Exclusif ActuaLitté : C'était l'affaire honteuse, dont personne ne se sentait le coeur de parler. Quelques semaines avant la sortie en librairie de Satellite Sisters, Maurice Dantec, dans un ultime acte de destruction, décidait d'attaquer son éditeur, Ring. Un référé jugé au Tribunal de Grande Instance de Paris, qui aura donné tort au romancier ; l'ordonnance rendue le 21 août condamne un Maurice Dantec dont les motivations restent incompréhensibles.
Petit rappel de la condamnation : rejet de la demande d'interdiction de publication du roman, 1500 € à verser aux éditions Ring ainsi que 1000 € à Interforum en remboursement des frais d'avocats déboursés, l'amende semble légère. Le romancier, qui signait avec Satellite Sisters son retour à la littérature, avait d'ailleurs entamé la promotion du roman bien en amont, dans une interview accordée à ActuaLitté, où il nous assurait avoir réalisé son « premier vrai thriller de science-fiction ». C'était début mai. Dantec dénonçait en effet un contrat d'édition abusif.
Mais le cabinet Pixel de Me Lenoble et Lhotel, avocates de Ring, dément : « C'est un contrat d'édition que Maurice Dantec a paraphé et signé, et il a débuté avec un enthousiasme évident la promotion de son livre, accordant des interviews, parfois filmées, participant à la bande annonce promotionnelle de son roman ou encore à la soirée de lancement de la maison d'édition en tant qu'auteur phare » On se reportera à notre interview pour s'en assurer... « À aucun moment, Maurice Dantec n'a apporté la preuve qu'il n'était pas en pleine possession de ses moyens », poursuit le cabinet. Mais ce que personne ne comprend, chez Ring, c'est la raison qui a poussé l'auteur à lancer un référé, si tardivement. .
Le jugement précise également que le contrat Ring, en plus d'être absolument légal est « le plus généreux en droit d'auteur de tous ses contrats signés avec ses précédentes maisons d'édition. »
Les racines du mal(aise)
D'autant plus que, selon différents emails envoyés par l'auteur, dont ActuaLitté a pu prendre connaissance, Dantec fait preuve plus que d'enthousiasme: il salue tout à la fois le travail de l'équipe de Ring, les remercie chaleureusement et fait part à de nombreuses reprises de sa motivation dans le projet. Un engouement dont l'ordonnance fait amplement état, citant une email daté du 8 août :
«Reboosté à mort je reprends l'écriture dans moins d'une heure (...). Je mets en place la “partie d'échecs” orbitale et le retour des personnages des anciens bouquins. Pour économiser temps, énergie et pognon, je te propose de laisser momentanément la plate forme TransFixion, je crois que tu devrais concentrer toutes tes batteries sur Ring éditions. Ma plate-forme est bien moins stratégique.» ;
D'autres entretiens, dans la presse, confirment l'intérêt, de même que la participation à une bande-annonce réalisée entre les 10 et 12 mai, mais surtout, comme l'explique l'ordonnance :
il n'en demeure pas moins que, confirmant encore, si besoin était, son intention de donner suite au projet de publication, Maurice DANTEC a délivré le bon à tirer de l'ouvrage le 21 juin 2012 (après l'avoir subordonné à diverses corrections) puis, dans un courriel du 1er juillet 2012 (pièce n°35) , tout en évoquant «une crise psychologique», a annoncé à son éditeur qu'il était en mesure d'honorer ses engagements concernant sa venue à Paris pour la promotion du livre et sa «motivation pleine et entière pour rencontrer libraires et lecteurs» ;
Sirène rouge... d'alarme
Alors que se passe-t-il dans l'entretien de Dantec, publié hier dans Gonzai ? Les propos ont été recueillis entre les 22 et 27 août, et MGD y va de bon coeur :
Je suis en mesure d'affirmer que David Kersan, et son principal complice (NDLR : Raphaël Sorin) m'ont fait signer un contrat illégal pour une série de raisons dont les principales sont : signature de contrat frauduleux en état de faiblesse (hautement médicalisé), ce qui en droit pénal est assimilé à un acte de violence caractérisé, que ce « contrat », comme tout ce que produit David Kersan, a été confectionné de toute urgence en copier-coller amateur, d'où vices de formes à n'en plus finir, et une année pleine avant la constitution légale de la prétendue société d'édition, KBIS faisant foi, sans même le code NAF nécessaire à l'obtention exclusive du droit d'éditer. Bref, je n'ai signé aucun véritable contrat, et ce dans le seul but, sur mon nom et ma notoriété, d'attirer au plus vite les investisseurs pour le montage de sa propre maison d'édition.
