L'avocat et écrivain Emmanuel Pierrat, fondateur du Cabinet Pierrat et Associés, lequel compte de nombreux auteurs parmi ses clients, avait quitté la présidence du PEN Club français sous des accusations relatives à sa gestion de l'organisation. PEN International vient de le démettre de ses fonctions de président du Comité des Écrivains pour la Paix, en raison d'un « comportement inapproprié ». L'intéressé dénonce des « enjeux de pouvoir ».
L'avocat et écrivain Emmanuel Pierrat se retrouve au cœur d'un nouveau conflit ouvert avec les institutions PEN. Dans un courrier daté du 27 mai dernier, adressé au secrétaire général du Comité des Écrivains pour la Paix de PEN International, et que l'avocat nous a communiqué, il indique : « [J]e ne pense pas pouvoir continuer à présider le Comité des Écrivains pour la Paix sereinement au-delà de mon mandat actuel qui s’arrête au terme du prochain Congrès du Pen International prévu en septembre prochain à Uppsala. »
L'organisation PEN International, le même jour, adressait de son côté un courrier à l'avocat pour lui faire part d'une décision du conseil d’administration le démettant de ses fonctions de président du Comité des Écrivains pour la Paix, « en raison d’une conduite inappropriée lors de l’élection ainsi que de son comportement inapproprié envers le personnel de PEN International et autres membres de PEN lors de la réunion ».
La réunion évoquée par PEN International n'est autre que celle de Bled, où le Comité des Écrivains pour la Paix organise chaque printemps sa conférence annuelle. Celle de 2022, du 10 au 13 mai, devait notamment procéder à l'élection du président du Comité des Écrivains pour la Paix, après le premier mandat d'Emmanuel Pierrat, élu en 2019. Il succédait alors au poète slovène Marjan Strojan.
D'après PEN International, 30 Centres PEN sur les 36 inscrits à l'élection ont participé au suffrage en ligne. Deux candidats s'étaient présentés : Emmanuel Pierrat, candidat à sa réélection, et le poète chilien Germán Rojas. Le premier a obtenu 10 votes, et le second, 16, nous indique PEN International.
Selon un participant à la réunion, Emmanuel Pierrat aurait lui-même annoncé les résultats du vote, « en donnant des chiffres éminemment faux et en se déclarant réélu ». il aurait également « tenté d'empêcher la coordinatrice ukrainienne des comités de PEN International, Olha Mukha, présente à Bled, de parler, en assurant qu'il n'était pas utile de reprocéder au décompte des votes », précise ce même témoin.
D'ailleurs, le jour même, un message publié sur le compte Facebook du Comité des Écrivains pour la Paix, qui semble géré par Emmanuel Pierrat, faisait état de la réélection de ce dernier.
Dans son courrier daté du 27 mai, publié sur Facebook et que l'avocat nous a fait parvenir en guise de réponse à nos questions, Emmanuel Pierrat dénonce pour sa part des « attaques » et des « coups bas » qu'il attribue à Olha Mukha, salariée de PEN International, et « une minorité des délégués ». Et d'affirmer : « Les enjeux de pouvoir de certains, qui visent des places, ainsi que la volonté manifeste de nuire de quelques autres nous ont laissé un goût très amer. »
Dans cette même lettre, il incrimine plusieurs membres de l'organisation internationale. Il accuse l'Italien Antonio Della Rocca, la coordinatrice ukrainienne Olha Mukha et la Slovène Tanja Tuma d'avoir commis de « nombreuses irrégularités » dans le processus d'élection du président du Comité des Écrivains pour la Paix. Il reproche notamment à Antonio Della Rocca, président du Committee on Searches, d'avoir porté la candidature de Germán Rojas après le délai prévu de quatre mois précédant l'élection.
Il souligne par ailleurs que les statuts de PEN International ne prévoient pas l'intervention du Committee on Searches dans le cadre de l'élection du président d'un comité. Les articles 9 et 11 de ces statuts, que nous avons consultés, indiquent en effet que ce comité propose des candidats pour les postes de président du PEN International, de trésorier, secrétaire général ou « les membres du conseil d'administration ». Interrogé par email, Antonio Della Rocca n'a pas répondu à nos questions au moment de la publication de cet article.
