J'ignore, chers lecteurs, si ce blogue vous est de quelque utilité. Il l'est en tout cas pour moi. J'avais lu avec attention l'article de Carl Aderhold sur le roman "La fleur au fusil" de Jean Galtier-Boissière. Sans cette lecture, le nom de cet homme étonnant me serait resté inconnu encore longtemps, peut-être toujours. Lorsque, pendant les vacances, je me suis rendu à Veules-les-Roses (petit station balnéaire), j'ai découvert chez un antiquaire un livre de 1945 publié aux éditions "Le jeune Parque" et dont l'auteur était justement ce Galtier-Boissière; je l'ai acheté, d'autant que le titre avait de quoi intéresser "Mon journal pendant l'occupation". Il a été réédité et vous pouvez vous le procurer à l'adresse ici.
Le 26/10/2014 à 08:06 par Les ensablés
Publié le :
26/10/2014 à 08:06
Par Hervé Bel
J'ignore, chers lecteurs, si ce blogue vous est de quelque utilité. Il l'est en tout cas pour moi. J'avais lu avec attention l'article de Carl Aderhold sur le roman "La fleur au fusil" de Jean Galtier-Boissière. Sans cette lecture, le nom de cet homme étonnant me serait resté inconnu encore longtemps, peut-être toujours. Lorsque, pendant les vacances, je me suis rendu à Veules-les-Roses (petit station balnéaire), j'ai découvert chez un antiquaire un livre de 1945 publié aux éditions "Le jeune Parque" et dont l'auteur était justement ce Galtier-Boissière; je l'ai acheté, d'autant que le titre avait de quoi intéresser "Mon journal pendant l'occupation". Il a été réédité et vous pouvez vous le procurer à l'adresse ici.
Galtier-Boissière fut le fondateur du Crapouillot, romancier, et, comme j'ai pu le constater en lisant cet ouvrage, un diariste émérite. Le journal qu'il tient assez régulièrement à partir du 7 juillet 1940 ne comporte aucun "pacte autobiographique". Son objet est la France, celle du quotidien, des journaux, des rencontres, et des rumeurs. Peu de raisonnements, de théories, mais des faits. Contrairement à beaucoup de ses pareils de la presse, Galtier-Boissière refuse dès le début la collaboration malgré les offres qui lui sont faites par Abetz. Il saborde son Crapouillot qui ne paraîtra plus pendant la guerre et se tient à l'écart. Il ne sera pas un résistant actif, mais il a fait courageusement la guerre 14-18 du début jusqu'à la fin, et reste un patriote sincère, désolé de voir certains journalistes du Canard enchaîné où il avait travaillé jusqu'en 36 devenir des collaborateurs zélés. Que sont devenus, par contre, les "purs" du Canard? (...) André Guérin est aujourd'hui rédacteur en chef de L’œuvre de Déat où il a retrouvé La Fourchardière, mis jadis à la porte par Maréchal et l'objecteur de conscience Gérin (...) Quant à Jules Rivet (...) l'anar des anar (...) il a un contrat au Petit Parisien. Oh! pas celui des infâmes capitalistes Dupuy, mais Le Petit Parisien des hitlériens Jantet et Laubreaux.
Rien ne l'exaspère davantage que ceux qui ont tourné leur veste, "les girouettes", comme il les appelle. Dans son journal, il note leurs noms et leurs propos. Plus tard, il s'en servira pour rédiger son "Dictionnaire des girouettes". De Weygand, il dit : Veni, Vidi, Vichy. Darlan : L'amiral Courbette. De Pétain: Le connétable du déclin. Il donne aussi une belle définition de la collaboration: C'est: Donne-moi ta montre, je te dirai l'heure. Et aussi: Les collaborateurs: Les con... vaincus. Galtier garde toujours un ton léger pour raconter sa petite vie devenue difficile. Le 12 janvier 1941, il constate: Le drapeau noir flotte sur la marmite. Je vais flâner avec un cabas rue Mouffetard (...) dans l'espoir de découvrir quelque comestible. (...) Des queues interminables qui piétinent dans la boue. Derrière leurs éventaires, de grasses marchandes mafflues, arrogantes.
