Il se présente sans fioriture, avec un sourire presque timide : « Bonjour, Aurélien. » Mais on le connaît mieux sous le nom d’Orelsan : rappeur, comédien, réalisateur, il ajoute une corde de plus à son arc, en prêtant sa voix à Saitama, le personnage de la série One Punch Man. Le doublage d’anime, une première, mais Orelsan c’est de l’autodérision, un certain flegmatisme et une grande dose d’humanité. Une vraie rencontre.
Le 29/07/2016 à 16:39 par Nicolas Gary
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29/07/2016 à 16:39
Un magazine littéraire qui vient à sa rencontre Orelsan sourit et après quelques minutes, lâche : « Victor Hugo, je ne connais pas si bien que ça. »
Orelsan : C’est justement parce que je ne connais pas si bien que je peux me permettre de dire ça [rires]
Son manga favori ? Slam Dunk, des années de basket sont là pour le confirmer. Un livre de chevet ? Ikigami, Préavis de mort de Motoro Mase, un seinen publié chez Kaze. Et juste avant c’était Warren Ellis, Gun Machine (traduction par Claire Breton)
Orelsan : Souvent, je lis plusieurs bouquins. Comme pour les films : en fonction de mon humeur, j’en prends un, je l’arrête. J’ai lu Les dents de la mer la semaine dernière et en même temps, Vernon Subutex 2. J’aime bien les livres bouquins de développement personnel : j’en ai toujours un à droite ou à gauche.
Comme ils présentent pas mal de psychologie, plus ou moins fine, c’est pratique pour les personnages ou trouver de l’inspiration pour des paroles. Et, bon, c’est un peu kitch, mais ça me plaît : le développement de soi, ça me parle.
Orelsan : Justement, tout ce qui est littérature classique, genre Victor Hugo. En fait, Les Misérables, maintenant que tu en parles, je ne sais pas si je l’ai lu en entier. La moitié, peut-être même pas, un quart. Et pourtant quand je prends ces livres, les classiques, je me dis « Ça défonce, c’est trop bien ». Et au final, ça me prend trop de temps, et... bon, on a trop grandi dans une culture de divertissement pur.
Dès fois, j’essaye de me mettre à un classique – tiens, Dostoievski que j’ai retenté. Franchement, les cinquante premières pages, putain, tu le sens, c’est génial. Évidemment, d’ailleurs... ce sont des classiques, quoi. Et au bout d’un moment, j’arrête, mais je ne reprends jamais.
Orelsan : [hilare] Maintenant, y’en a plein, en plus, je suis plus du tout à jour. Bon, déjà y’a cette dimension d’immense épopée, où l’on suit des personnages sur un temps très long. Et puis, c’est un mélange parfait d’humour, d’aventures, de bons sentiments, d’originalité... J’adore le fait que ce soit un monde fantastique. One Piece, y’a tout dedans, et c’est c’est super bien écrit. Quand ils font un truc, c’est à fond. Tu vois, le côté fantastique est super puissant, un peu comme on le trouve dans Alice au pays des merveilles.
Orelsan : [rires] Je sais pas... en vrai je ne crois pas que ce soit la réponse à tout. Après, bon, lui, il fait ça parce qu’il y a des vrais méchants. Dans le monde réel, abattre les gens, c’est pas une solution.
Orelsan : [Illico] Oh, c’est Batman. Tu vois, il n’a pas de don ni de pouvoir particulier – à part que c’est un super détective... et qu’il est riche. C’est quand même un don pas négligeable. Il a surtout une face obscure qui est attirante. Bon, après, je connais pas si bien les comics.
Dans mon deuxième album, j’apparais avec un masque, qui ressemble à celui de Robin quand il est en Nightwing. Ça ressemble aussi à The Comedian, de Watchmen, mais c’est pas moi qui ai élaboré le masque, donc peut-être que David Tomaszewski, qui avait fait le clip, kiffe Watchmen à mort – et c’est lui qui a fait ce masque.
Orelsan : [rires] Ce serait certainement une sorte de version pornographique de Pocahontas, ou Pocahoun-pétasse, j’en sais rien. [grand sourire]
Orelsan : Mouarf ! Quand on chante ça, dans Jimmy Punchline, c’est du pur égotrip – c’est d’ailleurs tout le principe de cette chanson. Et puis, je le dis en totale ironie. Une fois, j’avais lancé : « J’écris ma poésie au lance-roquette, John Rimbaud », en croisant les deux.
Après, la poésie, surtout Baudelaire et Rimbaud, ce n’est pas vraiment ma culture. Peut-être que j’apprendrai à apprécier en vieillissant, mais j’ai du mal avec tout ce qui est trop imagé. Bukowski, par exemple, j’aime pas trop. Baudelaire, j’ai toujours eu du mal à accrocher. C’est con, mais je suis presque plus fan de Jacques Prévert.
Je vois pourquoi ce sont des génies : c’est juste pas ma forme de prédilection. Je préfère la narration.
Orelsan : C’est marrant j’avais cette discussion, en parlant des gens qui travaillent dans les CDI, tu sais, ces endroits que l’on sous-estime quand on est au lycée. Ce sont des professionnels, avec une formation d’enseignant, et qui sont là pour t’apprendre comment te documenter.
