Ce 7 septembre, l’Académie Goncourt levait le voile sur les ouvrages retenus pour l’édition 2021 de son prix. Considérant que le dernier lauréat, Hervé Le Tellier a vendu plus d’un million d’exemplaires de son livre lauréat de 2020, les attentes sont grandes. Mais la présence de François Noudelmann dans la sélection, pour son premier roman, pose quelques épineux problèmes éthiques. Voire moraux ?
Le 21/09/2021 à 09:24 par Nicolas Gary
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Publié le :
21/09/2021 à 09:24
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Intransigeance, exigence, hauteur de vue… les jurés du Goncourt ont, depuis quelques années, tenté de se débarrasser d’une réputation de copinage et de compromis qui collait au prix. L’hydre GalliGrasSeuil – d’après le bon mot du Canard enchaîné — recoltait les récompenses, créant la polémique. « Car le Goncourt ne récompense pas un écrivain, comme un vain peuple le pense, mais un éditeur. Le trio Gallimard-Grasset-Le Seuil, surnommé “Galligrasseuil”, fait la loi », écrivait Frédéric Pages dans le volatile en novembre 1999.
Mais la pluralité des prix littéraires, et le nombre de récompenses allant croissant, on parlait d’un certain assainissement : la sociologue Sylvie Ducas, maître de conférences à l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense, le soulignait en 2016 auprès de Telerama.
C’est une très bonne chose, car cela a obligé les Goncourt à ne plus être dans la collusion « Galligrasseuil ». Ces prix anti-corruption sont décernés par des jurys de lecteurs amateurs, que l’on ne peut pas soupçonner de « truander » avec le milieu. Ils ont permis à des éditeurs n’ayant jamais reçu de prix d’en obtenir, ce qui a entrouvert la porte. Il y a toujours eu des logiques marchandes et des logiques de consécration, mais démultiplier les prix n’a rien d’indigent, les palmarès ne sont pas mauvais et ils permettent en outre de faire parler de littérature plusieurs fois par an.
Sauf que couac et recouac : la jurée Camille Laurens est en effet, à la ville, compagne de François Noudelmann, philosophe, qui publie Les enfants de Cadillac (chez Gallimard, allons-y joyeusement), présent dans la liste de septembre.
Le président de l’Académie, Didier Decoin, se drape dans une dignité circonstanciée, et assure que non, aucun conflit d’intérêts dans ce choix : « Ce qui nous intéresse, c’est l’œuvre et elle seule. Les liens que l’auteur peut avoir avec X ou Y, ce n’est pas notre problème », dégaine-t-il auprès de France Inter.
Pour autant, lui-même ne proposerait pas son fils, Julien Decoin, dans une sélection. Mais ce n’est pas pareil : les liens de filiation représentent une tache plus visible. Or, dans le cas du couple Laurens/Noudelmann, pas de mariage, peut-être pas même de Pacs — du moins le président de l’Académie l’ignore. L’enquête fut donc finement menée dans l’examen de ce cas de figure. Si les liens n'intéressent pas, au moins serait-il bon de les connaître...
« Alors oui, ils sont ensemble. Nous avons estimé que ce n’était pas une raison pour pénaliser un bon livre », reprend-il. Et puisque l’on est entre amis, il ajoute que la majorité des autres jurés n’a pas formulé d’objections à ce que le livre paru chez Gallimard soit retenu. Dommage, nos confrères ne sont pas parvenus à joindre la jurée pour avoir son point de vue.
Mais l’opprobre sur les prix littéraires d'automne revient au galop, ressassé par le vent mauvais d’un papier du Monde en novembre 2020 : le prix Renaudot, déjà lourdement frappé par l’affaire Matzneff, se voyait mis en cause. Rappel des faits : cette année-là, Anne-Sophie Stefanini, autrice publiée chez Gallimard, se retrouvait dans la sélection finale de la récompense : Patrick Besson, son compagnon et pendant un temps mari, est membre du juré. Un détail parmi d’autres que pointe l’article…
Alors que la deuxième sélection interviendra le 5 octobre, communication de crise chez les Goncourt, et surtout, que faire ? Sortir le livre de Noudelmann, pour apaiser les tensions — et reconnaître implicitement qu’un problème se posait… tout en ayant occupé une place qui aurait pu mettre en lumière, et pour de meilleures raisons, un autre roman ? Épineuse, épineuse, la couronne.
Selon les premiers relevés d’Edistat, le livre de François Noudelmann, sorti le 18 août aligne tout juste 693 exemplaires (données Edistat au 21/09). Or, ce 17 septembre, Camille Laurens signait dans le Monde une chronique portant sur l’ouvrage d’Anne Berest, La carte postale (Grasset). Vindicative, excessive, flirtant avec l'ad hominem mais surtout, un roman retenu dans la sélection du Goncourt.
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Face aux ventes des Enfants de Cadillac, celles de La carte postale aurait-elles fait trembler la jurée ? En effet, 7227 exemplaires (données Edistat au 21/09) et une presse plus enthousiaste : fallait-il y lire une revanche, contre une concurrente aux thématiques similaires ? Surtout quand les papiers de ladite jurée sur l’ouvrage de Christine Angot et de Mohamed Mbougar Sarr, également retenus par l’Académie, versent plutôt dans l’éloge.
Un point que le président n’a manifestement pas digéré : « Je vous le dis franchement », tempête-t-il, « ça, je n’ai pas aimé du tout, du tout, du tout ! À partir du moment où l’Académie vote pour un livre, Camille faisant partie de l’Académie, elle doit être solidaire. Elle n’a pas à décréter tout à coup que ce livre est une nullité ! Je n’ai pas apprécié du tout. Et nous en parlerons »
On manquait d’animation, en cette rentrée…
Philippe Claudel, secrétaire de l’Académie, s’est confié à l’AFP : « Il y avait une majorité d’entre nous qui avions apprécié ce livre, et qui avons découvert après coup qu’il y avait un lien entre François Noudelmann et Camille Laurens, à propos desquels on l’a interrogée. »
Et d’assurer qu’un vote avait eu lieu pour inclure l’ouvrage dans la sélection, « que ce n’était pas un problème éthique ou déontologique, ce qui serait le cas s’il émanait d’un conjoint, d’un descendant, d’un ascendant. Et il a réuni une majorité qui lui a permis d’être dans la sélection. Pour l’Académie, le conflit d’intérêts a été écarté ».
crédit photo : Maxim Hopman/ Unsplash
Par Nicolas Gary
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Cromanche
21/09/2021 à 15:58
"Patrick Besson, son compagnon et pendant un temps mari, est membre du juré" : cela ne veut strictement rien dire.
Si je me réfère à l'article du Monde, je lis que Besson était le compagnon d'Anne-Sophie Stefanini lorsqu'il a soutenu un de ses romans pour le Prix Renaudot. C'est par la suite qu'ils se sont mariés.
SamSam
26/09/2021 à 16:47
LOL