J’ai parlé, il y a quelques mois dans cette chronique, de Maria Borrély (1890-1963), une romancière d’exception de la Haute-Provence. Voici qu’une belle biographie vient de lui être consacrée par Danièle Henky aux éditions Le Papillon rouge, Maria Borrély. La Vie d’une femme éblouie. La biographe, qui a commencé à s’intéresser à Maria Borrély au début des années 2000, a pu avoir accès aux archives de l’écrivaine, se nourrir des souvenirs de Pierre Borrély, le cadet des deux fils de l’écrivaine, qu’elle a maintes fois rencontré, travailler aux premières rééditions avec Paulette Borrély, la femme de Pierre. Par François Ouellet
Le 25/12/2022 à 09:00 par Les ensablés
2 Réactions | 339 Partages
Publié le :
25/12/2022 à 09:00
2
Commentaires
339
Partages
De Maria Borrély, née Brunel, nous ne connaissions rien avant que les éditions Parole rééditent les trois romans parus du vivant de l’auteure dans les années 1930 (Sous le vent, Le Dernier Feu et Les Reculas), un quatrième roman posthume, Les Mains vides (1989), et enfin un très bel inédit, La Tempête apaisée.
Cette offensive éditoriale a été soutenue par l’édition d’une plaquette de Paulette Borrély. Mais en traçant succinctement le parcours de vie de l’écrivaine, Paulette Borrély suscitait aussi bien des interrogations chez le lecteur intéressé. Certains aspects devenaient énigmatiques, déconcertaient : comment expliquer que l’auteure avait soudainement cessé de publier tout en continuant à écrire, par exemple ? Ou comment expliquer le va-et-vient de la romancière militante entre les socialistes et les communistes ? La biographie de Danièle Henky permet au lecteur de remplir ces « manques » et de mieux comprendre une posture littéraire qu’il savait déjà être tout à fait inhabituelle.
Maria Borrély est une femme singulière, ou plus exactement qui saura trouver dans les circonstances l’expression de sa singularité. Des cinq enfants de la famille, elle est à seule à bénéficier d’un enseignement secondaire. Frappée par la poliomyélite à quatre ans, en 1894, elle requiert une attention et des soins que ses parents ne peuvent momentanément lui apporter. Elle est alors confiée à sa tante Madeleine et à son oncle Louis Dufort, directeur du journal radical Le Petit Marseillais.
Maria habitera avec eux une douzaine d’années. Progressiste, Dufort inscrit Maria au collège, où elle va se doter d’une solide culture classique. À seize ans, en 1906, lorsqu’elle franchit le seuil de l’École normale d’institutrice de Digne, Maria a un tempérament déjà bien à elle : frondeuse, droite, persévérante, fougueuse, nerveuse, elle sait faire des compromis lorsque ses intérêts sont en jeu, mais elle est bien décidée à trouver par et pour elle-même une voie d’émancipation qui est à la portée de peu de femmes de l’époque.
À Certamussat, où elle est institutrice, la liberté de ton et de mœurs de Maria dérange ; au moment de demander sa mutation dans un autre établissement, elle accepte la demande en mariage d’Ernest Borrély, également instituteur. Bientôt ils sont tous les deux en poste à Saint-Paul, un village qui surplombe le torrent de l’Ubaye, avant d’être affectés, après la guerre, à Puimoisson, sur le plateau de Valensole, où ils habiteront pendant quatorze ans. La guerre les a rendus profondément pacifistes.
Ils ont des idéaux qui orientent leur enseignement ; sensible aux méthodes participatives que développe alors le pédagogue et syndicaliste Célestin Freinet, Maria écrit dans L’École émancipée, revue affiliée à la CGT. Outre son engagement pédagogique, Maria devient secrétaire du syndicat des instituteurs des Basses-Alpes, dont le journal Le Travailleur des Alpes, qu’elle a fondé, recueille ses articles. Lors du Congrès de la SFIO (socialiste) en décembre 1920, à Tours, auquel ils participent, Marie et Ernest sont favorables à la création de la SFIC (communiste).
Malgré ses activités pédagogiques, syndicales et politiques, et sans compter qu’elle est mère de deux enfants, Maria a toujours cultivé un profond désir d’écrire. En 1927, elle a publié à compte d’auteur un essai sur le végétarisme (Aube), qui représente pour elle une philosophie de vie en accord avec une forme d’harmonie universelle et avec la nature paysanne, mais aussi une forme de résistance face au capitalisme inique qu’elle exècre et au progrès technique qui ravage le mode de vie rurale.
Mais à l’époque où Jean Giono publie ses premiers romans régionalistes (1929-1930), elle se tourne elle aussi vers la forme romanesque pour rendre compte de la réalité paysanne qu’elle connaît. Giono, devenu un ami cher, et plus encore pour Ernest, l’aide à publier ce premier roman dont il a suggéré le titre à son amie, Sous le vent (Gallimard, 1930), dont la mince intrigue est inspirée par un drame survenu à Puimoisson. Suivront Le Dernier Feu (Gallimard, 1931) et Les Reculas (Gallimard, 1936).
Pour Maria, ce sont des années intellectuellement riches et politiquement tumultueuses. Mais la romancière, d’un tempérament entier, à l’humeur véhémente, reste fragile, n’échappe pas à la dépression. À Digne, où la famille habite à partir de 1933, elle lit de plus en plus de poésie, s’enferme en elle-même, se soucie très peu des exigences du monde extérieur. Alors qu’Ernest est plus engagé que jamais dans le travail syndical et politique, au moment où la paix et l’équilibre de l’Europe sont de nouveau en péril, Maria a renoncé à ses activités militantes, et elle cesse d’enseigner ; il faudra les événements tragiques de l’Occupation pour qu’elle retrouve son énergie dissidente et combattive.
