Créé en 1999 dans une volonté de cultiver une oasis de paix au milieu du désert de la discorde, l'universitaire, théoricien littéraire et critique palestino-américain disparu en 2003, Edward Saïd, et le pianiste et chef d'orchestre Daniel Barenboïm, ont réuni de jeunes musiciens palestiniens, israéliens et de pays arabes, autour du répertoire classique. Ils nommèrent cette initiative, le West-Eastern Divan Orchestra. Par Amel Aït-Hamouda.
Le 23/10/2023 à 13:03 par Auteur invité
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23/10/2023 à 13:03
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En 1999, Edward Wadie Saïd et Daniel Barenboïm ont été conviés par le Kunstfest de Weimar, en Allemagne, à organiser un atelier rassemblant de jeunes musiciens provenant de Palestine, d’Israël et d'autres pays du Proche-Orient.
Les deux mélomanes ont eu une idée novatrice : transformer l’atelier en un orchestre symphonique afin de démontrer qu'il est possible d'établir un dialogue entre Palestiniens et Israéliens à travers la musique.
Plus de vingt années se sont écoulées depuis la fondation de West-Eastern Divan Orchestra (l’Orchestre Divan occidental-oriental), et pourtant son message de paix demeure inchangé.
Edward Saïd et Daniel Barenboïm, deux esprits éclairés dont les chemins semblaient se croiser bien malgré eux, se sont découverts liés par un lien indéfectible : la musique.
Dans cette symphonie des destins, leurs origines diverses se sont mêlées et leurs parcours ont convergé vers une seule et même cause : l'humanité commune. Edward Saïd, penseur palestino-américain renommé à l'échelle mondiale, a vu le jour en 1935 à Jérusalem, berceau de cultures ancestrales et de réalités complexes.
Son enfance entre Jérusalem et le Caire l'a aussitôt exposé aux défis du Proche-Orient. Adolescent, il sera poussé à traverser l'océan pour poursuivre ses études aux États-Unis. C'est là-bas qu'il est devenu le célèbre intellectuel engagé, le défenseur des opprimés, luttant avec véhémence contre les préjugés et les injustices.
Quant à Daniel Barenboïm, prodigieux pianiste israélo-argentin (il lui est octroyé la nationalité palestinienne en 2008), il est né en 1942 à Buenos Aires, en Argentine. Dès son plus jeune âge, il a ébloui le monde de la musique par sa virtuosité au piano. Toutefois, derrière cette brillante façade se cache une histoire marquée par les déplacements forcés et les tumultes.
Ses parents, des juifs émigrés de Russie, ont dû fuir les persécutions et se sont installés en Europe, puis en Israël. Et c'est ainsi qu'en 1992, dans un hôtel londonien, une rencontre fortuite a scellé l'amitié profonde entre ces deux hommes. Autour d'une discussion, ils ont exploré divers domaines à la croisée des chemins artistiques, oscillant entre les notes de la musique et les pages de la littérature.
Mais, c'est avant tout leur inquiétude partagée pour la situation au Proche-Orient qui les a motivés à vouloir travailler ensemble. Sept ans plus tard, lors de la commémoration du 250e anniversaire de la naissance de Johann Wolfgang von Goethe (1749 -1832) célébré à Weimar en 1999, Saïd et Barenboïm ont saisi l’opportunité de créer un orchestre symphonique empreint de fraternité. Ils l’ont baptisé West-Eastern Divan Orchestra, en hommage au recueil de poèmes Divan occidental-oriental écrit par Goethe, lui-même inspiré par le Diwan du poète persan Hafez (vers 1325 à vers 1389).
Bien que l'Occident se souvienne, parfois maladroitement, de son ouvrage L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident - publié en 1978 et traduit en français aux Éditions du Seuil en 1980 - il oublie souvent qu’à la fin de sa vie, Saïd - également pianiste talentueux et critique musical de longue date pour The Nation - a uni ses forces à celles de son ami Barenboïm pour donner naissance à cet orchestre si particulier.