S'ensuivent plusieurs salves d'insultes, accusant David Kersan de l'avoir manipulé au dernier stade. On peut d'ailleurs découvrir la même rage dans le journal Chronicart, où Dantec verse dans un lyrisme ordurier, estimant que « la vulgarité atteint les profondeurs subterranéennes d'une fosse septique à la mesure volcanique ». Et d'assurer que « si l'affaire judiciaire est en fait simplissime, David Kersan doit s'attendre à d'autres escadrilles... »
En effet, nous explique l'avocat de Dantec, « nous avons également assigné Ring en nullité du contrat de commandes d'ouvrages (essentiellement pour dol) et avons déposé une plainte pour abus frauduleux de l'état de faiblesse à l'encontre de Monsieur David Kersan en personne et des éditions RING ».
Dieu porte-t-il des Ray-bans ?
Des propos dans la plus totale contradiction avec les échanges d'emails, mais surtout, en décalage complet avec la réalité, telle que l'ont vécue les équipes de Ring. Un retournement complet de la situation, où Dantec devient victime d'une escroquerie fantastique ? Ou, plus simplement, l'ultime phase de destruction de son dernier ouvrage ?
© Stéphane Hervé
L'auteur se disait même disposé à porter fièrement les couleurs des Éditions Ring, et n'hésitait pas à parler du travail éditorial réalisé comme « une grande aventure littéraire », saluant le soutien des deux éditeurs qui se sont attelés à cette tâche. Il y multiplie encore les preuves de confiance totale, jusqu'en mai dernier, pour ce qui sera fait de son roman.
David Kersan ne conteste pas avoir misé gros avec et sur Dantec. Mais dans les faits, le romancier peut difficilement se targuer d'une notoriété, sinon celle basée sur des interventions qui dévoilent un comportement parfois trouble, sinon orageux. « Quand il était chez ses anciens éditeurs, je pouvais maîtriser ce genre de dérapages quand il me disait vouloir s'en prendre publiquement à ses éditeurs en soulignant leur nullité, leur manque de soutien ou leur façon de lui mettre la pression eu égard aux ventes qui ne couvraient pas les avances demandées par Dantec. Avec le recul, je réalise la patience inouïe de ses éditeurs ».
Grande Dis-Jonction
Mais la notoriété... c'est avant tout un échec cuisant après son contrat juteux chez Payot & Rivages, où on lui commanda un polar... pour découvrir une oeuvre de SF qualifiée d'illisible. Roman refusé, à-valoir perdu, Rivages demanda la résiliation, comme Albin Michel un an auparavant. Et surtout, au regard des ventes, qui s'écroulaient de roman en roman, une seule réalité s'imposait : Dantec s'éteignait, son lectorat s'éloignait, de plus en plus, et ce, quel que soit l'éditeur.
« Nous avons réalisé de lourds investissements pour assurer ce retour, avec une confiance inébranlable en lui. La maison se retrouve complètement écartelée : d'un côté, un auteur absolument hors de contrôle, capable de dire tout ce qu'il faut pour détruire le travail accompli, tant d'édition que de fabrication, pour son livre. De l'autre, la nécessité pour nous de pousser ce livre, parce que nous nous y sommes investis. C'est du temps passé, de l'engagement personnel, et des réactions complètement erratiques. »
Tout le dilemme tient en ces quelques lignes. Continuer coûte que coûte à soutenir un auteur et son livre, alors que ce dernier cherche par tous les moyens à réduire à néant le travail accompli. « C'est un auteur qui brûle tout ce qu'il touche. Depuis Gallimard, en passant par Albin Michel et Payot & Rivages, le scénario a toujours été le même. Et aujourd'hui, c'est Ring, qui a voulu croire en lui, qui se retrouve otage d'un auteur perdu », ajoute David Kersan.
Durant l'intervalle, de nombreuses annulations de promotion se sont succédées. Des grandes enseignes aux librairies indépendantes, toutes redoutent, sans l'exprimer clairement, le personnage. On parle, dans les échanges, de risques d'annulation à la dernière minute. La volonté de défendre le livre existe bien, mais pas question de s'engager sur un terrain si glissant. Le 10 août, Dantec demande l'annulation de toute promotion et Ring se voit contraint d'annuler les signatures. Comment ne pas y voir cette volonté autodestructrice, quand tout se passait pour le mieux, quelques semaines auparavant ?
Faire renaître un fantôme (de jazzman dans la station Mir en déroute) ?
Pourtant, les témoignages contraires affluent, celui de Raphaël Sorin : « David Kersan a été irréprochable avec Dantec, sur le plan humain comme sur le plan professionnel. Son travail d'éditeur est admirable et estimable. En tout point, Dantec et ses déclarations délirantes ne changent pas d'année en année, seule la cible change. »
Stéphane Bourgoin, spécialisé dans la criminologie et l'étude des tueurs en série, en charge d'une collection chez Ring portant sur les faits divers, enfonce le clou : « J'ai toujours été ravi de ma collaboration avec David Kersan. Il n'y a eu aucun problème pour la rédaction du contrat ou toutes les autres tractations, ce qui n'est pas toujours le cas dans le monde de l'édition », assure-t-il. Et d'évoquer une soirée, en mai dernier, où Maurice Dantec était présent. Il « faisait part de sa joie de participer à l'aventure Ring, qu'il qualifiait encore en juin de seule maison d'édition "rock and roll", et au prochain tournage de la bande-annonce de son roman au Cap-Ferret. J'ai surpris des paroles échangées entre lui et Raphaël Sorin où Dantec montrait son enthousiasme à l'idée de la prochaine publication de son roman », se souvient le directeur de collection.