Les bibliothèques, à l’ère du numérique, comment les faire exister de manière physique, je ne sais sincèrement pas. Mais leur rôle que d’apprendre aux gens à lire, à se cultiver par passion, bien sûr, c’est essentiel.
Moi, j’écoute beaucoup de livres audio, le côté pratique, mais aussi sur l’iPhone ou l’iPad. J’apprécie, une fois encore, d’avoir plusieurs outils à portée de main.
C’est super important, comme pour beaucoup de passion d’ailleurs, d’apprendre le goût du plaisir. L'école met trop l’accent sur le côté fiche de lecture et littérature, mais, je trouve, pas assez sur cette dimension « Faites-le pour vous, parce que c’est agréable ». La lecture pour le plaisir, c’est tout simple. Que les enfants commencent à lire du manga, et quand ils auront fini, ils auront envie de passer à autre chose.
Orelsan : Manga, faut pas oublier, ça veut dire « bande dessinée », donc ça inclut énormément de styles différents. Ensuite, on considère le cinéma comme un art, mais on retrouve dans le manga tous les notions de mise en scène, de découpage, de scénario, d’écriture. Il ne manque que l’acting. Avec ce point que l’on peut faire des mangas sur tout, avec de longues séries et des thèmes variés. L’histoire d’un guitariste connu, ou sur le vin – et on va y apprendre de véritables choses. Ou un autre sur la Grèce antique et on se retrouve plongé dedans.
Les Japonais ont une approche très rigoureuse et assez onirique. Si tu lis des mangas de Tezuka, on trouve des choses futuristes très cool... Il y a énormément de poésie et de beauté.
Et puis ce sont des équipes qui bossent, un scénario n’est pas écrit à l’arraché, c’est un travail collectif. Cette dimension me plaît beaucoup, la collaboration.
Orelsan : Hmm... je pense que je vais me la reprêter à moi-même d’abord, pour faire mon album. Pour l’instant, j’ai rien cela dit, avec quatre morceaux, qui ne sont pas si ouf que ça. Si je me débrouille bien, ce sera dans un an, minimum... et puis si ça doit être dans deux ans, ben voilà. Je travaille toujours avec Skread [le producteur], mais on cherche aussi d’autres personnes.
Orelsan : Ah, un livre audio, c’est sûr. C’est un projet que j’ai depuis longtemps, je finirai par me lancer. Tout dépendra de l’endroit où j’en suis – pour le moment je n’ai pas de titres en tête. Là, je suis en train de réécrire un film, avec un univers réaliste un peu contemporain. Pour un livre, je voudrais aller plus loin, et m’autoriser des choses que je me refuse pour l’instant au cinéma.
Justement tout le côté épique me plairait beaucoup. Un réalisateur que je kiffe à mort, c’est Peter Jackson : il a commencé dans le gore absurde, pour arriver à des choses assez belles, comme Créatures célestes et il finit avec le Seigneur de Anneaux, qui pour moi est un chef d’œuvre. J’aimerais bien avoir ce genre de cursus.
Ça me plairait de faire quelque chose d’aussi immense ; pas nécessairement dans l’héroic fantasy, parce que ce n’est pas le domaine que je maîtrise le plus.
Orelsan : Je suis content, parce que ça reflète bien les périodes de ma vie. Je suis toujours dans la recherche de ce que je vais faire là. Mon premier album, c’était l’histoire d’un mec qui sait pas où il se trouve dans la société. Le deuxième, c’était un changement de place, avec plus d’importance, et une tentation permanente.
En fait, je suis un mouvement, et le prochain album me ressemblera toujours. Je ne vais pas partir dans quelque chose de trop différent. Le petit risque, c’est l’envie d’évoluer, sans complètement changer. Sur d’autres artistes, dont je suis fan, quand j’assiste à une rupture radicale, j’apprécie moins.
C’est pour ça que j’apprécie quelqu’un comme Virginie Despentes. Avec Vernon Subutex, on a vu qu’elle avait évolué, mais elle a conservé cette touche d'irrévérence et de haine. Mais plutôt que de la conférer à tous ses personnages, elle l’a appliqué à certains. Elle sait construire des métaphores, et ce que nous on appelle des punchlines, et ce talent, elle le met au service de ses personnages. Comme ça, elle les fait évoluer, dans un film choral – et tout n’est plus ce que l’on croyait.
C’est ce que j’aimerais faire sur mon album... mais pour l’instant... ben c’est dur !
Orelsan : Eh ouais, c’est une respiration, et c’est plus dynamique dans la forme. On avait ce rôle de deux personnages de trente ans un peu paumés, et on le rendait plus fun. Seul, je suis dans l’introspection, avec Gringe c’est une sorte de paraître... tu racontes jamais la même chose quand tu es avec tes potes qu’en te retrouvant tout seul.
Ça amène une forme de légèreté et de dynamisme... de la fraîcheur aussi en travaillant à plusieurs. Je ne savais pas vraiment comment le personnage Orelsan devait avancer, et fermer la boucle de ces types d’une vingtaine/trentaine, un peu largués...
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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