livres imprimés a diminué de 0,8 %. Le chiffre d’affaires s’est maintenu parce que les prix ont augmenté. »
Un obstacle à l’expansion des librairies et à la vente de livres pourrait en effet être la disponibilité financière du lectorat, après une période de restrictions et sacrifices comme celle que nous traversons. Il n’en reste pas moins que « les librairies sont redevenues un point de rencontre, un lieu de relations », comme le souligne encore Guido Duiella.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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