Marc Besse, auteur chez Ring, en atteste également : « Il y a des maisons d'édition que l'on trouve et celles que l'on choisit. Ring s'est imposé à moi, par la clarté du projet, son originalité, sa famille d'auteur et son mode de fonctionnement. C'est David Kersan qui a tout imaginé, merci à lui d'avoir inventé une nouvelle façon d'éditer. Il a été mon agent irréprochable, je pense qu'il sera un éditeur irréprochable. »
Villa Mégalo Vortex
Enfin, l'un des éditeurs du livre, Gaël Giovannelli, qui estime avoir eu en l'occurrence « le malheur de travailler, avec M. Dantec » sur ce roman, Satellite Sisters : «Livre qui sans nous, de son propre aveu, ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Travail qui n'a pas été de tout repos, certes le challenge était de taille, je ne cache pas que la pression quotidienne qu'il exerçait sur moi me mena moi-même à la médication, mais M. Dantec souffrant plus que les autres, qu'importe ? C'est à la suite du refus d'un manuscrit, le même peu ou prou que celui refusé par l'éditeur François Guérif de chez Rivages, qui pour cette raison s'est aussitôt retrouvé affublé de divers adjectifs salés alors que M. Dantec en disait auparavant le plus grand bien, que les relations se sont aggravées. Dès lors, nous nous sommes tous, à Ring, retrouvés dans le camp adverse, pilonneurs de l'œuvre de Maurice Dantec, sous-fifres de la république de zarzélettres
Nous n'avons eu de cesse cependant, et en dépit des innombrables insultes et attaques de M. Dantec via des courriels qui pour l'instant restent privés, de défendre l'ouvrage ET son auteur. Bref, nous avons fait et faisons encore notre job d'éditeur.
Nous avons essuyé les colères des libraires qui ont appris le refus par courrier officiel DE LA PART de M. Dantec de venir en France faire la promotion de Satellite Sisters. M. Dantec a lui-même approuvé la couverture du roman. La vérité est que M. Dantec est en plein processus de destruction et vise à détruire ceux qui ont tenté, par leurs moyens et avec leurs tripes, de l'aider dans ses épreuves diverses. M. Kersan a été l'agent de M. Dantec pendant huit ans et l'a défendu plus que quiconque. M. Kersan et Ring ont soutenu contre vents et marées Mr Dantec, se faisant plus d'ennemis qu'il n'en faut, et récoltent la haine de l'intéressé en retour. Un chef d'oeuvre peut sortir d'une tour infernale. Place désormais à Satellite Sisters, son chef d'oeuvre, et seul sujet qui passionne le vrai public de Dantec. »
Satellite Disasters
David Kersan poursuit : « Nous avons voulu faire renaître un auteur, en chute libre commercialement et attaqué régulièrement sur internet. Mais comment faire, quand cet homme est à même d'oublier en un instant tout ce qui a été fait pour lui, sous prétexte qu'il est génial, "le meilleur, le dernier" et que ses éditeurs n'ont jamais rien compris ? Et qui est capable de mentir à ce point, sur absolument tout. Il déforme sciemment la vérité, comme dans une communication de guerre. De même en prétendant que je postais des messages sur son compte facebook personnel à son insu alors qu'il m'envoyait bien par mail les messages à diffuser, comme il est d'usage de procéder dans la gestion des interfaces sociales d'artistes.
Satellite Sisters, extraits
Je précise qu'aucun relecteur n'a été imposé à Dantec, encore un mensonge pur et simple. Il décidait à chaque fois avec qui collaborer. Un éditeur de premier plan avec qui Maurice Dantec acceptait de collaborer a arrêté de travailler sur le livre, usé en quelques jours.
Concernant ses problèmes de santé, il sait comme moi qu'en aucun cas il n'avait perdu sa lucidité, les entretiens filmés en mai 2012, disponibles sur ring.fr, l'attestent également. C'est aujourd'hui l'histoire d'un calvaire, supporté durant ces trois dernières années, qui vient maintenant se retourner contre moi, m'exploser au visage. Cette triste histoire restera à l'heure de la naissance de Ring et du lancement de notre site officiel pour moi, pour nous tous, un très grand enseignement. »
Mise à jour 5/09 à 9h
L'avocat de Maurice G. Dantec a souhaité réagir à notre article.
Son droit de réponse est à consulter à cette adresse
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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