En juin 2020, coup de tonnerre : le groupe Margot réunissant L’Iconoclaste, Les Arènes et Rue Jacob Diffusion annonçait que sa distribution serait confiée à Editis. Au détriment de Hachette Livre, qui avait d’ailleurs investi au lancement de ces structures. Sophie de Sivry et Laurent Beccaria, directeurs respectifs des structures se réjouissaient d’un accord « respectueux de notre indépendance ». Pour autant, la maison d’Arnaud Nourry n’a pas aussi souplement vécu cette transition.
Le 17/03/2021 à 18:47 par Nicolas Gary
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17/03/2021 à 18:47
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Selon Libération, qui dévoile la procédure, Hachette Livre a assigné en justice Editis, estimant qu’il y a dans cet accord quelque chose de non conforme. Et c’est en septembre 2020 que le tribunal de Commerce de Paris fut saisi de l’affaire pour examiner les tractations réalisées. En somme, Hachette Livre demande que l’opération par laquelle Editis a obtenu 49 % des deux maisons soit annulée. Et que lui soit reversé un montant de 4,4 millions € au titre de réparation.
« Depuis qu’elle est aux commandes, Michèle Benbunan a fait ce qu’elle maîtrise le mieux, après vingt années d’expérience : accroître la puissance de la distribution. Et ce, avec l’impératif de réagir au départ du Seuil/La Martinière, qui doit retrouver son nouveau groupe, Média Participations », indique un observateur.
L’arrivée de sociétés comme L’Iconoclaste, Les Arènes, ou encore Trédaniel, allaient permettre de pallier le vide — avec quelque 60 millions € de chiffre d’affaires, selon les estimations. « Il y en aura d’autres, sans doute, car elle sait mieux que personne adapter la machine logistique aux éditeurs. Elle est logisticienne, c’est-à-dire qu’elle trouve des solutions simples et agiles à des questions complexes », précise cette même source.
Du côté de Hachette Livre et des Arènes, un accord menant à une petite prise de participation avait été conclu en 2014, quand Laurent Beccaria décidait de monter son équipe de diffusion. Autrement dit, c’est dans Rue Jacob Diffusion que Hachette Livre plaçait quelques billes. Or, Interforum, dans le cadre de cette nouvelle orientation, n’allait pas remplacer Hachette au capital de Rue Jacob. À l’époque, Laurent Beccaria nous indiquait ne pas avoir besoin d’argent frais pour ce faire, et disposer d’une équipe « rodée et performante ».
Autrement dit, avec Interforum, était reproduit un schéma identique, sinon proche de celui mis en place avec Hachette Livre. Rue Jacob prend en charge 75 % du CA et Interforum allait s’occuper des hypers, du second niveau et de l’export.
« Ce qui nous a intéressé dans la proposition d’Editis c’est de retrouver la même indépendance de diffusion qu’avec Hachette ainsi que des leviers pour développer nos projets de communication et de marketing numérique, et ils ont des atouts-maîtres dans la manche pour ça », assurait le directeur des Arènes.
Selon Libération, c’est à la création de la structure Groupe Margot que les choses auraient pris une autre tournure. Cette société disposait des deux maisons, avec 25 et 9 millions € de chiffre d’affaires, ainsi que 3 millions € pour Rue Jacob. Editis s’était alors ajouté en prenant une participation de 3 % de Margot, pour un montant de 1 million €.
Et par la suite, c’est 49 % de Groupe Margot qu’Editis finit par détenir. Enfin, au mois de juin, l’annonce d’un partenariat de long cours est officialisé entre Margot et Editis. Un coup dur pour Hachette Livre et son PDG, Arnaud Nourry, un de plus après la nomination de Michèle Benbunan à la tête d’Editis.