En érigeant ce sanctuaire pour les jeunes musiciens du Proche-Orient en quête d'une paix insaisissable, Saïd et Barenboïm ont créé bien plus qu'un simple ensemble musical. Ils ont façonné un havre de paix. Un refuge où les sons exaltés des instruments se mêlent à la quête ardente de liberté. Un lieu où la musique transcende les barrières de l'espace et des préjugés.
Notre projet ne change peut-être pas le monde, mais c’est un pas en avant. Edward Saïd et moi-même considérons notre projet comme un dialogue continu, où le langage universel et métaphysique de la musique est lié au dialogue continu que nous entretenons avec les jeunes et que les jeunes entretiennent entre eux.
- Daniel Barenboïm
Les premières représentations du West-Eastern Divan Orchestra ont eu lieu à Weimar et à Chicago. Dès 2002, l'orchestre a trouvé refuge à Séville, en Espagne, grâce au soutien apporté par le gouvernement régional d’Andalousie.
Chaque été, à Séville, la troupe musicale se réunit pour un atelier et où les répétitions musicales côtoient des conférences, avant d'embarquer pour une tournée mondiale en août.
L'orchestre est, par ailleurs, composé d'un nombre égal de musiciens israéliens et arabes, qui travaillent en étroite collaboration avec un groupe de musiciens espagnols. Parmi les concerts marquants de l'orchestre, on peut citer ceux donnés au Musée Sainte-Irène à Istanbul, à la Salle Pleyel à Paris, à la Philharmonie de Berlin, au Teatro alla Scala de Milan, au Carnegie Hall à New York, au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, à la Plaza Mayor de Madrid et au Teatro Colón de Buenos Aires, entre autres.
En outre, l'orchestre s'est produit à New York le 18 décembre 2006, lors d'une soirée spéciale en l'honneur du Secrétaire général de l'époque, Kofi Annan (1938-2018), qui s'est tenue à la salle de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Bien que le West-Eastern Divan ait joué dans de nombreux pays européens, asiatiques et américains, ses représentations dans la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient) demeurent rares. En août 2003, Barenboïm et sa troupe se sont produits à Rabat, au Maroc. Puis, en 2005, ils ont donné leur unique concert à Ramallah, en Palestine.
L’humanisme est la seule – je dirais même la dernière – résistance que nous ayons contre les pratiques inhumaines et les injustices qui défigurent l’histoire de l’humanité. La séparation entre les peuples n’est une solution à aucun des problèmes qui divisent les peuples. Et il est certain que l’ignorance de l’autre n’apporte aucune aide.
Une coopération et une coexistence du genre de celles que la musique a vécues comme nous l'avons vécue, interprétée, partagée et aimée ensemble, pourraient l'être.
- Edward Saïd
Le 21 août 2005, dans une atmosphère électrisante, l'orchestre, accompagné de Barenboïm, a tenu un concert en Palestine. La performance musicale a été donnée au Ramallah Cultural Palace par un groupe de soixante-quinze jeunes musiciens provenant d'Israël, de Palestine, du Liban, d'Égypte, de Syrie, de Jordanie et d'Espagne.
Barenboïm déclara lors de la conférence de presse : « Aucun peuple n’a un droit d’occupation sur un autre peuple, et les Palestiniens ont besoin de leur liberté. Voilà la raison de ma présence à Ramallah. »
De nombreux médias internationaux ont consacré une attention particulière à cet événement. La veille, la chaîne de télévision franco-allemande Arte a diffusé un documentaire intitulé Nous ne pouvons que réduire la haine, réalisé par Paul Smaczny.
Bien plus qu'une simple représentation musicale, le concert à Ramallah fut un appel à l'universalité à travers les œuvres de Beethoven et de Mozart. Le public, réunissant des personnalités éminentes de la scène politique palestinienne dont le Premier ministre palestinien de l'époque, Nabil Chaatah, et deux députés de la Knesset.
