Jacques Chardonne (1884-1968), le « romancier du couple », de Destinées sentimentales et de Romanesques, dont Gallimard a édité récemment la correspondance en trois volumes avec Paul Morand, a encore des lecteurs fidèles et convaincus — j’en connais quelques-uns. Ce n’est donc pas tout à fait d’un écrivain ensablé qu’il sera ici question, mais d’un livre que presque personne n’a lu, puisqu’il s’agit d’un ouvrage, écrit en 1943, qui était prêt pour l’impression, mais que Chardonne renonça à publier: Le Ciel de Nieflheim. Pour ses amis, Chardonne avait néanmoins procédé à un faible tirage privé ; on en trouve parfois un exemplaire en vente à fort prix en ligne. Par François Ouellet
Le 24/09/2023 à 12:11 par Les ensablés
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24/09/2023 à 12:11
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Ce livre, on peut maintenant le lire quatre-vingts ans plus tard grâce au travail éditorial de Rémi Ferland, directeur des Éditions Huit, à Québec. Éditeur scrupuleux, spécialiste du roman canadien-français du 19e siècle, grand lecteur de l’œuvre de Marcel Jouhandeau, Rémi Ferland a attiré l’attention des médias sur son catalogue, il y a une dizaine d’années, à la faveur de l’édition critique en un seul volume (par les soins de Régis Tettamanzi) des pamphlets antisémites de Céline (Écrits polémiques, 2012).
Le Ciel de Nieflheim a été écrit en pleine occupation de Paris par les Allemands. La renaissance de ce livre « rare et maudit » profite du savoir-faire minutieux de Rémi Ferland. L’éditeur a choisi de reproduire l’ouvrage en fac-similé et, afin de le situer dans son contexte historique et littéraire, de l’accompagner d’un impressionnant appareil critique : une solide introduction de près de soixante pages ; une centaine de pages de notes ; près de deux cents pages d’articles et de lettres de Chardonne dont les sujets sont proches de son ouvrage, d’interviews accordés par celui-ci et de comptes rendus parus dans les journaux concernant la production littéraire de l’écrivain pendant la guerre et les deux fameux séjours à Weimar d’écrivains sympathiques à l’Allemagne.
Le Ciel de Nieflheim se présente comme une apologie du national-socialisme. Rémi Ferland fait remarquer que le mot « nazi » ne figure que deux fois dans tout l’essai et que celui de « nazisme » en est absent, ce qui témoigne du fait que « Chardonne a adhéré à une doctrine davantage qu’à un régime ». Chardonne n’était par ailleurs guère antisémite. Pour nourrir son point de vue, l’écrivain cite abondamment Ortega y Gasset, l’auteur de La Révolte des masses, « qui a si bien compris les maladies de ce temps », mais aussi l’économiste Werner Sombart, l’écrivain Ernst Jünger, Ernest Renan et bien d’autres. Les références auxquelles puise Chardonne sont si nombreuses que Le Ciel de Nieflheim est un singulier objet : la pensée de Chardonne, ses références paysannes, ses amours et ses dégoûts, se déploient à travers de larges pages qui ne sont parfois que de la paraphrase.
Esprit conservateur, Chardonne est préoccupé par une certaine décadence de la France en regard de ce qu’elle a été et, cela en découlant, de ce qu’elle représente pour lui : une société soudée par ses coutumes, où il fait bon vivre parce qu’elle jouit d’une « beauté morale », qui a « le sens de la souveraineté » et qui est vivante parce que la hiérarchie qui lui est propre repose sur une foi commune entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Vis-à-vis de la France, l’Allemagne l’impressionne, car en très peu de temps, après sa défaite en 1918 et l’humiliant Traité de Versailles qui en découla l’année suivante, elle a « surmonté le désordre de la civilisation » et porté au pouvoir un chef dont « le rôle consiste à traduire en actes la volonté du peuple », selon l’expression de l’historien collaborationniste Jacques Benoist-Méchin, que Chardonne reprend à son compte. Parce qu’il « élargit la notion de sacré sans l’altérer », le national-socialisme amène les hommes à « vivre au plus haut d’eux-mêmes », les engage vers une éducation spirituelle et une émulation fraternelle, où chacun agit et travaille pour le bien de tous, il vise à « la restauration de l’âme dans la société », sachant que toute destinée n’a un sens que si elle est spirituelle.
Cette adhésion de Chardonne à l’Allemagne est par ailleurs motivée par sa crainte très vive de la Russie communiste et son refus du matérialisme anglo-saxon. Les États-Unis se comportent en conquérant déterminé par le seul profit, l’esprit bourgeois et l’argent ayant détruit l’ordre ancien. « Le libéralisme politique est l’expression des sociétés sans liens et déjà dissoutes, qui n’admettent aucune supériorité, ni personne qui puisse dicter à l’homme son devoir, et qui nomment progrès le perpétuel accroissement des jouissances. » De sorte que « [l]a victoire des Américains serait l’hégémonie de la civilisation la plus vide qui ait paru sur terre ». À l’avenant, la France, héritière des idées délétères de la Révolution française, a cédé le meilleur d’elle-même au profit d’un avancement démocratique qui n’a fait qu’enrichir certains au détriment de la majorité, la liberté et la justice n’étant, pour Chardonne, que des mystiques dans un marché de dupes.