En outre, l'avocat affirme être donné vainqueur de l'élection dans la version française d'un rapport remis par PEN International, quand son concurrent, German Rojas, l'est dans la version anglaise du même rapport. PEN International ne nous a pas répondu sur ce point, pas plus que Tanja Tuma, son ancienne collaboratrice au sein du comité, qu'il accuse de s'être « fait une joie de diffuser en version papier » ce rapport.
Il décrit une forme d'ingérence de PEN International vis-à-vis du comité, « parce qu’il existe de façon autonome en se réunissant en particulier en toute indépendance hors de leur mainmise ». Enfin, le courrier d'Emmanuel Pierrat déplore l'élection d'un « non-écrivain » à la tête du comité. Pourtant, l'œuvre poétique de German Rojas et ses multiples collaborations avec différentes revues, au Chili ou en Italie sont manifestes.
S'il reste complexe de suivre et de démêler la cuisine interne d'une organisation comme PEN International, il est certain que la décision de son conseil d’administration de démettre de ses fonctions l'avocat participe à sa « marginalisation », comme la désigne une source, commencée il y a quelques années désormais.
Rappelons en effet qu'Emmanuel Pierrat fut président du PEN Club France, une organisation qu'il a quitté en 2020 dans de houleuses conditions. Le comité directeur du PEN Club France l'avait démis de ses fonctions, « devant les questions graves posées par le rapport des trésoriers, les problèmes de gouvernance et l'absence de réponse satisfaisante d'Emmanuel Pierrat ». Ce dernier avait contesté les faits, qui lui furent reprochés devant la justice par une plainte pour des dépenses « non justifiées par l’intérêt de l’association » et de non-respect des statuts de l'association et des « décisions du Comité Directeur ».
Cette plainte a été classée sans suite en septembre 2021, nous indique Emmanuel Pierrat, qui ajoute avoir porté plainte « pour dénonciation calomnieuse » contre Antoine Spire, son successeur à la tête du PEN Club France.
Contacté, Antoine Spire nous confirme le classement sans suite de la plainte, « la justice ayant considéré qu'il n'existait pas de preuves que les stagiaires payés avec l'argent du PEN Club France n'avaient pas travaillé pour ce dernier. Je n'ai pas souhaité poursuivre, car cela aurait généré des dépenses supplémentaires pour le PEN Club », indique son président.
Malgré sa mauvaise expérience avec le réseau PEN, Emmanuel Pierrat persiste et signe, puisqu'il reste membre du Centre PEN Suisse romand et du Centre PEN Monaco, dont il est le vice-président depuis mars 2022. Chaque centre PEN, vis-à-vis de l'organisation centrale qu'est PEN Internationale, reste autonome, sans ingérence de cette dernière tant que les engagements de la charte PEN sont respectés. Par ailleurs, précisons que l'avocat n'a pas été officiellement exclu de PEN International, mais seulement démis de ses fonctions de président de comité. L'élection de German Rojas, elle, doit encore être validée par l'assemblée des délégués de PEN International en septembre, Tanja Tuma assurant l'intérim.
Depuis le mois de novembre 2021, Emmanuel Pierrat est visé par une procédure disciplinaire du Conseil de l'ordre des avocats de Paris pour des soupçons de harcèlement, comme le rapportait l'AFP. Selon nos informations, la bâtonnière de l'ordre n'exclurait pas non plus un volet financier à son enquête. Selon deux sources citées par l'AFP, le dossier de l'avocat serait « accablant », ce que laissait entrevoir une grande enquête sur le cabinet Pierrat publiée par Libération en février 2021.
NB : ActuaLitté avait été poursuivi en diffamation par l’avocat, après la publication d'un article évoquant une décision de PEN International à son encontre. Condamné à indemniser notre publication suite à une décision du tribunal en notre faveur, l’avocat ne s’est, à ce jour, toujours pas acquitté des sommes dues.
Photographie : illustration, combat entre les Lapithes et les Centaures, temple d'Appolon, Bassae, Grèce (Carole Raddato, CC BY-SA 2.0)
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