Partage de la valeur : “stupeur et colère” des auteurs devant l'étude du SNE
Le Syndicat national de l'édition n'espérait sans doute pas un tel accueil à son étude consacrée au partage de la valeur du livre, présentée le 1er février dernier. Plusieurs organisations d'auteurs accusent l’organe patronal de manipulation des chiffres, pour dresser un panorama tronqué du secteur. Le Conseil permanent des écrivains renchérit, pointant « les biais grossiers de cette enquête ».
Le 06/02/2024 à 15:19 par Antoine Oury
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06/02/2024 à 15:19
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Commanditée par le Syndicat national de l'édition, réalisée par le cabinet KPMG, l'étude consacrée au partage de la valeur du livre présentée ce 1er février devait devenir une référence pour le secteur. Dans un communiqué, le syndicat patronal introduisait ces travaux comme un moyen « d’aborder de manière factuelle et objective la question du partage de la valeur entre auteurs et éditeurs ».
Une profession de foi d'autant plus prometteuse que des négociations entre les deux parties sont ouvertes, sous l'égide du ministère de la Culture, et que l'Union européenne s'intéresse de nouveau aux conditions de vie et de rémunération des artistes auteurs.
Une présentation « biaisée »
Les principales conclusions de l'étude, ainsi que les graphiques associés, ont rapidement surpris observateurs et organisations d'auteurs. Il apparaissait en effet, à en croire les chiffres présentés, que les auteurs captaient une part plus importante de la valeur du livre que les maisons d'édition.
La valeur générée, soit la marge sur coûts directs avant droits d’auteurs, s’établit à 42,6 % du CA net éditeur qui se répartit entre les droits perçus par les auteurs (24,8 %) et ce qui est conservé par l’éditeur (17,8 %) pour couvrir ses frais de structure (12,9 %) et contribuer à son résultat d’exploitation avant impôts (4,9 %).
– Extrait d'un communiqué du SNE, 1er février 2024
Dans les faits, libraires, diffuseurs et distributeurs se partagent 51 % du prix du livre hors taxe, mais la maison d'édition récupère bel et bien, sur les 49 % restants, 42,8 %. Certes, salaires, frais de fonctionnement, cotisations et autres dépenses interviennent ensuite, mais plusieurs observateurs tenaient à rappeler cette réalité.
De leur côté, les auteurs ne touchent pas non plus 24,8 % nets, puisqu'il faudrait aussi retrancher leurs propres frais, du coût du matériel aux cotisations sociales. Le manque de rigueur de l'ensemble avait de quoi agacer, surtout lorsque l'étude oublie encore, par exemple, de mentionner que certaines structures d'édition disposent par ailleurs de services de diffusion et de distribution...
Le Conseil permanent des écrivains, sollicité par ActuaLitté, se joint au chœur des récriminations : « Cette étude ne peut qu’inspirer stupeur et colère. La présentation des faits qu’elle propose est biaisée, orientée SNE, commanditaire de l'étude — alors que le CPE réclame depuis des années au ministère de la Culture un rapport neutre et objectif sur le partage de la valeur dans le monde du livre », nous indiquent Christophe Hardy et Séverine Weiss, co-présidents du CPE.
Un outil « pour éteindre toute discussion »
Le CPE, qui rassemble plusieurs organisations d’auteurs du livre (écrivains, traducteurs, dramaturges, scénaristes, illustrateurs, photographes), ne décolère pas. Alors que la situation économique et sociale des artistes auteurs se dégrade et qu'une documentation fouillée en rend compte — dont le rapport Racine, présenté en 2020 —, l'étude du SNE s'inscrit à contre-courant, pour de mauvaises raisons, selon le CPE.
Notre précarisation est déjà largement documentée par de vastes enquêtes auprès de nos adhérents et plusieurs études du ministère, tout le monde s'accorde sur ce point. Le chiffre fourni par le SNE, qui mêle des éléments disparates, est destiné à brouiller la réalité et ne tient compte en rien des rapports contractuels réels entre un individu physique (l'auteur) et la structure morale (l'éditeur) avec laquelle il signe un contrat, en tant que « partie faible » de cette relation — et de toute la chaîne du livre, au demeurant.
