J’ai commenté ici même, précédemment, la biographie de Maria Borrély (1890-1963) publiée par Danièle Henky en 2022 (Maria Borrély. La Vie d’une femme épanouie). Les romans de Borrély, qui s’apparentent à ceux de Giono et de Ramuz, sont à redécouvrir impérativement. Danièle Henky, dont le « sujet de prédilection, c’est le destin des femmes », expliquait-elle récemment, s’intéresse, dans son nouvel ouvrage, à l’écrivaine et journaliste Claude Dravaine (1888-1957). La Livradoise. L’Énigme Claude Dravaine est publié chez Hauteur d’Homme, une maison régionaliste sise dans une commune du Massif central. Par François Ouellet.
Le 04/02/2024 à 09:00 par Les ensablés
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04/02/2024 à 09:00
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L’œuvre de Dravaine est mince, et sans doute est-ce l’auteure elle-même qui est ici le plus intéressant. Encore qu’on en sache (trop) peu de choses ; c’est pourquoi La Livradoise n’est pas, ne pouvait pas être une biographie en bonne et due forme. Il s’agit plutôt d’une sorte de vie romancée de Claude Dravaine, même si le tissu biographique est tellement parcellaire qu’il est difficile de prétendre à la reconstitution d’une « vie ». Le sous-titre de l’ouvrage indique bien d’ailleurs que cette vie reste mystérieuse, et ce flottement pèse, de fait, sur la construction du livre, qui parvient mal à créer sa propre valeur générique.
Cela dit, Claude Dravaine est peut-être moins le sujet de La Livradoise que le prétexte de ce qui malgré tout se donne à lire comme un roman. Car le vrai sujet du livre, somme toute, c’est l’ancrage de Dravaine dans l’Auvergne, donc la nature, le paysage, l’entraide qui unit les habitants, les coutumes du pays.
L’ouvrage commence comme un polar : au moment où le Tour de France traverse la ville d’Hyères, le 8 juillet 1957, des gendarmes repèrent le corps de Claude Dravaine flottant dans les eaux du Gapeau. L’adjudant Vernet, qui approche la soixantaine, est à deux mois de la retraite : il se serait bien passé de cette découverte macabre, dont les circonstances sont nébuleuses. Deux mois plus tard, cette affaire reste non résolue.
Pour sa retraite, Vernet a prévu de s’installer dans la maison de ses parents décédés, en Auvergne, dans un hameau situé à quelques kilomètres d’Ambert, à l’ombre des monts du Livradois, le coin de pays, justement, où vivait Dravaine. Sa rencontre avec une ancienne institutrice, Andrée, qui fut l’élève de Dravaine, lui donne l’occasion de reprendre en quelque sorte son enquête, cette fois-ci de façon informelle et non pas pour élucider le mystère de la mort de l’écrivaine, mais simplement par curiosité pour cette femme autrefois renommée dont on dit qu’elle était de caractère secret et marginal. On le verra, avec Andrée, consulter des archives familiales, rencontrer des témoins du passé, découvrir les textes de Dravaine. Et prendre du bon temps dans cette ruralité auvergnate qu’il finit par préférer au soleil et aux plages de la Côte d’Azur.
Née Jeanne Lichnerowicz, Claude Dravaine est certes une auteure oubliée, mais son souvenir survit aujourd’hui dans le patrimoine littéraire de l’Auvergne. Son ouvrage le plus marquant est un essai, Nouara. Chroniques d’un antique village papetier (Éditions Bossard, 1927), où elle a retracé l’histoire des moulins à papier de la région, dont Nouara, aux 17e et 18e siècles, est l’une des plus grosses fabriques. Elle-même apparentée aux papetiers de Nouara par sa mère, Dravaine a profité des souvenirs de celle-ci, consulté les registres, enquêté sur le terrain pour mener son ouvrage à bien.
