À la tête de la rubrique Les Ensablés, Hervé Bel s'efforce chaque semaine de redécouvrir un ouvrage injustement oublié et perdu dans le flot des années et des nouvelles parutions. Parfois, un éditeur se décide à rendre justice à ces livres, en leur offrant une nouvelle vie. Cette semaine, rencontre avec Philippe Guyot-Jeannin, libraire et éditeur dans le Jura. Il a créé les Éditions de la Belle étoile, qui ont récemment attiré l'oeil de notre chroniqueur.
Le 21/01/2021 à 11:45 par Auteur invité
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Publié le :
21/01/2021 à 11:45
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Les Ensablés/Hervé Bel : Bonjour Philippe Guyot-Jeannin. Vous êtes libraire et gérez une des plus grosses librairies du Jura, à Lons le Saunier. Qu'en dire, et quelles sont ses orientations littéraires ?
Philippe Guyot-Jeannin : Il s’agit de la Librairie-Papeterie des Arcades qui offre à ses clients, en plus du rayon Librairie, un rayon Papeterie et également un rayon Loisirs créatifs-Beaux-Arts
Cette librairie, implantée à Lons-le-Saunier, la ville natale de Rouget de Lisle, a plus de 150 ans. C’est une librairie généraliste. Je suis attaché à l’idée que les Libraires doivent être des lecteurs curieux, passionnés, à même de proposer aux clients leurs romans « coups de cœur » qui ne seront peut-être pas dans les radars de la presse ou poussés par les grosses maisons d’édition, mais ceux auxquels les libraires auront cherché à s’intéresser en essayant un jeune auteur ou une nouvelle maison d’édition par exemple.
Vous avez récemment décidé de créer une nouvelle maison d’édition que vous avez joliment appelée « Éditions de la Belle Étoile ». Pourriez-vous nous expliquer comment l’idée vous est venue et pourquoi ce nom ?
Philippe Guyot-Jeannin : C’est un ami qui voulait reprendre une maison d’édition et qui voulait que je participe à ce projet. Je ne voyais pas où je trouverais le temps, mais j’ai accepté d’aider mon ami dans la construction de son projet. Je me suis tellement pris au jeu, j’ai trouvé le monde de l’édition tellement passionnant que j’ai fini par créer une petite maison d’édition il y a 18 mois.
À présent, c’est mon ami qui suit mon parcours et qui fait partie du comité de lecture. La Belle Étoile est un lieu-dit où j’habite. Mais c’est un joli nom qui colle bien aux orientations de la maison d’édition.
Comment caractériser votre maison d’édition par rapport aux autres ? Quels sont ses atouts ?
Philippe Guyot-Jeannin : Les Editions de la Belle Etoile s’intéressent à deux choses magnifiques : la Nature et la Littérature. On me dit parfois que cela n’a pas grand-chose à voir. Je crois pourtant que la littérature, c’est un travail sur la nature humaine et que la sagesse viendra de la connaissance de la Nature et de la nature humaine. Ne sommes-nous pas en train de comprendre à quel point le respect de la Nature est absolument nécessaire à l’Humanité ?
Les atouts des Éditions de la Belle Étoile, c’est une vraie passion pour ces deux thèmes qui n’est pas dictée par une course à la production ou à la rentabilité, mais par une exigence de qualité de fabrication — on essaie de faire de beaux livres fabriqués en France — et par une qualité de contenu — nous faisons des livres utiles, qui apportent quelque chose aux gens. Par exemple, je cherche à ce que tous les romans édités soient des romans dont les lecteurs, une fois la lecture achevée, se souviennent toujours et qu’ils aient quitté les personnages du livre à regret en tournant la dernière page. En 2021, il y aura plusieurs romans marquants.
Une autre spécificité, outre la fabrication locale, est depuis les débuts que nos livres ne sont pas en vente sur Amazon. Nous estimons que la chaîne du livre et le réseau de librairies en France doivent se reconstruire sur le socle de leurs qualités et que la concurrence déloyale exercée par Amazon et les autres acteurs du net doit être corrigée par trois mesures très simples à mettre en œuvre : une remise livres qui ne devrait jamais être supérieure à celles des libraires comme le dit la loi Lang (40 % maximum), un tarif unique pour le port des livres qui pourrait être celui du Tarif Livres et brochures de la Poste (exit le port à 0,01 €).