– Christophe Hardy et Séverine Weiss, co-présidents du CPE
Cette étude sur le partage de la valeur intervient dans un contexte déjà tendu entre les organisations d'auteurs et le Syndicat national de l'édition. En fin d'année 2022, un accord interprofessionnel — signé par le CPE, la Ligue des auteurs professionnels et le SNE — annonçait des négociations sur plusieurs points, comme la reddition de comptes semestrielle, la révision du document de reddition, l'obligation d’information pour l’éditeur en cas de sous-cession... Mais une porte était aussi ouverte sur le partage de la valeur du livre.
À LIRE - L'étude irréelle où “les éditeurs sont moins payés que les auteurs”
Depuis cet accord, les négociations patinent quelque peu, au point qu'une intervention législative ait été envisagée par un sénateur, il y a quelques semaines. L'étude du SNE n'améliorera pas les échanges, visiblement : pour le CPE, le document « n’est ni outil de réflexion ni un outil de dialogue ». « C’est tout le contraire : un outil pour éteindre toute discussion sur le “partage de la valeur” dans la chaîne du livre, et discréditer, notamment auprès des pouvoirs publics, les propositions que nous portons et sur lesquelles nous travaillons depuis plusieurs années pour obtenir une rémunération des auteurs plus juste. »
Avec quatre autres organisations engagées dans les négociations avec les éditeurs (Association des traducteurs littéraires de France, Société civile des auteurs multimédia, Société des gens de lettres, et le Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs), le CPE entend « dans les jours qui viennent, mettre en avant les biais grossiers de cette enquête et repositionner le débat sur des éléments pertinents et exploitables », nous indique-t-on.
Photographie : graffiti d'après un dessin de Marjane Satrapi (illustration, marek edelman, CC BY-NC 2.0)
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22 Commentaires
Jean
07/02/2024 à 09:21
On est très au-delà des chiffres biaisés et du manque de rigueur. On est dans l'incompétence crasse, qui fait sérieusement douter des capacités intellectuelles dans les bureaux du SNE. Pas besoin d'être statisticien ou sociologue pour rire à gorge déployée des résultats de ce truc. Ca me fait penser à cette réplique de Friends ou l'un des personnages affirme que "chien est le contraire de chat". On est au le même niveau (ou peut-être un peu plus bas).
maryy
07/02/2024 à 10:05
Bonjour, dans votre article vous écrivez : la reddition de comptes semestrielle.
Est-ce reddition ou réédition qu'il faut lire ?
Quant à "comptes semestrielle" je suis perplexe. 😊
Allie
07/02/2024 à 14:13
C'est la reddition (et non réédition...) qui est semestrielle, et non les comptes. Si vous ne connaissez pas le terme, une simple recherche Google vous renseignera.
Sam
07/02/2024 à 10:55
Le CPE et autres "syndicats" d'auteurs, tels la SGDL, réclament du Ministère "depuis des années", des éclaircissements au Ministère...Il est évident que le Ministère, au service intégral du Marché, comme l'ensemble des gouvernements depuis 50 ans, va donner les vrais chiffres de la véritable spoliation, croissante que subissent les auteurs...
Le SNE ou MEDEF de l'édition a pour vocation d'être la pointe avancée du pillage continu des droits et des revenus légitimes des auteurs.
Face à cette réalité d'une destruction continue, on a des "syndicats" qui s'offusquent, s'indignent, protestent, sans résultat autre que de conserver leurs strapontins aux réunions avec les maîtres, et leurs petites avantages en termes d'aides ou de visibilité.
Ils vont bientôt se retrouver comme les intermittents du spectacle, à patienter dans un couloir en attendant que le MEDEF et les syndicats-maison aient fini de mitonner la sauce dans laquelle ils seront un peu plus écrasés et affamés.
Et le spectacle continu...
Euryale
16/02/2024 à 11:25
En tant qu'auteurs, on serait déjà très heureux d'avoir des droits similaires aux intermittents du spectacle…
FredEx
07/02/2024 à 12:03
Et si les auteurs se mettaient en grève (ce qu'ils ne feront jamais) ?