« Elle connaît tous les secrets d’Hachette France jusqu’au plus petit accord. C’est une sorte de duel fratricide entre deux dirigeants qui se connaissent par cœur », note un éditeur. « Elle fut un important rouage du développement en France, avec la distribution confiée de Milan et Bayard, ou encore l’accord Delsol avec Delcourt, aussi bien qu’Odile Jacob, Bragelonne ou… les Arènes et l’Iconoclaste. »
Mais c’est tout le montage par lequel Editis entre chez Margot qui est contesté : Hachette Livre, contacté par ActuaLitté, n’a pas encore répondu à nos demandes. Pourtant, le groupe filiale de Lagardère estimait avoir « des droits de préemption » sur Margot. Et à ce titre, mérite 4,4 millions € « en réparation de la dénonciation irrégulière du contrat de diffusion et de distribution et de l’atteinte à son préjudice d’image ».
On en retrouve en effet la trace dans le rapport financier de Vivendi.
Le 13 mai 2020, Editis Holding a acquis une participation minoritaire de 49 % dans le groupe Margot, composé des maisons d’édition L’Iconoclaste et Les Arènes et de leur filiale de diffusion Rue Jacob Diffusion. Préalablement à cette prise de participation, le groupe avait fait l’objet d’opérations de réorganisation conduisant à simplifier son organigramme avec notamment la création d’une société holding.
Depuis 2014, la diffusion et la distribution du groupe Margot étaient assurées par Hachette, et des droits de préemption portant sur certaines cessions de contrôle des sociétés du groupe Margot avaient été accordés à Hachette. À la suite de la prise de participation par Editis, le groupe Margot a résilié le contrat de diffusion et de distribution le liant à Hachette afin de confier la distribution à Interforum à partir du 1er janvier 2021. En septembre 2020, Hachette a assigné solidairement les cédants et Editis devant le Tribunal de commerce de Paris, réclamant
(i) l’annulation des opérations de réorganisation ayant concouru à la prise de participation d’Editis dans groupe Margot, et
(ii) le paiement de 4,4 millions d’euros en réparation de la dénonciation irrégulière du contrat de diffusion et de distribution et de l’atteinte à son préjudice d’image causé par la façon dont le groupe a communiqué sur cette résiliation.
En prenant la place d’Hachette, Editis aurait donc nui aux intérêts économiques de son rival. Sollicitée, la filiale de Vivendi indique ne pas faire de commentaire sur les procédures judiciaires en cours.
Pourtant, les connaisseurs de la chaîne du livre remarquent qu’au fil du temps, le procédé a toujours été identique : Gallimard avait été partenaire de Rollin publications (société éditrice des revues XXI, 6Mois et Ebdo et qui employait 63 salariés), Hachette le fut de Rue Jacob et Editis prend une nouvelle place. Une importante place, note-t-on.
Et côté Arènes, on aspirait dès juillet 2020 à développer des projets hors livres, audios, vidéos, podcasts ou encore séries, avec le nouveau partenaire.
Dans le même temps, L’Express évoque dans un papier « le combat » du PDG de Hachette Livre pour préserver le groupe. Et d’évoquer la feuille de route de ces cinq prochaines années, détaillant des projets d’acquisitions visant avant tout à la diversification. « La stratégie est de réaliser des acquisitions complémentaires, d’accueillir des marques et des talents différents, des jeux de société et des jeux sur mobile, pour être plus attractif, rayonner davantage », note le PDG de Hachette Livre.
Alors que le groupe Lagardère, piloté par Arnaud Lagardère, et celui d’Editis, sous le patronage de Vivendi et Vincent Bolloré, s’observent méthodiquement depuis des mois, l’avenir de l’un passerait par l’appétit de l’autre. Avec la perspective d’un découpage du groupe Hachette Livre, si ce dernier venait à tomber dans l’escarcelle de Vivendi. Or, en février dernier, il semblait qu’un accord se profilait entre Bolloré, Lagardère et Arnault, mais depuis, pas de nouvelles.
Dans Les Échos, ce même Arnaud Nourry avait assuré qu’il ne laisserait « personne abîmer Hachette Livre », considérant que le groupe éditorial, présent chez Lagardère depuis 40 ans, était plutôt bien installé.
À la tête du groupe depuis 17 ans, il s’est d’ailleurs alloué les services d’une structure de communication, Controverse, spécialisée dans le conseil en stratégie. Mais pour un proche, cette décision avait tout du « coup de poker, sans doute pour prendre l’opinion à témoin, mais aussi pour mettre la pression sur Arnaud Lagardère, au moment où une vente se précise ». Selon certains bruits de couloirs, la cote de l'actionnaire auprès de son PDG ne serait pas au plus haut.