Et enfin l’interdiction de vendre un livre en dessous de son prix public neuf pendant sa première année de parution. Avec ces mesures, la fréquentation des librairies, la vente de livres et le nombre de lecteurs augmenteront naturellement et immédiatement.
Pourquoi prendre des risques, alors que le livre est en crise, qu’on parle de surproduction ?
Philippe Guyot-Jeannin : Je suis un chef d’entreprise et je connais bien la gestion d’une entreprise. Il n’y a guère de risque pour moi si la qualité des livres est au rendez-vous. Nous n’éditerons pas plus de 8 ou 10 livres cette année. Ces livres il faut aussi les vendre bien sûr. C’est beaucoup de travail.
En matière littéraire, vous allez marcher sur deux jambes : la première étant de publier des romans contemporains, la seconde de rééditer des textes. S’agissant des romans contemporains, quel sera votre politique d’édition ?
Philippe Guyot-Jeannin : Le seul critère qui soit retenu en matière de littérature est la qualité des romans : nous ne cherchons pas de romans acceptables ou « pas mal ». Nous n’avons pas les moyens de faire du « moyen » ni l’envie d’ailleurs : nous ne souhaitons publier que des chefs d’œuvre, autant que faire se peut.
Ces excellents textes peuvent être contemporains ou bien plus anciens, tombés dans l’oubli, avoir été écrits par des auteurs qui font partie aujourd’hui des « ensablés de la littérature » ou n’avoir jamais été découverts ou traduits en France. Ces romans doivent raconter des histoires et — c’est ma conception de la littérature — avoir toujours un grain de poésie dans l’écriture.
À qui faut-il envoyer ses manuscrits ?
Philippe Guyot-Jeannin : L’adresse à laquelle on peut envoyer des manuscrits est belleetoile.editions@gmail.com. Notre site internet, en construction jusqu’au printemps, rappellera cette adresse. Nous ne publierons que de la fiction, du roman : en littérature blanche, noire et en jeunesse.
À combien d’exemplaires pensez-vous publier ces livres ?
Philippe Guyot-Jeannin : Nous tirons à 1000 exemplaires pour la littérature. Notre premier livre Lueurs vagabondes un très beau livre de photographies sur la Nature avec des textes courts, des réflexions d’artistes, de sages, de poètes a été imprimé à 2500 exemplaires.
Depuis une dizaine d’années, Actualitté. com explore des pans entiers d’une littérature injustement ensablée, et nous aimerions bien évidemment savoir comment vous comptez vous dirigez dans cet immense continent perdu pour décider qui doit être « sauvé » ou non ?
Philippe Guyot-Jeannin : Encore une fois, le roman doit nous emporter, c’est la règle. On lit quelques pages et on ne s’arrête plus. Les personnages sont vivants. Nous sommes transportés ailleurs, dans le temps, dans un voyage imprévu. Il faudrait que la lecture soit presque une histoire d’amour. Les deux ou trois romans épuisés, oubliés que je souhaite publier cette année ont été des histoires d’amour pour moi : je pense encore à ces héros et ces héroïnes de temps en temps. Je ne rêve que d’une chose : les faire découvrir aux libraires et à leurs clients, les faire revivre dans le cœur des gens.
Pour cela, nous cherchons sans cesse des idées, en lisant, en fouillant sur internet, beaucoup en écoutant les gens, les lecteurs de ma librairie, les collègues libraires, les auteurs et bien sûr en lisant les chroniques des ensablés sur Actualitte.com.
Notre premier livre Une femme respectable de Kate Chopin est un livre de nouvelles : elles sont toutes lumineuses et superbement écrites. C’est le livre référence pour qui veut connaître cette auteure qui, en son temps, avait secoué les lettres américaines en réclamant une place pour les femmes.
Confession de minuit de Georges Duhamel que vous avez chroniqué dans votre section « Les Ensablés » est un chef-d’œuvre qui était épuisé en livre de poche, mais que Folio et J’ai lu avaient pourtant publié auparavant. C’est Michael Uras, un auteur très fin, qui m’avait donné le tuyau.
Combien de titres publiez-vous par an ? Et sur quels critères ?