Mais peu après la Libération, elle demande le divorce afin de régulariser une situation conjugale qui allait de travers depuis plusieurs années. Ce qui ne l’empêchera pas, à la fin des années 1950, de recueillir et de soigner Ernest chez elle, dans les derniers moments de vie de cet homme qui fut son seul amour.
Les dernières années de Maria ont été solitaires. La lecture et l’écriture l’occupent jusqu’à la fin. Mais depuis 1936, elle n’a rien publié, elle écrit pour elle-même. Sans avoir renoncé à ses convictions (malgré ses désillusions), elle reste intègre face à l’injustice et à la souffrance du monde, mais une certaine sagesse l’a amenée à se replier sur ses passions intimes. Communiste, elle n’a pourtant jamais cessé d’être une lectrice de la Bible ; la spiritualité l’a toujours attirée ; sur le tard, elle noue une amitié avec l’écrivaine et aventurière Alexandra David-Néel qui, après la guerre, s’est fixée à Digne où elle a fondé un ermitage lamaïste.
Maria Borrély n’a sans doute pas produit l’œuvre qu’elle a pu rêver, et elle ne laisse qu’une poignée de livres, mais ce sont des livres qui comptent, qui sont de la plume d’une écrivaine authentique. Maria Borrély. La Vie d’une femme éblouie est un livre qui restitue à cette vie sa logique et sa cohérence, qui à cette femme rend justice, car il est toujours respectueux de son sujet, dans le sens où il sonne vrai.
À ce travail biographique éclairant et bienvenu, on peut parfois reprocher, néanmoins, un traitement romanesque qui cherche à mettre la figure de Maria Borrély à la portée de tous. Peut-être est-ce aussi la raison du titre un peu étonnant de la biographie : il s’agit ici d’une « femme éblouie » et non de l’écrivaine. Certes, la femme transcende l’écrivaine, et cependant l’écriture occupe une place fondamentale dans sa vie ; du reste c’est bien la qualité de l’œuvre littéraire qui a motivé le projet biographique, qui rend la biographie pertinente.
Curieusement, Danièle Henky ne dit pas un mot du roman La Tempête apaisée, comme s’il n’existait pas. C’est pourtant un texte d’une réelle beauté. Négligence, oubli volontaire (pourquoi ?) ? Comme l’édition de ce roman aux éditions Parole est muette quant à la date et aux circonstances de composition, il était d’autant plus nécessaire de s’y attarder. Pire : ce titre est absent de la bibliographie des ouvrages de Maria Borrély produite par D. Henky à la fin du volume !
Si La Tempête apaisée est un roman plutôt difficile d’accès, il est illuminé par une forme de spiritualité très fine, très belle, qui semble aller dans le sens du travail de réécriture entrepris par l’auteure, à partir des années 1940, de ses premiers romans, auxquels elle disait manquer de « transcendance ». On peut supposer que l’écriture de cet ultime roman daterait de ces années de réécriture, et il serait peut-être le modèle même de l’idéal romanesque de Maria Borrély. Un romanesque déchiré par les passions, par la discorde, par les péchés qui accablent les hommes et les femmes, mais qui est aussi empreint d’un humanisme luminescent.
François Ouellet — décembre 2022
Par Les ensablés
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Danièle Henky
25/12/2022 à 17:03
Merci beaucoup, Monsieur Ouellet, pour cette analyse très minutieuse et complète de la biographie que j'ai consacrée à Maria Borrély. Vous rendez très bien compte, dans votre bel article, de mon travail.
Permettez-moi cependant de vous répondre à propos de votre remarque : " il s’agit ici d’une « femme éblouie » et non de l’écrivaine. " Je n'ai pas du tout voulu distinguer la femme de l'écrivaine. L'une nourrit l'autre et vice versa. Mon intention n'était pas de valoriser le destin de la femme en occultant l'écrivaine. C'est parce que Maria était la femme qu'elle était, qu'elle est précisément devenue cette écrivaine particulière. Pas plus qu'on ne peut séparer la vie de Colette de son œuvre par exemple, on ne peut séparer la vie de la Maria Borrély de ses écrits profondément politiques et mystiques au sens le plus profond des termes. Ses textes journalistiques ou romanesques sont la pure émanation de sa personne.
Quant à la "Tempête apaisée", c'est une œuvre posthume dont j'ai pris connaissance tardivement. Elle a été publiée par Paule Borrély, la belle fille de Maria. L'état des manuscrits non publiés consultés aux archives de Digne cependant pose problème. Il s'agit de paiers épars écrits au crayon de paier parfois difficilement lisibles. Et je pense qu'il faudrait peut-être se livrer à une étude approfondie avant d'en établir les textes le plus authentiquement possible. C'est pour cette raison, par honnêteté intellectuelle, n'étant pas dans la possibilité d'évaluer leur contenu à 100% que je n'ai pas jugé bon d'en faire état. D'autant que la biographie ne s'appuyait que sur les livres publiés du vivant de Maria.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir si bien lue en tout cas et d'avoir permis cet échange. Il est toujours très fructueux pour une auteure e pouvoir s'expliquer de ses choix.
Avec mes salutations très cordiales,
Danièle Henky
sylviane gentil
26/03/2023 à 19:27
Bonjour,
Je travaille actuellement sur Maria Borrely et j'aimerais savoir si l'on peut consulter ses poèmes, qui je crois n'ont jamais été publiés. Peut-on les consulter aux archives de Digne ? Merci de votre réponse, bien cordialement,
Sylviane Gentil