Il n’empêche que personne n’a perdu de vue que cette assignation, survenue voilà quelque temps maintenant, intervient peu après l’arrivée de Joël Dicker au sein du groupe Editis. Nous attendons la réaction du groupe Margot, et mettrons à jour ce papier en fonction.
Laurent Beccaria
Sophie de Sivry et Laurent Beccaria ont apporté plusieurs réponses à ActuaLitté. Sur la plainte de Hachette Livre, ils expliquent que le groupe « s’oppose au non-renouvellement de notre contrat distribution, arrivé à l’échéance le 31 décembre 2020. À la suite d’un processus compétitif auquel Hachette a participé, nous avons en effet choisi de confier notre distribution à Editis ». Mais les éditeurs contestent « le fondement l’assignation de Hachette qui n’avait pas lieu d’être et nous sommes très sereins quant à l’issue de cette procédure ».
Participé, au point d'avoir surenchéri, avant de retirer son offre, selon les informations obtenues.
Concernant la prise de participation, les directeurs de L’Iconoclaste et des Arènes soulignent que « les alliances entre les éditeurs indépendants et leurs distributeurs sont nombreuses. Nous avons déjà contracté par le passé deux accords de ce type (distribution et prise de participation minoritaire) qui ont été féconds : avec Gallimard (pour créer les revues XXI et 6Mois) et avec Hachette (pour monter notre équipe de diffusion Rue Jacob diffusion) ». Des éléments que nous avions déjà évoqués plus haut et qu’ils confirment donc.
Enfin, l’accord stratégique avec Editis leur permet de se renforcer « notamment dans le domaine audiovisuel et numérique. Nous gardons évidemment le contrôle de notre groupe. Jamais Les Arènes et l’Iconoclaste n’ont eu de telles perspectives de développement ni autant de projets à venir », concluent-ils.
Dans le petit milieu de l’édition, tout ce déballage ressemble fort à un dommage collatéral de la guerre entre Editis et Hachette qui va se terminer bientôt. D’ailleurs, certaines peinent à comprendre le fondement d’une plainte s’appuyant sur une demande de 2 millions € de dommages-intérêts « considérant comme un préjudice que le contrat de distribution n’a pas été renouvelé ».
Pour d’autres, la réussite récente, et répétée, que les deux maisons ont connue, pourrait avoir exacerbé les tensions. « Si l’on résume, c’était Hachette contre Editis, et Hachette a perdu sur le volet distribution. » Ajoutons le prix RTL-Lire pour l’Iconoclaste et Jean-Baptiste Andrea, ou encore Dessiner encore, de la dessinatrice de presse Coco, L’homme chevreuil, L’enfant, la taupe, le renard et le cheval, ou Femmes puissantes et La traversée de Patrick Saint Exupéry : autant de réussites qui peuvent exaspérer.
Reste à voir ce qui sera fait au terme de l’accord, d’ici cinq ans : Groupe Margot pourrait racheter les 49 %, tout en conservant, durant toute cette période, une totale liberté de gestion, autant qu’éditoriale.
crédit photo Arnaud Nourry : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 ; Laurent Beccaria © Les Arènes ; Sophie de Sivry © L'Iconoclaste
2 Commentaires
Mazon
19/03/2021 à 02:16
On est bien loin de la création, de l'acte d'écrire..... Ici il faut se boucher le nez car voir tout ce beau monde de l'édition dans l'escarcelle d'un Vincent Bolloré qui offre sur un plateau l'info à un Zemmour ? C'est pas beau du tout et peut-être que certains auteurs comme Coco ?????? sans commentaire
LOL
22/03/2021 à 06:57
Intéressante petite guéguerre entre puissants pour racler l'os du cadavre d'auteur...
Je serai assez pour que chaque livre exposé, il y ait un décompte par acteur de la « chaîne » du livre... Juste pour voir. J'ai comme dans l'idée qu'à l'exception des auteurs, personne ne serait d'accord.
Il faut laisser le public dans l'ignorance...