Après une Maîtrise de Langue, Littérature et Civilisation italiennes (Université Stendhal-Grenoble III) et un DESS Édition (Université Paris XIII), Lise Caillat a travaillé pendant dix ans dans l’édition puis en librairie, tout en développant son activité de traduction littéraire. Depuis 2017, elle se consacre totalement à cette dernière ainsi qu’à la recherche d’auteurs et d’ouvrages italiens à faire découvrir au public français. Elle anime également des ateliers de traduction qui visent à sensibiliser les lecteurs et les amoureux des mots aux joies et aux défis du métier. Par Paolo Grossi.
Dans le cadre de l'échange entre ActuaLitté et la plateforme New Italian Books, voici son interview, traduite en français par Federica Malinverno.
New Italian Books / ActuaLitté : Voulez-vous tout d’abord nous parler du chemin qui vous a menée à votre profession ?
Lise Caillat : J’ai grandi à Grenoble, dans un environnement et une famille italophiles ; j’ai ainsi développé très tôt une vive sensibilité à la langue et à la culture italiennes. J’ai étudié la littérature (française et italienne). En découvrant l’exercice et l’art de la traduction à l’université, j’ai compris que ce métier, à la fois merveilleux et mystérieux, conjuguait mes deux grandes passions : les livres et l’Italie.
Cela a été une révélation. Cependant j’ignorais alors parfaitement comment accéder à cette profession, je me demandais même si elle existait vraiment en tant que telle. C’est en donnant la priorité aux livres, en m’orientant vers l’édition que j’ai pu réaliser mon rêve. Au cours d’un stage chez Gallimard, en travaillant à mon mémoire de DESS sur les échanges éditoriaux entre la France et l’Italie, je suis d’abord devenue lectrice pour la collection « Du Monde Entier ».
Pour mon plaisir, je traduisais déjà les passages marquants de mes lectures. Puis en 2006, les éditions Gallimard m’ont confié ma première traduction : le premier roman de Giulia Fazzi, Blessures de guerre (Ferita di guerra). Une opportunité et une expérience magiques que je n’oublierai jamais. Et l’aventure a commencé.
Venons-en au cœur des questions : lorsque vous ne traduisez pas, quels et combien d’engagements devez-vous assumer pour pouvoir vous consacrer à la traduction ?
Lise Caillat : D’abord, pour des raisons économiques, j’ai longtemps dû associer à la traduction une autre activité professionnelle, principale ou secondaire. Éditrice puis libraire, je traduisais nei ritagli di tempo. [Quand j'en avais le temps]
Aujourd’hui, quand je ne traduis pas, je lis. Frénétiquement et inlassablement. Les textes fraîchement publiés ou à paraître que les agents, les éditeurs et parfois les auteurs m’envoient, mais aussi ceux que je repère moi-même. Si je découvre une perle rare, un texte qui me touche et auquel je crois, je tente de le soumettre aux éditeurs français qui me semblent appropriés dans l’espoir de le traduire. Pour un texte accepté, beaucoup d’autres sont écartés bien sûr. C’est un investissement très important, passionnant, mais rarement et difficilement reconnu.
Je participe également à la promotion de mes traductions via mon site Internet et les réseaux sociaux en particulier. Certains éditeurs me sollicitent pour des propositions de titres, la rédaction d’argumentaires, le choix des couvertures.
Il m’arrive de collaborer à des adaptations de mes traductions en bande dessinée ou pour le théâtre.
À cela s’ajoutent les relectures d’épreuves, de la préparation de copie au bon à tirer ; le lien et les échanges précieux avec les auteurs, une chose qui me tient à cœur depuis toujours et qui joue un rôle décisif dans la réalisation et la réussite de mes projets ; sans oublier les négociations autour des contrats, la facturation et la comptabilité, la nécessité de s’informer sur les droits et les évolutions du statut de traducteur en se rapprochant des associations professionnelles comme l’ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France) ou la SGDL (Société des Gens de Lettres).
D’autre part, pour progresser et améliorer mes conditions de travail, j’explore les offres de soutien françaises ou italiennes à mon activité, sous forme d’aides financières, de formations ou de résidences.
Enfin, j’anime des rencontres et des ateliers : en ligne, en librairie, en bibliothèque et en milieu scolaire. Je partage autant que possible mon expérience et tente, comme ici, de faire connaître ce métier, sa beauté, ses enjeux, ses difficultés.
Quel est votre avis sur le système français de soutien au livre et à la traduction et quelles mesures pourraient, selon vous, faciliter votre travail ?
Lise Caillat : En France, le livre et les métiers du livre bénéficient d’une attention et d’un soutien importants. Les mesures mises en place dans le contexte de crise actuel le confirment. Il existe plusieurs dispositifs, et je me prononcerai ici sur les aides spécifiques à la traduction et aux traducteurs que je connais mieux.
Comparativement à d’autres pays, le statut de traducteur littéraire est plutôt bien reconnu et défendu en France. Toutefois il reste encore précaire par certains aspects, et il est très difficile de vivre de ce métier pourtant crucial dans la chaîne du livre.
Les principales aides à la traduction sont attribuées par le CNL (Centre National du Livre), établissement public administratif du ministère de la Culture. Deux aides sont destinées aux éditeurs : pour faciliter la traduction d’ouvrages étrangers en langue française et la traduction d’ouvrages français en langues étrangères, et deux aux traducteurs : une « Bourse aux traducteurs des langues étrangères vers le français » pour permettre aux traducteurs en France ou à l’étranger de se consacrer à un projet de traduction « de grande ampleur », et une « Bourse de séjour aux traducteurs du français vers les langues étrangères » pour contribuer à la qualité et à la diversité de la création des auteurs.