Rue de Paris - André Zucca - Roger Viollet
Il est lucide, sans complaisance pour les nouveaux riches : Les pinards les plus fins coulent à flot. Le richard triomphe dans l'ordre nouveau. Temps de la dissimulation généralisée: Les beefsteaks interdits sont dissimulés sous des œufs sur le plat. Et il ajoute "Je suis écœuré". Il y a plein de petits détails qui font revivre une époque : Un petit restaurant offre des seiches, du cœur grillé et du mou au vin. Dans les queues interminables circulent les rumeurs les plus folles: Le général de Gaulle a été tué dans un bombardement de Londres. Ses cendres ont été substituées par l'Intelligence Service à la dépouille du Duc de Reichstadt et reposent désormais aux Invalides, à côté de celles de Napoléon...
En lisant Galtier, on mesure que les gens pouvaient savoir ce qu'il se passait à l'Est. Un article de Paris Soir du 3 décembre 41, raconte en détails la situation des prisonniers russes: Ces prisonniers ont faim, sont hébétés, incapables souvent de comprendre ce qu'il leur arrive (...) C'était des gémissements, des hurlements et ça sentait mauvais. Pour le reste, je ne vous le décris pas aujourd'hui. Mais il y en a qui ne sont pas encore remis. D'un autre côté, le raisonnement des Allemands est simple et juste. Puisque les Russes détruisent tout, il y a par ailleurs toute l'Europe à nourrir (...) Nous en sommes à la guerre totale.
Parfois, Galtier cite les blagues qui courent dans Paris. Un Allemand dans le quartier Molitor demande: - Pouvez-vous l'indiquer une piscine? - Mais oui, entre Douvres et Calais... Autre petite histoire (août 42) : Hitler s'ennuie au ciel et réclame de l'ouvrage: "Donne-lui un pinceau, dit Dieu à Saint Pierre, et un pot noir, il écrira "juif" sur toutes les étoiles." A côté des récits de la vie quotidienne, précieux pour comprendre ce que fut cette époque terrible, il y en a qui appartiennent à l'histoire littéraire et nous intéressent particulièrement. Galtier connaît du beau monde.
Un jour, en octobre 40, il dîne ainsi avec Drieu dont il espère l'intervention pour tirer un malheureux d'un camp de prisonnier. Drieu promet de s'en occuper puis invite une fois de plus Galtier à se rapprocher d'Abetz, car il n'y a pas d'autre choix, la victoire des Allemands étant inéluctable. Galtier, lui, n'y croit pas et le lui dit fermement, avant d'ajouter: Mon cher Drieu, je te parie que tu seras fusillé! Ailleurs (2 août 1941), il a ces mots : il est piquant de le voir devenu farouche antisémite. Il n'a pas la reconnaissance du ventre. Sa première femme qui était juive et riche, ne continua-t-elle pas à l'entretenir après leur séparation?
A chaque fois, et c'est ce qui rend ce texte aussi passionnant, Galtier fait mouche. Il n'a aucune illusion, il voit les gens tels qu'ils sont, dénichent leurs failles, leurs lâchetés. On est frappé par sa pertinence, alors qu'il est en train de vivre les événement et n'a donc aucune distance. Il cite, sans commentaire, Montherlant: Une telle apologie de l'art n'est sûrement pas cette fois suspecte puisque je l'extrais d'un discours prononcé par le Chancelier Hitler au Congrès national-socialiste de 1935. C'est pénible à lire, non? Montherlant...
En novembre 41, il fait la liste des peintres qui acceptent de se rendre à Berlin: Van Dongen, Vlaminck, etc, précisant néanmoins que Braque et Matisse ont décliné l'invitation. Le 6 juin 1942, à propos de l'obligation faite aux Juifs de porter l'étoile jaune, il écrit qu'on est désormais "en plein moyen âge". Et de citer les propos de Rebatet qui s'en félicite ouvertement dans Je Suis Partout (on dira en 45, à Paris, ce n'est plus Je Suis Partout, mais Je Suis Parti) : Ce sera une joie (...) de voir cette étoiles dans les rues parisiennes où il n'y a pas trois ans, cette race exécrable nous piétinait.
