En janvier dernier, les députés Arthur Delaporte (Socialistes et apparentés) et Stéphane Vojetta (Renaissance) déposaient à l'Assemblée nationale une proposition de loi destinée à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Adoptée au Sénat ce 9 mai, elle cherche également, désormais, à « encadrer l’influence commerciale » : une extension qui inquiète certains observateurs et porte plus largement sur la critique littéraire...
Le 12/05/2023 à 12:51 par Antoine Oury
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Publié le :
12/05/2023 à 12:51
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Les motivations derrière la proposition de loi (PPL) des deux députés étaient somme toute assez simples : protéger les internautes et consommateurs, en mettant fin « aux arnaques et autres dérives de certains influenceurs sur les réseaux sociaux ».
Les deux auteurs du texte énuméraient quelques exemples : « médicaments » contre le cancer, produits cosmétiques dangereux, revente d’articles à des prix prohibitifs — le dropshipping, qui touche aussi le livre —, tentatives d'escroquerie autour du Compte personnel de formation... Les situations sont légion.
Pour limiter ce type d'abus et condamner ceux qui les pratiquent, la PPL entendait « créer et renforcer un appareil juridique qui pourra à la fois responsabiliser et sanctionner le cas échéant tous les influenceurs, leurs agences, les annonceurs ainsi que les plateformes de diffusion, afin de renforcer la protection des utilisateurs des réseaux sociaux et des consommateurs ».
L'une des tâches les plus importantes de la proposition de loi consiste en la définition du statut d'« influenceur », absent du droit. À l'origine, l'article 1er de la PPL considérait ainsi « comme influenceur toute personne physique ou morale, qui, à titre onéreux ou en échange d’un avantage en nature, produit et diffuse par un moyen de communication électronique des contenus qui visent, à l’occasion de l’expression de sa personnalité, à promouvoir des biens, services, ou une cause quelconque ».
La loi avançait donc « un statut d’influenceur pour un cadre juridique de la vente issue de contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux », cadre somme toute assez réduit.
Le texte adopté par le Sénat le 9 mai dernier apporte un changement de taille à l'ensemble, en s'intéressant plutôt à l'« influence commerciale ». Légèrement modifiée, la définition de l'article 1 est désormais la suivante :
« Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, communiquent au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique. »
– Article 1er, texte adopté par le Sénat le 9 mai dernier
On notera au sein de cette définition la notion de « titre onéreux », qui rend compte des « contreparties d'un bénéfice économique ou d'un avantage en nature », qui recouvre une situation où « chacune des parties reçoit de l'autre un avantage en contrepartie de celui qu'elle procure ». L'avantage en question recouvre les rémunérations financières, mais aussi les produits, services ou autres avantages en nature qui peuvent être perçus par ceux qui exercent une activité d'influence commerciale.
Une fois ce cadre défini, qu'imposerait la loi, selon le texte adopté par le Sénat le 9 mai ? L'article 2, pour commencer, interdit la promotion de certains biens et services, comme la chirurgie esthétique, les produits de nicotine, contrats financiers très risqués ou encore de substances illicites.
Il rend également obligatoire l'affichage d'une mention « Publicité » pendant toute la durée de la promotion de biens, de services ou d'une cause quelconque. Celle-ci doit être « claire, lisible et identifiable sur l’image ou sur la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité de la promotion ». Son absence est assimilable à une « pratique commerciale trompeuse », susceptible d'occasionner des poursuites.
L'article 2 de la proposition de loi s'intéresse aussi au dropshipping, ou quand un intermédiaire commercialise des produits, mais n'en assure pas la livraison, réalisée directement par un fournisseur. Une activité qui peut faciliter des dérives, comme une surfacturation, qui profite de la méconnaissance ou d'une mauvaise information de l'acheteur.
Tout en limitant ses effets aux influenceurs, sans les étendre à tous les acteurs du commerce électronique, l'article 2 rappelle le « principe général de responsabilité de plein droit du vendeur à l'égard du consommateur ». Les influenceurs qui exercent cette activité devront donc s'assurer de la conformité des articles, de la bonne exécution de la commande et de la livraison, mais aussi fournir à l'acheteur diverses informations, dont « les caractéristiques essentielles du produit, son prix, le délai indicatif de livraison ou encore les modalités d'exercice de son droit de rétractation ».
En l'état, le texte de loi aurait une conséquence directe sur les publications consacrées aux livres sur les réseaux sociaux. La chronique vidéo sur un ouvrage obtenu gratuitement, via la maison d'édition ou l'auteur, nécessiterait l'affichage de la mention « Publicité ». Le livre constituerait « un avantage en nature », contrepartie d'un contenu « visant à faire la promotion directement ou indirectement de biens, de services ou d'une cause quelconque ».
Dans le cas d'une publication sponsorisée, le cas est encore plus évident, puisque le producteur du contenu aurait reçu « un bénéfice économique ».
Les travaux en commission avaient introduit la notion de « seuil en valeur [...], en deçà duquel l'obtention de certains avantages en nature serait exclue de la définition de l'activité d'influence commerciale ». Le livre aurait ainsi pu échapper à la législation, son prix à l'unité restant généralement assez faible. Mais le texte adopté par le Sénat a supprimé cette notion, faisant potentiellement d'un ouvrage à l'unité reçu gratuitement, « un avantage en nature ».
