Celui qui est considéré comme l'un des pères du roman d'espionnage moderne, Eric Ambler, est ressuscité à partir de 2024, par l'entremise des éditions de l'Olivier. Avec Le Masque de Dimitrios (trad. Gabriel Veraldi, révisée par Patricia Duez) le 9 février, puis Je ne suis pas un héros le 12 avril (trad. Simone Lechevrel, révisée par Patricia Duez), exemples parfaits d'un style mélangeant élégance, ironie et pessimisme. So British.
Le 19/12/2023 à 12:23 par Hocine Bouhadjera
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Deux autres de ces plus importants textes paraîtront en 2025 : La Croisière de l’angoisse et Les Trafiquants d’armes. L'idée de l'éditeur avec ces rééditions, outre d'en vivre : redécouvrir l'auteur disparu en 1998 qui, malgré le changement d'époque, reste pertinent.
« Il serait difficile, voire impossible de songer à un auteur de romans d’espionnage combinant autant de qualités originales et admirables », pour Alfred Hitchcock, au sujet d'Eric Ambler. « Notre maître à tous », pour le regretté John le Carré. Graham Greene est de son côté formel : « Ambler est sans conteste notre plus grand auteur de thrillers. »
Pour Olivier Cohen, fondateur des éditions de l'Olivier, « oui, il est urgent de lire (ou relire) Ambler aujourd’hui. Le monde dont il parle a changé. Mais est-ce bien sûr ? Les démocraties sont menacées, l’économie fragilisée. Les frontières se ferment. La guerre est de retour en Europe et au Proche-Orient. Des nations émergentes refusent de s’aligner sur les grandes puissances, augmentant l’instabilité générale. Après tout, cet homme distingué qui buvait du champagne dans un bar de la Rive gauche, il y a quarante ans, avait peut-être raison de citer T.S. Eliot. »
En 1962, je découvre Ray Charles, Françoise Hardy et Jean Bruce, dont je me procure les œuvres (OSS 117 préfère les rousses, etc.) en les échangeant contre mes vieux Bob Morane.
J’essaye de lire en version originale les romans de Ian Fleming que je chipe à mon beau-père, amateur de romans d’espionnage. J’ai treize ans, je me débrouille en anglais, mais pas assez pour comprendre vraiment de quoi il retourne. Au passage, je note cette phrase dans From Russia, with Love (Bons baisers de Russie) : « Bond détacha sa ceinture, alluma une cigarette et sortit de son élégant attaché-case un exemplaire du Masque de Dimitrios.»
En 1977, je tombe sur ce livre mythique d’Eric Ambler que je dévore en une nuit.
Un an plus tard, je rencontre l’auteur, de passage à Paris. La scène se passe dans le bar d’un hôtel de la Rive gauche. J’ai dit à l’attachée de presse que je travaillais pour le magazine Subjectif, dont elle ignore visiblement l’existence.
Normal. Subjectif est en réalité une revue littéraire au tirage modeste fondée par Gérard Guégan. Avec sa couverture punk dessinée par Alain Le Saux et ses éditoriaux incendiaires, la revue ambitionne d’être, comme disait Stendhal, « un coup de pistolet dans un concert ». Ambler est en retard, il termine le tournage d’une interview télé au premier étage. Il arrive enfin, impeccablement sapé – costume de flanelle, chemise et cravate bleues –, cheveux blancs, minceur distinguée. Regard bleu derrière des lunettes à monture d’écaille.
Il commande du champagne. La conversation s’engage. Il parle de l’argent, principal sujet de son dernier livre, N’envoyez plus de roses, qui met en scène des as de la délinquance en col blanc. Du rôle de la violence, du terrorisme qu’il qualifie de parodie et assimile à une forme ancienne de justice sociale : le nihilisme. (Sans doute fait-il allusion à l’attentat perpétré deux mois plus tôt à Orly par le FPLP de Georges Habache.) « Les héros sont morts », dit-il, et nous avons besoin de nouvelles mythologies.
Mais nos mythologies de rechange fonctionnent mal. Le ridicule leur coupe les ailes.» Il cite les vers de T.S. Eliot : « This is the way the world ends/ not with a bang but a whimper ». Et il conclut : « On commence par croire en Dieu, et tout se termine par une plaisanterie de mauvais goût. »
Eric Clifford Ambler est né à Londres en 1909, dans une famille de marionnettistes. Après avoir suivi des études d’ingénierie au Northampton Polytechnic Institute, il est embauché comme rédacteur dans une agence de publicité. Entre 1936 et 1940, il publie cinq romans d’espionnage qui révolutionnent le genre. Pendant la guerre, il sert dans l’artillerie comme lieutenant-colonel avant de rejoindre le Service cinématographique aux armées. En 1944, il écrit plusieurs scénarios pour la Rank Organisation. Il émigre à Hollywood où il passe onze ans avec sa seconde épouse, Joan Harrison, une amie et collaboratrice d’Alfred Hitchcock. Il se remet à écrire des romans en 1951 (L’Affaire Deltchev) et enchaîne les succès (Les Trafiquants d’armes, Topkapi, etc.). Il meurt à Londres en 1998.