Paul Léautaud
Ailleurs, il raconte son déjeuner avec Léautaud qui vient d'être mis à la porte du Mercure de France. Léautaud, très en verve, multiplie les anecdotes sur Gide, Valéry, et se déclare anti-démocrate: Il entend que les ouvriers soient payés normalement, mais qu'ils n'aient pas voix au chapitre. Mais Léautaud est courageux: dans Comoedia, il ose écrire au même moment: Les hommes sont rares, à soixante ans, qui savent s'adapter à des situations nouvelles. L'esprit est ossifié, tout progrès leur est impossible.
Au hasard, on croise, Desnos: Diner chez les Desnos. Les invités font la corvée de patates avant de les manger, avec un énorme quartier de viande pas cuit. A un autre dîner, il entend ce mot de Cocteau: Un juif se plaignait de l'étoile jaune. Consolez-vous, lui dit Jean, après la guerre, vous nous ferez porter des faux nez. Sur Desnos, encore, dont il était proche, il raconte son arrestation qu'il vit par procuration. Le 22 février 1944, il téléphone à Youki Desnos qui le coupe brusquement et lui demande de la rappeler plus tard.
Un quart d'heure après, elle me dit d'une voix altérée: "Les policiers allemands sont entrés pendant que tu téléphonais. Ils ont emmené Robert. Je vais essayer de lui porter quelque chose à manger rue des Saussaies. Heureusement qu'il a pris son gros pardessus." Desnos ne revint jamais. En avril, sa femme parvient à le voir au camp de Compiègne. Il est très crâne. A sa femme, il déclare: "Si ça ne t'ennuie pas trop que nous soyons séparés quelque temps, lui a-t-il déclaré, je t'assure que je suis enchanté de vivre pendant quelques mois dans un camp allemand; c'est un reportage magnifique..."
Galtier reste attentif à l'actualité littéraire. En octobre 1941, il parle de Raymond Guérin, alors prisonnier. J'imagine combien celui-ci aurait content de lire ces lignes: Lu "Quand vient la fin" l’œuvre remarquable d'un prisonnier, Raymond Guérin. Si les Goncourt n'étaient pas des sots, voilà le livre qu'ils couronneraient cet hiver. Et de fait, ce roman, publié dans la collection "L'imaginaire", mérite, chers lecteurs, que vous le lisiez. Les derniers jours du journal racontent la Libération de Paris, au jour le jour.
Je vous laisse les découvrir.
Je vous ai cité ici tous ces extraits pour vous donner l'envie de redécouvrir ce Journal oublié, plaisant et instructif. J'espère y être parvenu. On en retire l'idée qu'il est bien difficile de juger les hommes qui, tout au long de leur vie, ne sont pas un, mais multiples. Admirables parfois, monstrueux d'autres fois. On change pour le bien ou pour le mal. Pour finir, un extrait en date du 18 juillet 1942: Camille Mauclair, actuellement rédacteur au Pilori et farouche antisémite, écrivait au Mercure de France le 16 janvier 1909: "Je tiens l'antisémitisme pour une manie absurde en son principe et répugnante en ses conséquences (...) Si j'étais né Juif, je serais très fier de l'être." De sorte qu'il n'est jamais possible d'avoir une opinion définitive sur quelqu'un, à moins qu'il ne soit mort. Cela fut particulièrement vrai dans cette période de l'occupation (mais ce fut aussi le cas sous le Restauration) où il fallait, d'une manière ou d'une autre, pas forcément active, choisir entre deux camps. Tant que les choses vont bien, tout va bien. Après, c'est autre chose. J'aurais bien aimé connaître Galtier-Boissière. Encore un extrait, pour finir, je n'y résiste pas. Il y a là tout son esprit. Le 16 juillet 1944 paraît dans L'Œuvre (collaborationniste) une enquête intitulée: "Comment survivre". Et Galtier-Boissière d'ajouter: La question se posera en effet sous peu pour le Directeur et quelques uns de ses collaborateurs.
Hervé Bel
PS. On trouvera ici la présentation du Journal dans "Un livre, un jour"
Par Les ensablés
Contact : ng@actualitte.com
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