Par ailleurs, ces obligations s'appliquent à toute personne exerçant une activité d’influence commerciale, peu importe sa « notoriété ». « Il convient de ne pas laisser subsister de doutes quant au champ d'application de cette proposition de loi, qui concerne l'ensemble des personnes exerçant l'activité d'influence commerciale, y compris les “micro-influenceurs” et les “nano-influenceurs” », souligne le Sénat.
Ainsi, un BookTuber avec une dizaine d'abonnés sera tout aussi concerné par la législation qu'un confrère ou une consœur disposant d'une audience de milliers de personnes.
En cas de non-respect de l'obligation d'affichage de la mention « Publicité », les sanctions peuvent tout de même atteindre deux ans d'emprisonnement et 300.000 € d'amende...
Désormais examinée par une Commission Mixte Paritaire après les deux premières lectures au Sénat et à l'Assemblée nationale, la proposition de loi pourra faire l'objet de nouvelles modifications. En l'état, elle provoque l'inquiétude du Syndicat du Conseil en Relations Publics, fondé en 1988, qui la juge trop générale et potentiellement liberticide.
En effet, l'organisation estime que la définition de l’activité d’influence commerciale est bien trop large dans sa formulation.
C’est ainsi que se retrouvent soumis à la loi le journaliste, le critique, l’élu, le consommateur ou le citoyen, dès lors qu’ils publient un avis positif sur un média en ligne ou sur les réseaux sociaux à la suite d’un événement, d’une expérience ou d’un prêt organisé sans exigence de contrepartie.
– Le Syndicat du Conseil en Relations Publics
D'après le SCRP, les citoyens seraient largement concernés par la législation et les obligations qu'elle impose, dès lors qu'ils bénéficient d'un « avantage » et qu'ils produisent un contenu sur les réseaux sociaux.
Il cite par exemple « un élu politique qui inaugure ou visite le salon du livre sans payer sa place », « un critique convié à un spectacle de théâtre ou à la projection d’un film » ou encore « un consommateur qui reçoit un échantillon ».
De la même manière, un journaliste proposant une critique vidéo d'un livre reçu au sein de sa rédaction devrait-il afficher la mention « Publicité » sur le contenu ? Ou encore, un libraire qui diffuse son avis sur un exemplaire envoyé gracieusement ?
Notons d'ailleurs que la « communication par voie électronique des contenus » de l'article 1er de la PPL, recouvre « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée », selon la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Aussi, si l'attention se concentre sur les vidéos, d'autres formes d'expression seraient bien concernées par la législation.
À LIRE - Le phénomène BookTok : entre tendance, recommandation et promotion
« À la lecture du texte adopté hier au Sénat, nous sommes très inquiets tant il dessert les intentions initiales et nuira aux créateurs de contenu, à l’économie des médias, et plus largement, au tissu économique national et local », assure Sandrine Cormary, présidente du SCRP.
Sans être opposé à l'encadrement des pratiques, le syndicat demande le renforcement de la définition juridique d’influence commerciale par l'article 1, en exigeant l’existence « d’engagements réciproques ».
Introduite par l'Assemblée nationale, mais supprimée par le Sénat, cette notion d'« engagements réciproques » caractériserait une relation commerciale établie entre l'influenceur et une marque. Le premier s'engagerait à faire la promotion d'un contenu en échange d'un bénéfice économique ou d'un avantage en nature. En somme, un contrat ou un accord explicite entre les deux parties.
Elle lèverait une incertitude juridique et exempterait finalement des obligations certaines activités de critique littéraire ou de mise en avant d'ouvrages, tant qu'aucune obligation commerciale ne lierait l'influenceur ou le critique à la maison d'édition.
La proposition de loi modifiée par le Sénat est accessible à cette adresse.
Photographie : une installation à des fins de diffusion en direct (illustration, Dennis Yang, CC BY 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
4 Commentaires
Catherine
13/05/2023 à 07:33
Publicité et critique littéraire n'ont pas le même sens. Mon activité de blogueuse est un loisir, je partage mon avis sur mes lectures, service presse ou pas. Par conséquent, cette loi me conduirait à abandonner les services presse, faire de la publicité pour un livre ne me tente pas.
Au moment où le jeunes découvrent le plaisir de lire et de partager leurs avis, je ne suis pas certaine que cette loi, telle qu'elle est actuellement, soit pertinente.
Jean
13/05/2023 à 12:43
Article très intéressant.
Juste une remarque de vocabulaire.
Naguère, on était encore « apporteur d'affaire » et non « dropshipper »...
Écume des mots
15/05/2023 à 09:45
Bonjour,
Je me sema de donc, si je reçois un livre d'une maison d'édition, que je le chronique sur un blog et que je partage cette chronique sur 'es réseaux, je me dois d' ajouter la mention "publicité" sur le post ?
Cette question est peut-être redondante par rapport à l'article qui l'explique mais, trouvant cela particulier, je voulais être sûre d'avoir bien compris
Strahd Ivarius
18/05/2023 à 11:25
Je me demande...
La mention "publicité" sera-t-elle apposée sur les séquences des journaux télévisés consacrées au Festival de Cannes et autres promotions de films ?