Des Livres & Délices est une toute jeune librairie de sept mois, ouverte à Raleigh, en Caroline du Nord. Oui, un établissement francophone. Plus qu’une simple librairie, il s’agit d’un concept store, puisqu’y ont été adjoints l’épicerie fine que gère le mari de Laurence Kneuss. « La librairie existe, dans mon esprit, depuis de nombreuses années puisqu’elle est un rêve d’adolescente », avoue-t-elle.
Laurence Kneuss
Laurence Kneuss : J’ai suivi une formation à l’INFL pour aborder la réalité du métier de libraire, ai effectué un stage à la jolie librairie de Wilfried Sejeau, le Cyprès-Gens de la lune à Nevers. Par la suite, nous avons vendu notre activité en Bourgogne et avons décidé de venir nous installer aux USA pour ne plus avoir à subir des charges exorbitantes. Il nous a fallu un an pour obtenir ici le visa investisseur, trouver un local bien situé avec un loyer convenable, faire les travaux et nous installer.
J’ai souhaité créer la librairie autour de la francophonie. Il me semble important de montrer, ici aux USA, que la langue française est écrite dans le monde entier. C’est pourquoi elle propose uniquement des auteurs francophones, en Français, pour certains traduits en anglais, et rassemble des livres (littérature, sciences humaines, bandes dessinées…) pour adultes et la jeunesse, sans oublier le FLE (Ndlr : Français Langue Etrangère).
Laurence Kneuss : Depuis ces dernières années, la fermeture historique de Borders et de nombreux points de vente de Barnes & Noble ont permis la création de nombreuses librairies indépendantes. Selon ABA (American Booksellers Association), le nombre de ses adhérents a grimpé de plus de 20 % l’année dernière.
De nombreux Américains privilégient le shop local, et leur retour dans les librairies où ils trouvent un accueil, des conseils et des évènements est de plus en plus marqué. On comptait en 2017, 2 321 librairies indépendantes à travers le pays.
Le gouvernement Trump a ordonné à Amazon de réparer son « oubli » de versements de taxes dans certains États et d’annuler le monopole qu’il détenait chez USPS (la poste américaine). La Caroline du Nord abrite une trentaine d’éditeurs indépendants de tous ordres. À Raleigh même, on trouve deux Barnes et Noble et une vingtaine de librairies indépendantes spécialisées ou généralistes. Aucune ne proposait de livres en Français.
Laurence Kneuss : Aux mêmes problématiques que toute start-up : se faire connaître du plus grand nombre, connaître ma clientèle et les écarts de fréquentation durant l’année, surveiller de près la trésorerie… Mais au-delà de ça, les défis sont nombreux. Déjà, continuer d’apprendre « sur le tas » mon métier de libraire. Je suis une débutante et mes questionnements sont nombreux.
Faute d’offre de livres rédigés en français, un grand nombre de nos compatriotes et autres francophones de Raleigh et ses environs ont pris pour habitude de « faire le plein » de livres lors de leurs retours en France ou de lire sur tablette. À moi de leur faire redécouvrir les plaisirs qu’offre une librairie et de les convaincre d’en reprendre le chemin…
Et puis, il faut être en capacité de proposer de nombreux évènements : venue d’écrivains, opérations avec les distributeurs… Ma clientèle est composée à 85 % d’Américains francophiles/francophones. Aussi, j’essaye de m’appuyer sur les évènements français (nuit de la lecture, journée des librairies indépendantes, etc.) dont ils aiment découvrir les particularités.
Évidemment, l’omniprésence d’Amazon. Que ce soit .fr (pour certains ayant conservé un compte bancaire en France et contre lequel je ne peux lutter…) ou .com contre lequel je peux arguer de mon offre des nouveautés et d’un prix un peu moins élevé. Et pour finir, le temps de transport est PARFOIS aléatoire, non de la faute des distributeurs ou du transporteur, mais d’Air France, tout-puissant dans le choix des cartons à embarquer !
Laurence Kneuss : J’en suis encore à « tâtonner » quant à la sélection des ouvrages. Comme je l’ai mentionné plus haut, une partie des clients est à reconquérir… Mais, actuellement, je fais face aussi à une clientèle qui, de fait, s’est trouvée à l’écart de toute publication française et ne connaît que peu ou prou les écrivains d’aujourd’hui.
Les francophones redécouvrent, pour le moment, les livres qui faisaient la joie de leur enfance, dont les bandes dessinées. Ils tiennent également à ce que leurs enfants pratiquent le français et les livres jeunesse fonctionnent bien. Ces derniers sont aussi très prisés par les Américains qui souhaitent se remettre à lire le Français qu’ils ont étudié… Les livres bilingues, adultes comme enfants, ont un franc succès !