Dès les années 1930, Ambler a pris conscience des dangers qui pèsent sur l’Europe. «La logique du David de Michel-Ange, des quatuors de Beethoven, de la physique d’Einstein, ne faisait pas le poids en face de l’autre logique, celle du Stock Exchange Year Book et de Mein Kampf », écrit-il. Un temps compagnon de route des communistes, il perd définitivement la foi lors des procès staliniens qui ont lieu dans les démocraties populaires pendant les années 1950. Il se définit désormais comme « politiquement agnostique », même si sa sympathie va toujours vers la gauche.
« Un Français nommé Chamfort, qui aurait dû être mieux inspiré, a dit que le hasard était un sobriquet de la providence. C’est là un de ces aphorismes commodes, fabriqués pour nier une vérité déplaisante : le hasard joue un rôle important, sinon prédominant, dans les affaires humaines. »
Tout Ambler (ou presque) est déjà présent dans ces deux phrases du Masque de Dimitrios : l’élégance, l’ironie, le pessimisme. Chez lui, le style est affaire de morale. Et cette morale n’est pas toujours agréable à entendre. Latimer, le protagoniste du Masque, est un auteur de romans policiers. Autrement dit, un naïf : il n’a jamais rencontré un vrai criminel de sa vie. Face aux professionnels du crime – ou du contre-espionnage – experts en manipulation, cet ancien universitaire fait figure d’amateur.
C’est aussi le cas de Nicky Marlow, le personnage principal de Je ne suis pas un héros.
Envoyé par sa société à Milan en 1937, il est confronté à un dilemme dont il a le plus grand mal à sortir. Il ne possède en effet ni le cynisme ni la ruse de ses adversaires pour qui le chantage, l’intimidation et la trahison sont monnaie courante.
Les anti-héros d’Eric Ambler, entraînés malgré eux dans des aventures qui les dépassent, doivent affronter des dangers dont ils ignoraient jusqu’à l’existence, et que leur inexpérience ne fait qu’aggraver. Ambler excelle à décrire les atmosphères louches, les faux-semblants, le clair-obscur, cette zone grise propice à l’ennui et d’où la violence peut surgir à tout moment, quand on s’y attend le moins.
Loin des clichés qui encombraient un genre vieilli, il a frayé la voie à des auteurs plus soucieux du réel. Mais un réel recomposé avec un sens remarquable de la mise en scène. D’où l’admiration de quelques grands inventeurs de formes, comme Alfred Hitchcock, Graham Greene ou John Le Carré.
- Olivier Cohen, Paris, 2023.
Dans Le Masque de Dimitrios, Charles Latimer, un romancier de polars en quête d'inspiration, se retrouve à Istanbul où il fait la rencontre du colonel Haki, à la tête du service secret turc. Haki lui dévoile l'histoire fascinante de Dimitrios Makropoulos, un criminel redouté dont le corps vient d'être retrouvé dans le Bosphore.
Intrigué et y voyant le potentiel pour son prochain roman, Latimer entame une enquête qui le mènera à travers l'Europe, suivant les traces de cet homme énigmatique aux nombreux visages. Tout au long de ses recherches, une interrogation persiste : Dimitrios est-il réellement mort ? Si ce dernier était encore en vie, il serait dans l'intérêt de Latimer d'abandonner cette traque. Cependant, il se pourrait qu'il soit déjà trop tard pour faire marche arrière...
Dans Je ne suis pas un héros, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Nicky Marlow accepte la direction d’une filiale de machines-outils britannique à Milan. À peine arrivé en Italie, il voit son passeport confisqué. Puis il reçoit la visite d’un étrange général yougoslave. Plus tard, il est contacté par un non moins mystérieux importateur. Marlow veut se contenter de faire son travail, mais les périls montent en Europe. Parce que l’entreprise qu’il dirige fournit au gouvernement italien des machines destinées à la fabrication d’obus, Marlowe est sollicité pour transmettre des renseignements.
Peut-il rester neutre en sachant que ses « clients » utiliseront peut-être contre son pays les armes qu’il est venu fabriquer? Marlow doit choisir son camp avant que le piège se referme sur lui.
Dans cet ouvrage, les enjeux de l’économie de guerre et les techniques de manipulation font pour la première fois leur apparition dans un roman d’espionnage.
Eric Ambler, né à Londres en 1909, est issu d'une famille de marionnettistes. Il a d'abord étudié l'ingénierie avant de se tourner vers la rédaction publicitaire. Ce sont dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale qu'il bouleverse le genre du thriller d'espionnage avec des œuvres novatrices qui ont apporté une profondeur psychologique et une complexité politique jusqu'alors inédites.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Eric Ambler a par ailleurs servi dans l'artillerie britannique et a travaillé pour le Service cinématographique aux armées. Après la guerre, il a poursuivi sa carrière d'écrivain et a travaillé à Hollywood, où il a écrit plusieurs scénarios pour la Rank Organisation. Sous le pseudonyme d'Eliot Reed, Eric Ambler a exploré d'autres facettes de son talent littéraire, publiant des œuvres distinctes de ses romans d'espionnage habituels.
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Les Humanoïdes Associés, en particulier, ont publié neuf titres d'Eric Ambler entre 1977 et 1980, lui dédiant une collection spécifique qui a permis de mettre en lumière l'étendue et la profondeur de son œuvre. Le Seuil et Rivages/Noir ont également joué un rôle important en publiant plusieurs de ses œuvres.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 09/02/2024
314 pages
Editions de l'Olivier
22,00 €
Paru le 12/04/2024
363 pages
Editions de l'Olivier
22,50 €
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