Philippe Guyot-Jeannin : 4 à 5 titres en littérature. 3 à 4 en Nature et 1 beau projet dans un autre domaine. Le seul critère est que le livre m’emballe. C’est nécessaire, car je serai en première ligne pour en parler.
La distribution de vos livres se fera par vous-mêmes. Comment comptez-vous convaincre les librairies de prendre votre production ? C’est un des obstacles majeurs à la diffusion des livres que de ne pas passer par des distributeurs.
Philippe Guyot-Jeannin : Les petits éditeurs se diffusent et se distribuent souvent eux-mêmes. La diffusion — distribution par un groupe national n’est pas un gage de vente massive des livres. Pour l’instant, nous n’avons pas retenu cette option.
Mon avantage par rapport à un autre petit éditeur est que je connais très bien la chaîne du livre et, en tant que libraire, non seulement je connais le difficile parcours des livres, mais je connais aussi mes confrères et consœurs et leur mode de pensée. Cela doit normalement m’éviter les fausses notes.
J’ai tout de même l’aide d’un diffuseur distributeur régional qui propose nos livres dans les points de vente autres que les librairies. J’ai en projet d’autres idées pour élargir notre diffusion.
Nos livres sont aujourd’hui diffusés en Franche-Comté, dans une partie de la Bourgogne, de l’Alsace, de l’Ain, de la Savoie et la Haute-Savoie, dans les Vosges, à Paris dans une quinzaine de librairies, à Lyon, en Suisse et en Belgique. Ce qui représente environ 120 points de vente actifs.
Vous avez beaucoup de courage. Comment et quand arriverez-vous à la rentabilité ?
Philippe Guyot-Jeannin : J’imagine qu’il faut 4 à 5 années et une quarantaine de titres au catalogue pour atteindre une vraie rentabilité qui puisse faire vivre une personne à temps plein, cela notamment parce que tous nos titres ont vocation à être des titres de fonds, c’est-à-dire des titres qu’une librairie d’une certaine taille pourrait normalement avoir en permanence. C’est le cas par exemple d’Une femme respectable ou de Confession de minuit que j’ai évoqué précédemment.
Nos 4 premiers titres ont cependant déjà atteint leur point mort, c’est-à-dire que les ventes déjà réalisées financent tous les frais (rachat de droits, traduction, imprimeur, graphiste, droits d’auteur).
Merci beaucoup d’avoir pris un peu de temps pour nous. Nous vous souhaitons le meilleur pour la suite et engageons tous nos lecteurs à se précipiter sur le roman de Georges Duhamel Confession de minuit que Denis Gombert a chroniqué dans les Ensablés. Un texte qui vaut vraiment d’être lu, injustement oublié au profit de Camus, mais aussi de Claude Aveline.
Paru le 28/05/2020
320 pages
Editions de la Belle Etoile
13,50 €
4 Commentaires
Mary
22/01/2021 à 08:09
Pourriez-vous nous indiquer qui est la traductrice ou le traducteur dont le travail a rendu possible l'existence de ce livre ?
Merci !
La Belle Etoile
22/01/2021 à 14:44
L'essentiel des nouvelles ont été traduites par Marie-Claude PEUGEOT, grande traductrice de littérature américaine. Les autres traductions ont été choisies pour leur qualité afin de donner une belle unité à l'ouvrage et d'en faire l'ouvrage de référence pour ce qui est des nouvelles de cette auteure à découvrir. La préface du livre se penche sur la vie singulière de Kate Chopin et le rôle clé qu'elle a joué dans la littérature.
Marie
22/01/2021 à 14:46
J'ai plus trouvé à lire et découvrir dans la chronique "les Ensablés" que dans l'ensemble des parutions répertoriées dans ActuaLitté. Ne voulant blesser aucun(e) écrivain, j'ai l'impression que beaucoup ont trouvé un...filon auquel ils (elles) s'accrochent jusqu'à plus soif...
Nicolas Gary - ActuaLitté
22/01/2021 à 15:01
Bonjour
Permettez-moi alors de vous n'en suggérer qu'une
https://actualitte.com/article/5900/chroniques/black-manoo-paris-devient-l-enfer-de-dante-gauz-en-guide-touristique
Qui devrait apporter un peu d'oxygène salutaire.