Vincent Colinne
07/02/2024 à 16:54
En greve de quoi ? De la faim ? Il y sont déjà, bien malgré eux...
FredEx
07/02/2024 à 18:24
Des contenus (lorsqu'il y en a), les scénaristes d'Hollywood l'ont fait, il est vrai qu'ils sont plus sévèrement burnés.
Adrien
08/02/2024 à 11:39
Ah, un Yaka Fokon qui croit qu'il a trouvé la solution parfaite à laquelle tout le monde a été trop bête pour penser ou trop peureux pour envisager...
Les scénaristes peuvent prendre en otage toute une industrie et les forcer à négocier. Les auteurs, non : il y a trop à publier, un contenu non rendu sera aussitôt remplacé par trois autres par l'éditeur.
Renseignez-vous sur les véritables conditions du métier et sur les options des auteurs pour se faire entendre, ça vous évitera de débiter des idioties.
FredEx
08/02/2024 à 14:19
C'est vrai qu'ayant publié une quinzaine de livres chez quelques éditeurs dont Fayard, Flammarion, Gallimard, Grasset & so on, je suis assez mal placé pour connaître les conditions du métier et apprécier le courage de mes collègues.
Adrien
08/02/2024 à 14:53
Clairement, oui, vous n'avez aucune idée de l'absence d'options pour les auteurs pour "faire grève".
Ce qui est d'autant plus triste et preuve de déconnexion avec autant d'expérience.
FredEx
08/02/2024 à 15:34
Ne m'obligez pas à être désagréable. Vous m'avez mal lu (vous savez lire ?). J'ai écrit : "ils ne le feront jamais". L'une des raisons : les auteurs, dans leur grande majorité, pensent que ce qu'ils écrivent est d'une telle importance que les conditions dans lesquelles ils publient sont de peu d'importance ; ils sont donc disposés a accepter à peu près tout : la baisse de leur pourcentage par exemple, il est, désormais, admis qu'il démarre à 8% alors qu'il y a quelques années encore, c'était 10% ; les à-valoir sont, systématiquement, revus à la baisse à moins qu'ils soient, purement et simplement, supprimés, etc.
Vous n'avez pas l'air non plus de savoir qu'une "grève", et dans n'importe quel secteur d'activités, c'est une organisation, une solidarité, un risque… celui de tout perdre.
FredEx
08/02/2024 à 18:39
Ne soyez pas désagréable ni condescendant. Vous m'avez juste mal lu. A la suite de mon "appel à la grève", j'ai écrit : "qu'ils ne feront jamais". Cela tient en grande partie à la prétention des auteurs, pour la plupart, persuadés que ce qu'ils écrivent est au-dessus des conditions de diffusion… les pauvres ! J'ai publié mon premier livre en 1983, j'ai donc été témoin de la lente paupérisation des auteurs : 8% HT est, désormais, considéré comme le pourcentage correct, baisse des à-valoirs lorsqu'ils ne sont pas supprimés ("Nous sommes une maison prestigieuse"), etc.
Les rapports de force auteurs/éditeurs s'établissent de gré à gré, imaginons un instant qu'ils changent. Une grève (et celle des scénaristes californiens n'est en rien différente des autres), c'est un objectif (une rémunération correcte, par exemple), une volonté (être respecté peut en tenir lieu). Pour réussir, elle doit pouvoir compter sur la solidarité entre grévistes, en l'occurrence inimaginable et prendre le risque de tout perdre, c'est à dire l'ordinaire de l'auteur moyen : 1 500 euros d'avance, un quart de page dans Madame Figaro et 342 exemplaires vendus.
Sam
09/02/2024 à 10:06
"l'ordinaire de l'auteur moyen : 1 500 euros d'avance, un quart de page dans Madame Figaro et 342 exemplaires vendus"...
Publié 6 fois, pour des romans, dans des maisons petites et moyennes, je n'ai jamais eu d'a-valoir ni de 1/4 de page dans Mme Figaro. Quant aux ventes elles s'étalent entre 10ex et deux cent, il me semble, vu que les éditeurs ne donnent, là non plus, aucune précision véritable. L'auteur moyen que tu décris, je ne l'ai jamais rencontré, ni en salon, ni maison d'édition, ni ailleurs. Le vrai auteur moyen, à mon avis se rapproche bien plus de mon cas. Ce que tu décris, c'est déjà un groupuscule de chanceux.