Je n’oublie pas une minorité de francophones bien informés de l’actualité littéraire. Les Américains francophones privilégient sans aucun doute la non-fiction (philosophie, histoire, récits) et la poésie. De nombreux établissements scolaires et universitaires nous entourent. Le niveau est élevé !
Voilà le bilan que je peux tirer de ces sept premiers mois d’activité. Je vais me laisser encore un petit peu de temps pour affiner au mieux cette sélection et même revoir le fonds pour pouvoir répondre au mieux à toutes ces attentes. Pour le moment, je réalise ma sélection d’ouvrages grâce aux informations des diffuseurs et de la presse.
Mais je ne me tourne plus automatiquement vers les meilleures ventes. Elles ne le seront pas ici ! Je garde aussi un œil sur les recommandations de quelques libraires dont j’ai toujours apprécié les choix éclectiques lorsque j’étais en France. Le dialogue s’est instauré également avec mes clients et leurs commandes me permettent de découvrir des ouvrages auxquels je n’aurais pas forcément pensé. Et je lis les épreuves non corrigées que certains diffuseurs ont commencé à m’adresser !
Laurence Kneuss : Pour le moment, elles sont bonnes. Lorsque j’ai rencontré les responsables export en amont de la création de la librairie, certains ont été étonnés, mais aussi enthousiastes à l’idée d’un tel projet. J’en profite pour remercier trois jeunes femmes qui, depuis le début de cette aventure, m’ont apporté leur aide avec beaucoup de patience. Elles se reconnaîtront !
L’éloignement fait que je n’ai reçu pour le moment la visite d’aucun représentant, mais je n’en suis pas étonnée. Le décalage horaire (- 6 heures pour moi) rend les rendez-vous téléphoniques un peu hasardeux !!
Le seul problème rencontré pour le moment est l’état dans lequel les livres arrivent. Les bandeaux sont souvent inutilisables et les livres parfois abîmés, faute de calages dans les cartons… Pour finir, je suis souvent perplexe devant toutes ces références de livres qui m’arrivent par catalogues entiers sans plus d’explication… que celle d’acheter !
Laurence Kneuss : Dès le début de ma démarche de création, nombreuses ont été les personnes à me parler de l’AILF. Aussi, tout naturellement, je me suis tournée vers ces libraires de l’étranger. J’ai eu la chance d’en rencontrer certains lors du Salon du Livre de Paris. Ils n’ont pas été avares de conseils ! Pour le moment, c’est vraiment ce que je recherche : des conseils ! Mais aussi l’envie de faire partie de cette grande famille, unique en son genre, pour pouvoir partager, échanger… J’aimerais aussi profiter au mieux des offres de formation dès que je ne serai plus seule à la librairie…
Laurence Kneuss : Un regard mitigé ! Chacun des protagonistes souhaite se battre pour l’avenir du livre tout en privilégiant son précarré et demandant à l’autre de faire des efforts ! Il me semble que rares sont les initiatives fédérant la filière de l’auteur au libraire… Pourtant, nous avons tous un but commun : rendre accessible au plus grand nombre la connaissance d’une offre littéraire soignée, diverse... Que ce soit sur livre papier ou numérique. Ce dernier ne semble plus être une préoccupation, ses limites semblent être atteintes !
L’unanimité contre Amazon est bien jolie, mais il reste quelques éditeurs et écrivains qui n’oublient pas, sur leur site internet, le petit lien vers celui qu’ils disent exécrer ! Il faut savoir quelle filière ils souhaitent pour le livre de demain… Les libraires indépendants que je connais ont su faire face à ce danger et sont bien vivants ! C’est vraiment ce qui me met en joie et me laisse être positive.
Laurence Kneuss : Pour le bilan, j’ai répondu à travers les questions précédentes. En résumé, il est globalement bon. Les gens commencent à connaître la librairie. Le site internet est en ligne depuis peu. Parmi mes clients apparaissent maintenant les professeurs de français en université, High School, Colleges et leurs étudiants. Commandes et visites sont prévues.
Les projets sont de développer les événements ici à la librairie, mais également faire sortir la librairie de ses murs et aller à la rencontre des nombreux francophones à travers l’État de la Caroline du Nord et pourquoi pas plus loin ? Et puis aussi, trouver le temps de lire plus…
En partenariat avec l'AILF
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
HH
30/08/2019 à 04:20
Du grand n'importe quoi