Pendant la Première Guerre, les deux femmes demeurent dans le moulin de Nouara, alors en ruine ; elles ont même des pensionnaires. Jusque dans les années 1930, Dravaine va y vivre en recluse, faisant l’élevage d’abeilles, herborisant, s’occupant de sa mère malade. Passionnée par le monde occulte, Dravaine croit « dur comme fer aux sorts, au loup-garou, aux sorcières, aux fées », et elle est perçue pour avoir un comportement étrange, instable, fantasque, voire irrationnel. Danièle Henky la décrit ainsi : « Une mousse de cheveux blonds et emmêlés dépassait des chapeaux, parfois extravagants, que sa mère confectionnait pour elle. Elle était attifée avec tout ce qui lui tombait sous la main : des jupes trop amples ou trop longues, des corsages colorés avec des vestes sombres, trop cintrées ou démodées ayant appartenu à une parente des années auparavant, des chaussures d’été en hiver et des bottines en été… »
C’est néanmoins à Paris qu’elle est née. Elle y fait de brillantes études, passe son brevet supérieur, prépare le concours de l’École normale de Sèvres, puis y renonce au bout d’un an, probablement parce que les règles heurtaient de front sa nature anticonformiste. Elle choisit alors de se rendre en Angleterre pour travailler à la Society for Psychical Research, une association scientifique qui s’intéresse aux phénomènes paranormaux. Le poète irlandais W. B. Yeats, que Dravaine va traduire, en avait autrefois été président.
Avant la guerre, elle fait la rencontre déterminante d’Henri Pourrat, l’auteur de Gaspard des Montagnes, avec qui elle va nouer une amitié durable. En 1917, ils vont publier une pièce patriotique écrite à quatre mains, L’Ouvrage 4, que survole le souvenir de Jeanne d’Arc. Ils ont la même passion pour le folklore, les légendes, les coutumes, les contes, les traditions, la transmission des valeurs ancestrales. Ce travail sur le patrimoine vaudra à Dravaine d’être élue à l’Académie des Sciences, des Belles-lettres et Arts de Clermont-Ferrand. Une autre écrivaine de la région, Rose Combe, qui sera toute sa vie chef de halte sur la ligne de chemin de fer entre Thiers et Ambert, travaillait dans le même sens ; comme Dravaine, elle publiait dans L’Almanach des champs de Pourrat et dans L’Auvergne littéraire et artistique.
Dravaine est aussi l’auteure de trois romans : Le Roi de Malmotte (Éditions du Sagittaire, 1947), et des romans pour la jeunesse, Michel changé en labri (Gedalge, 1930) et La Folie Aymerigo (Bonne presse, 1952). Mais de cette production fictionnelle, Danièle Henky ne dit presque rien, sans doute parce qu’elle cadre mal avec l’orientation régionaliste de son livre ; quoique le premier de ces titres, un roman rural où l’on s’exprime en patois, aurait mérité un vrai développement (il a d’ailleurs reçu le prix Sully-Olivier-de-Serres, créé par le Ministère de l’Agriculture). Journaliste, Dravaine a également collaboré à de nombreux périodiques tant locaux que nationaux.
Et la « seconde » enquête d’Antoine, à quoi aboutit-elle ? Si ce qui dirige ses pas de retraité, c’est simplement l’intérêt qu’il prend à découvrir une femme étonnante, ce qu’il apprend lui permettra tout de même de formuler cette intuition qui vaut mieux qu’un constat légal, car elle part du cœur : « Antoine et ses collègues avaient très vite écarté la piste criminelle dans le cas de la noyée du pont du Gapeau, mais restait la piste de l’accident. Cette femme à demi infirme sous l’emprise de calmants n’aurait-elle pas pu basculer dans le fleuve en crue et s’y noyer ? Ce soir, Antoine n’y croit plus. Au fur et à mesure de cette enquête menée avec Andrée, de nombreux indices leur avaient légitimement donné à penser que cette femme sensible, blessée par la vie, trop idéaliste sans doute avait décidé de passer de l’autre côté du miroir pour voir s’il ne s’y trouvait pas le château de ses rêves. »
François Ouellet — janvier 2024
Par Les ensablés
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 11/12/2023
288 pages
Editions Hauteur d'Homme
19,50 €
Paru le 02/04/2004
350 pages
Editions De Borée
18,25 €
1 Commentaire
Henky Danièle
05/02/2024 à 10:32
Merci à François Ouellet pour ce compte rendu précis et bien informé de mon ouvrage.
De fait, je n'ai pas écrit un livre facile à classer et je finis par croire que c'est un peu ma marque de fabrique. Mes ouvrages sont dans tous les sens du terme des "essais". François Ouellet l'a parfaitement analysé.
Je "visite" des vies, des endroits, des pans d'histoire, au gré des rencontres et des coups de coeur. J'aime exhumer aussi les "vies minuscules" qui ont ont fait le tissu d'une époque, notamment celles de ces femmes qui furent des pionnières et qui ont laissé parfois une œuvre, parfois seulement quelques traces.
Reste l'espace de création à partager avec les lectrices et les lecteurs.
La présente recension en témoigne !