FredEx
09/02/2024 à 12:08
Il y a le prolétariat et puis le lumpen-prolétariat, etc, etc, jusqu'à tous ceux qui se désespérent de ne même pas recevoir une lettre de refus.
Sam
09/02/2024 à 18:43
Sans oublier les chefs d'escradilles en vrille, petit doigt en l'air.
Lierre
08/02/2024 à 14:51
Même si la suggestion de fredex peut sembler un peu naïve et hors-sol, je vous trouve bien agressif !
La vôtre, en revanche, écarte un peu vite la pertinence d'un mouvement social d'ampleur - dans d'autres secteurs aussi, historiquement, les agents sont remplaçables (certes, médiocrement, avant c'était des "jaunes" (casseurs de grèves), maintenant des IA ou stagiaires peu ou pas rémunérés, voire des jeunes prêt-es à tout accepter pour se faire une place dans le milieu).
L'argument de la pauvreté qui écarterait la possibilité d'un mouvement social n'en est pas un ; les auteurices sont iels plus précarisé-es que les femmes de chambre de l'hôtel Ibis, qui ont obtenu gain de cause après plus d'un an de grève ? Que les personnels périscolaires ? Quid des caisses de grèves ?
Bien sûr que ce n'est ni idéal, ni facile, mais un autre commentaire relève qu'attendre autre chose d'associations verrouillées par l'angoisse de la perte de subventions et le maintien d'un certain statu quo, n'est-ce pas ça la vraie naïveté ?
Ce milieu, que je connais de l'intérieur, semble bien broyer l'espoir...Et surtout, l'empathie. Le monde du livre est un marché, qui fonctionne comme tous les autres avec un rapport de force explicite ; les éditeurices, elleux, ont un syndicat national (tiens, tiens...) qui bosse bien pour elleux.
Sam
08/02/2024 à 16:21
Ca me paraît difficile, Fredex, même si l'idée est séduisante. Ils ne pénaliseront qu'eux-mêmes comme le disent Coline ou Adrien. La solution est plutôt d'ordre institutionnel, il me semble. Création d'un éditeur public de fictions et/ou reversement par les gros éditeurs - évalués en termes de C.A. et bénéfices - d'un pourcentage des bénéfices pour la maison d'édition publique. Egalement, possibilité contractuelle de choix pour l'auteur entre un a-valoir et une rémunération au pourcentage des ventes.
Sur la maison d'édition publique : elle publierait les auteurs à des conditions contractuelles et promotionnelles de qualité bien supérieure à celles du Marché, en limitant la publication aux premiers romans et à un nombre d'autres romans limité et acceptés uniquement sur tirage au sort des manuscrits. L'idée serait de tirer vers le haut les conditions marchande qui évoluent clairement vers le pire.
Evidemment, ce changement structurel impliquerait une inflexion politique vers le respect des auteurs, de la culture...
Concrètement, ici et maintenant, je ne vois pas de solutions pour faire bouger les choses, si ce n'est des "coups de poing" à la manière de certains mouvements écologistes. Encore faudrait-il trouver des auteurs prêts pour ça...
FredEx
09/02/2024 à 12:06
Le rideau de fer + la roulette russe,, ça peut être amusant.
Sam
12/02/2024 à 09:59
1/4 de page dans madame Figaro, ça classe un homme, c'est sûr...Mais quand même ouvrir les fenêtres avant de sortir.
S.P.U.D.S.
07/02/2024 à 13:09
Si on ne nous dit pas qui est l'éditeur indélicat, ça ne nous avance guère.
Jeanne Desaubry
07/02/2024 à 16:04
Si le calcul a été fait sur une moyenne de , disons 8% comme indiqué contractuellement, du CA HT des ventes... C'est forcément faux. Car combien de maisons, petites ou moyennes, ne paie jamais de droits aux auteurs ? Qui sont décriés, considérés comme "vénaux" quand ils réclament des comptes. Heureux quand on a un à valoir...