Sans ces aides et le travail précieux du CNL, beaucoup de magnifiques projets de traduction ne verraient probablement pas le jour. Ce soutien pourrait gagner encore davantage en pertinence, d’après mon expérience, en optimisant certains aspects et critères du dispositif pour le rendre plus accessible et accompagner les acteurs de la traduction sur l’ensemble de leur champ d’action.
Prenons la bourse qui me concerne, celle destinée aux traducteurs des langues étrangères vers le français engagés dans un projet « de grande ampleur ». Si par « grande ampleur » on entend la complexité (et donc le temps supplémentaire devant être consacré au projet), alors il apparaît approprié de pouvoir bénéficier d’une aide quand cette complexité n’est pas prise en compte dans le tarif négocié entre le traducteur et l’éditeur.
Mais afin de respecter au mieux son objectif, cette bourse mériterait d’être libérée des délais de carence actuellement en vigueur (1 an révolu après l’obtention d’une autre aide publique dédiée majoritairement à l’écriture ou à la traduction supérieure à 2000 € ; 3 ans révolus après l’obtention d’une bourse de découverte, de création, de résidence, de traduction ou une bourse Cioran du CNL ; 5 ans révolus après l’obtention d’une bourse d’année sabbatique du CNL).
En effet, le traducteur peut se trouver confronté à plusieurs projets « de grande ampleur » dans la même année. En outre, l’aide doit pouvoir être accordée même si de son côté l’éditeur — qui n’est soumis à aucun délai de carence et peut déposer jusqu’à 12 dossiers par an — fait une demande pour le même projet ; les objectifs de ces deux aides étant distincts.
Ensuite, en considérant la condition socio-économique précaire des traducteurs littéraires (cf. Enquête de l’ATLF réalisée en juillet 2020 avec le concours d’Olivia Guillon, maître de conférence en économie à l’université Sorbonne Paris Nord) : érosion des tarifs depuis 20 ans sans prise en compte de l’augmentation du coût de la vie, irrégularité de l’activité et des revenus, couverture sociale minimum (pour ne citer que les principaux points qui obligent 80 % des traducteurs à avoir recours à une activité annexe), il serait judicieux d’envisager une aide de fonds générale annuelle ou une aide pour chaque livre et pour chaque traducteur, afin de pallier les difficultés de la profession et ainsi encourager, favoriser l’activité.
Et comment vous permettre de vous consacrer à la traduction avec plus de liberté et de tranquillité d’esprit ?
Lise Caillat : Dans un marché du livre en pleine évolution, certains traducteurs littéraires deviennent forces de proposition en amenant des projets aux éditeurs. Ils effectuent un travail de veille, de prospection et de lecture critique important ainsi que des déplacements sans compensation particulière en plus de l’éventuel contrat de traduction pour les œuvres retenues. Une aide pourrait être créée afin d’encourager et de récompenser ceux qui, comme je tente de le faire, contribuent au rayonnement et à la diversité de la littérature étrangère en France ou de la littérature française à l’étranger.
Cette aide pourrait prendre la forme d’une bourse de résidence pour permettre aux traducteurs de participer aux salons, aux foires ou aux festivals par exemple, en incluant la prise en charge des frais de déplacements, d’hébergement, d’accès aux événements.
Parmi les dispositifs de soutien à la traduction et aux traducteurs, il faut mentionner les prix. Précieux eux aussi, ils gagneraient à refléter davantage l’ensemble des facettes du métier et les modalités d’accès ou de candidature mériteraient une plus grande visibilité. J’en profite pour saluer ici le récent prix littéraire franco-italien Marco Polo Venise attribué à un roman italien traduit et publié en langue française dans l’année en cours. Il récompense à la fois l’écrivain et le traducteur, qu’ils soient émergents (premier roman, première traduction) ou déjà chevronnés voire renommés.
Il y a sans doute d’autres prix et d’autres bourses de traduction à créer sur ce modèle franco-italien. Durant la première vague de la crise sanitaire que nous traversons, le gouvernement italien a débloqué des fonds extraordinaires pour soutenir l’édition et le livre italien à l’étranger. Seulement ces aides étaient réservées aux agents et aux éditeurs.
En conclusion, sur le même modèle que les différentes aides destinées aux éditeurs qui peuvent effectuer plusieurs demandes par an, il serait souhaitable d’élargir et de renforcer également les dispositifs de soutien accessibles aux traducteurs qui, experts passionnés, participent de plus en plus au dynamisme de l’activité éditoriale.
Enfin, quels sont les livres que vous avez récemment terminé de traduire et quels sont les livres sur lesquels vous êtes en train de travailler ?
Lise Caillat : Tout début 2021 paraîtront mes quatre dernières traductions : À l’autre bout de la mer (titre original : Carnaio) de Giulio Cavalli aux éditions de L’Observatoire, L’empire de la poussière (titre original : L’impero della polvere) de Francesca Manfredi aux éditions Robert Laffont, Napoli mon amour d’Alessio Forgione chez Denoël et Loyauté (titre original : Lealtà) de Letizia Pezzali chez Fayard.
Actuellement, je traduis pour Denoël l’éblouissant Lux d’Eleonora Marangoni, finaliste du Premio Strega 2019 et lauréat du Prix national de littérature Neri Pozza.
photos : putative3 CC 0 ; Lise Caillat - DR
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