L’événement a été, par ailleurs, retransmis en direct par Arte ainsi que sur les ondes de France Inter, accroissant ainsi sa portée et sa visibilité. Par ailleurs, il a connu une publication sous format CD et DVD, nommée de The Ramallah Concert (Le concert de Ramallah).
Outre le West-Eastern Divan Orchestra, Saïd et Barenboïm ont créé fondations et écoles de musique. Parmi elles : la Fondation Barenboïm-Saïd en 2004, ainsi que la Daniel Barenboim Foundation (créée en Allemagne en 2008).
Ces trois institutions collaborent pour réunir des fonds, organiser des ateliers et des tournées pour l'orchestre, mais également pour développer différents projets éducatifs dans le domaine de la musique au Proche-Orient et en Espagne.
La fondation Barenboïm-Saïd, à titre d’exemple, a été créée en juillet 2004 lorsque Daniel Barenboïm et Edward Saïd ont accepté la proposition du gouvernement régional d'Andalousie d’établir la fondation et l'orchestre Divan à Séville. En collaboration avec la région autonome d'Andalousie, cette même fondation décerne tous les deux ans des bourses aux plus talentueux musiciens de l'orchestre afin de leur permettre de se consacrer sereinement à leurs études.
Le Centre de musique Barenboïm-Saïd, établi à Ramallah, ainsi que l'Académie Barenboïm-Saïd, basée à Berlin, se distinguent comme étant deux éminentes institutions d'enseignement musical résultant de la vision et de l'engagement de Saïd et de Barenboïm.
En effet, le premier centre promeut une éducation musicale de qualité aux jeunes Palestiniens depuis 2003. Les enseignants, qui sont des membres du Divan, dispensent un programme de formation en musique classique sur une période de huit ans, permettant aux jeunes étudiants de poursuivre leurs études au niveau supérieur.
En plus de ce programme, le Centre de musique Barenboïm-Saïd propose une variété de cours et d'opportunités de performances. Des cours individuels d'instruments sont disponibles, couvrant un large éventail allant du violon à l'alto, en passant par le violoncelle, le piano, la clarinette, la flûte, le hautbois, le basson et la trompette.
Inaugurée en 2012, la seconde académie offre, à son tour, la possibilité de recevoir un diplôme universitaire en musique après avoir suivi une formation de quatre années, ou un certificat après un à deux ans de formation.
En complément des cours d'interprétation musicale, l'Académie, dont la majorité des étudiants provient du Proche-Orient, propose également un programme intégré en sciences humaines. Dans le cadre de ce programme, les étudiants ont l'occasion de suivre des cours essentiels portant sur l'histoire, la philosophie et la littérature, en parallèle des cours consacrés à l'histoire de la musique, la théorie musicale et l'écoute attentive de celle-ci.
De plus, des représentations, des sessions de musique de chambre ainsi que des cours d'orchestre sont intégrés à l'ensemble de la formation.
Depuis 2016, l'Académie a lancé un programme préparatoire dans le but de former des étudiants qui font face à des conditions de vie précaires, notamment les personnes touchées par la crise migratoire en Europe.
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Lance audacieuse dans l'arène de la symphonie, le West-Eastern Divan Orchestra fait pulser en son sein l'âme même de la musique, cette langue universelle qui abolit les frontières et pulvérise les barrières de l'incompréhension et de la haine.
Ce chef-d'œuvre sonore, métaphore vivante de la fraternité des peuples, rassemble des musiciens palestiniens, israéliens, syriens, libanais, égyptiens, jordaniens, pour réciter le chant du rameau de l’olivier et de la colombe de la paix.
Crédits photo : Barenboim-Said Akademie gGmbH (CC0)
Paru le 14/04/2015
580 pages
Points
13,95 €
1 Commentaire
Julie
23/10/2023 à 13:38
J’ai enfin pu trouver un article positif !
Merci Actualitté !