Dans cette perspective, l’Allemagne devient un rempart nécessaire pour la France contre la Russie et les États-Unis, et paraît promue à la sauvegarde et à la reconstruction de l’Europe. Le collaborationnisme de Chardonne est foncièrement spirituel, il s’agit de « sauver l’esprit » de la France.
Le Ciel de Neiflheim se lit d’une traite, bien que ce soit une lecture exigeante, voire rébarbative. Les dernières pages, très belles, nostalgiques du terroir, font miroiter l’éternel et la fragilité. Mais on croit un peu rêver en lisant Chardonne. Son éloge du national-socialisme est idéalisé, déconnecté de la forme de délire barbare dans lequel se sont incarnées les qualités les plus louables. Roger Martin du Gard, à qui Chardonne avait remis une copie privée du Ciel de Neiflheim, voyait très juste, notant dans son journal : « Livre de haute qualité, d’une sagesse hautaine qui a de la noblesse et de la grandeur. Farci de réflexions justes, et souvent profondes. Mais il ne regarde jamais la médaille que du côté face. Il ne fait état que de la doctrine nazie et de ses intentions. Jamais des actes de l’Allemagne nazie. »
Et pourtant, qui ne donnerait pas raison à l’auteur au moins sur le point suivant : avec l’économie libérale, quelque chose du sel de la vie s’est perdu ? Car Chardonne est avant tout un écrivain épris de sens et de sacralité dans un univers qui en a de moins en moins. Il faut lire Le Bonheur de Barbezieux (1938), dans lequel l’auteur évoque son enfance charentaise, pour comprendre le monde de Chardonne. « La nostalgie du microcosme provincial [de Barbezieux et de la Charente] conduit ainsi à une justification d’un ample conservatisme, étendu, comme panacée, à l’échelle européenne », note avec justesse Rémi Ferland.
Chardonne franchit le pas de la collaboration avec la publication, en 1941, de Chronique privée de l’an 1940 et Voir la Figure, appelant la soumission à l’envahisseur dans un esprit de coopération. Déjà s’y déployait la rhétorique de la France décadente et de l’Allemagne salvatrice de la civilisation, remède contre « le monstre asiatique » qu’est la Russie. Cette même année, il sera du congrès des écrivains à Weimar. Le Ciel de Nieflheim viendra clore l’épisode collaborationniste, que cependant Chardonne juge plus sage de ne pas publier.
Arrêté le 12 septembre 1944 pour son engagement collaborationniste, il bénéficie d’un non-lieu en mai 1946 à la faveur des témoignages de son fils Gérard Boutelleau, engagé dans la Résistance, d’André Bay, son beau-fils et le nouveau directeur littéraire des éditions Stock, et de l’éditeur Jean Paulhan.
On peut consulter le catalogue des éditions Huit et se procurer Le Ciel de Nieflheim sur le site de l’éditeur.
François Ouellet — août 2023
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Le manga Gambling School, également connu sous le nom de Kakegurui, est une série qui captive par son intrigue fascinante où se mêlent jeu, psychologie et manipulation. Plongeons ensemble dans cet univers où les enjeux ne sont jamais simplement matériels, mais souvent profondément psychologiques.
13/09/2024, 12:10
Olivier Truc c’est notre frenchy devenu l’ami des rennes et des Lapons : il vit depuis de nombreuses années en Suède, à Stockholm, où il a été correspondant pour Le Monde. C’est la série La police des rennes (une sorte de police rurale de l’ethnie Sami) qui a placé cet écrivain en haut de nos étagères de polars. Aujourd’hui sur les traces de ce Premier renne, Olivier Truc nous emmène à Kiruna, la plus grande mine d’Europe.
12/09/2024, 12:45
Vous êtes à Belle-Rose, au fin fond de la Savoie. Si ce nom de village peut vous inspirer une douce promenade bucolique sous un soleil clément, méfiez-vous. Car les apparences sont trompeuses, ici comme ailleurs : si il est facile de croire que ce petit coin de montagne est un lieu de sérénité, loin des tumultes des grandes villes et de leurs dangers, vous vous trompez. L’Eau Rouge, rivière qui se glisse entre les hauteurs, est devenu le berceau d’un meurtre.
11/09/2024, 18:33
Rentreelitteraire2024 — Lors d’un déjeuner familial dominical, Géraldine assiste, impuissante, à l’effondrement soudain de sa grand-mère, presque centenaire. L’arrivée précipitée des pompiers confirme le diagnostic : il s’agit d’un AVC.
11/09/2024, 13:07
En 2015 paraissait Les Jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ? de Thomas Guénolé – analyse sociologique et politique qui vise à déconstruire les stéréotypes véhiculés sur les jeunes issus des banlieues françaises. 2024, l’auteur reprend son bâton de pèlerin, cette fois avec une bande dessinée documentaire. Mais le projet demeure inchangé.
11/09/2024, 11:01
Définitivement, Black Science est un chef-d'œuvre dans le domaine de la SF : l'ambition narrative de Rick Remender, déjà savourée (car savoureuse) dans les premiers tomes, se conjugue avec le trait de Matteo Scalera, pour de nouvelles aventures. Goûtues.
11/09/2024, 09:20
RomansRentree2024 – Rentrée littéraire de l’imaginaire. En fidèle lectrice de la collection Épik des éditions du Rouergue, il m’était impossible de résister à l’appel d’un premier roman chaudement recommandé par Marine Carteron, qui loue « un univers à la croisée du Royaume de Pierre d’Angle et de Game of Thrones ». Face à ces deux mastodontes de l’imaginaire, la promesse d’une nouvelle plume inoubliable : Nena Labussière.
10/09/2024, 17:29
Rentreelitteraire2024 — Devenir-sœur : Repères dans un siècle de féminismes polonais est une exploration des mouvements féministes en Pologne, compilant 14 textes inédits datant de 1907 à 2020 qui n'avaient jamais été traduits en français.
10/09/2024, 13:42
Confinement, technopolice, surveillance automatisée, IA, épuisement des ressources, émeutes, violences policières, ghettoïsation... mais aussi, et malgré tout, les aspirations à une société plus égalitaire, plus solidaire, plus joyeuse et émancipatrice, développant de nouvelles sensibilités.
10/09/2024, 12:21
Vinícius de Moraes, principalement connu pour avoir inventé la bossa nova avec son ami Antônio Carlos Jobim, était également poète, un des plus grands du Brésil même. Les éditions Seghers lui rendent hommage avec ce recueil titré Je te demande pardon pour t'aimer tout à coup (trad. Jean-Georges Rueff).
09/09/2024, 16:29
Après Vincent qu’on assassine (Gallimard) et Un instant dans la vie de Léonard de Vinci (Gallimard), Marianne Jaeglé a fait paraître en mars dernier cet époustouflant roman historique qui fut récompensé depuis par le prestigieux Prix Orange du Livre : L’ami du prince (Gallimard, 2024).
09/09/2024, 16:11
La région des Appalaches et les états que traverse la chaîne, comme la Géorgie ou les deux Caroline (Nord et Sud), nous ont généralement valu pas mal de bons bouquins, souvent des « romans noirs ». Pas plus tard que cette année, le Britannique R. J. Ellory nous y invitait avec l’excellent Au nord de la frontière (trad. Fabrice Pointeau).
09/09/2024, 12:12
Dans un monde où la personnalisation et la créativité s'invitent dans tous les domaines, les bibliothèques ne font pas exception. Loin d’être de simples rangements pour les amateurs de livres, elles deviennent des espaces de vie, empreints d’inspiration et de magie.
09/09/2024, 11:13
26 femmes se racontent librement. Dynamisme, ténacité, compétence, créativité sont leur marque de fabrique. Une écriture agile à savourer pour découvrir l’universalité de la vie de ces 26 femmes. Un kaléidoscope coloré, teinté de sociologie, qui se lit comme un roman. Diversité culturelle, énergie, passion, expertise… un véritable cocktail littéraire !
07/09/2024, 08:00
Dix mille exemplaires de différence entre le livre de Freida McFadden, numéro 1 des ventes de la semaine avec La femme de ménage (trad. Karine Forestier, J'ai lu) et le 10e : Tillie Cole, Mille baisers pour un garçon tome 2 : Mille morceaux de coeur brisé (trad. Charlotte Faraday, Hachette roman). Cette 35e semaine (26/08 au 1er/09) réserve cependant quelques étonnements.
06/09/2024, 11:17
#RomanMilan — Charlie se retrouve soudain dotée d’un superpouvoir qu’elle ne maîtrise pas, mais alors pas du tout : elle se met à parler un langage incompréhensible ! Reste à découvrir pourquoi... Un livre qui inaugure la nouvelle collection Roman Milan 7+.
05/09/2024, 17:11
Les éditions Fleuve noir ont eu l'excellente idée de lancer une série livresque dérivée de la désormais mythique série Le Bureau des Légendes. Un spin off, comme on dit pour faire genre : de quoi ravir les nombreux fans de la série tv. Et pour ce premier épisode intitulé Les mouettes, la réalisation a été confiée au journaliste-écrivain Thomas Cantaloube, un reporter de guerre qui connait bien les Balkans et le Sahel et que l'on connait déjà pour ses thrillers géopolitiques comme Requiem pour une République ou encore Frakas.
05/09/2024, 16:11
Victime pas vraiment colla†érale, le commissaire Jim Gordon a subi plus qu'à son tour les farces mortelles du Joker. Et le scénariste James Tynion IV, reconnu pour son travail sur Batman et Something is Killing the Children, s'emploie à confronter les deux personnages. Quête morale, horreur psychologique et instincts meurtriers : souriez, le clown est là.
05/09/2024, 11:26
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