L’illettrisme en Afrique, un pieux mensonge
Dans l'histoire telle que l'écrivent les pays colonisateurs, le continent africain apparait souvent comme un espace de « manque ». Une terre d'où la civilisation et la culture auraient été absentes – celles des colons, en tout cas. Un espace où, forcément, l’alphabétisation ne pouvait pas exister avant l’arrivée des peuples européens…
Le 22/06/2021 à 09:50 par Valentine Costantini
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Publié le :
22/06/2021 à 09:50
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Le détail des rencontres européennes modernes avec l'écriture libyque, ou libyco-berbère, est une histoire de négligence, de fausses hypothèses et de destruction – purement et simplement. C’est ce qu’expose D. Vance Smith, professeur au Département d'anglais de l'Université de Princeton, dans un essai publié sur AEON. D’après lui, les preuves ont été négligées, perdues ou effacées, au point de nous conforter les puissances coloniales dans leur rôle de porteuse de culture et de savoir.
Une approche qui, par le passé, avait été renforcée par les écrits de Pierre Bourdieu du reste.
L’alphabétisation, norme de création de la pensée
Pour Bourdieu, la capacité même de penser ou réfléchir à ce qui est juste ou non, est intrinsèquement liée à l’alphabétisation. L’idée ici est que l’alphabétisation est une caractéristique nécessaire, autant cognitivement que culturellement. Elle devient alors une « norme », sur laquelle se basent les universités de l’époque pour maintenir la valeur de leur travail intellectuel.
Une absence de norme, donc, qui devient une marque d’infériorité. D’après Smith, cette absence de culture est en réalité uniquement supposée, créée par ce qui pourrait être considéré comme une arrogance intellectuelle qui fait partie intégrante de notre héritage culturel européen.
L'alphabétisation, pour Bourdieu, n'est pas une caractéristique neutre ou inerte de la culture. Pour lui, elle représente la façon dont l’humain prend pleine conscience de lui-même, et développe en conséquent des cultures symboliques complètes.
« L'aveuglement de Bourdieu vis-à-vis de l'écriture africaine est lié à des idées sur l'histoire en tant que progrès, idées qui sont étrangement discordantes avec la propre opposition de Bourdieu à la domination coloniale en Algérie », explique Smith.
Comme beaucoup d’intellectuels à son époque, Bourdieu prône, volontairement ou non, une théorie de pouvoir universitaire. En d’autres termes, l’idée que les universités avaient le pouvoir de changer parce qu'elles enseignaient et reproduisaient des connaissances qui existent dans l’esprit. Une théorie, finalement, qui entretient la pensée qui ferait croire d'emblée à Bourdieu que les peuples africains n'avaient jamais été alphabétisés. Or...
« Le reniement d'une écriture qui existe depuis plusieurs millénaires s'inscrit dans une adhésion systématique et philosophique à une vision historique européenne : de l'histoire comme passage de l'autre primitif et enfantin à un moi mûr et moderne – que l'on ne trouve qu'en Europe. »
La prose de Bourdieu n’évite donc pas le recours aux tropes colonialistes, d'après Smith, selon lesquels les peuples africains n'auraient pas la capacité de raisonner. Ils manqueraient d'institutions complexes, ils préféreraient la narration à la technologie, avec une base de connaissances très fragile…
Le libyco-berbère, système d’écriture oublié
Il existe en Algérie quatre alphabets, dont trois parfaitement répandus – phénicien, latin, et arabe –, et un dernier, indigène. Le libyco-berbère, cependant, démontre une existence conséquente. Comme l’explique Smith : « Trouvée dans toute l'Afrique du Nord et aussi loin à l'ouest que les îles Canaries, l'écriture pourrait avoir été utilisée pendant au moins 1000 ans ». Existence qui a principalement été effacée, et qui a presque entièrement disparu.
Presque.
En effet, quelques traces subsistent, peintes ou gravées dans la pierre. Une pièce majeure avait notamment été volée lors d’un pillage, avant d’être vendue au British Museum pour la modique somme de 5 livres. Pièce qui, à l’heure actuelle, n’est pas exposée.
Reconnu comme un système d’écriture au XVIIe siècle, le libyco-berbère n’a pourtant pas encore été déchiffré dans son intégralité. Cette situation peut s’expliquer par une destruction de masse des preuves de cette écriture par, vous l’aurez compris, les civilisations colonialistes européennes.
Et pourtant, cet alphabet a bel et bien existé. Le discours autour de l’illettrisme du continent africain, alors, n’a jamais eu sa place dans notre société. N’en déplaise à Pierre Bourdieu : l’alphabétisation n’est pas un luxe européen.
Photographie : Stèle votive en calcaire avec écrits en grec, trouvée en Tunisie, 146 avant notre ère ; Stèle votive en calcaire, 2e siècle avant notre ère, affichant 4 lignes d'inscriptions en néo-punique. © British Museum
Par Valentine Costantini
Contact : valentine.costantini@gmail.com
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15 Commentaires
Tybalt
22/06/2021 à 12:11
Bien que ce genre d'article reste un rappel salutaire, le tableau n'est pas non plus désespéré en France : il y a des africanistes, comme François-Xavier Fauvelle, qui accomplissent un travail important pour faire voler en éclats ce qui reste des clichés liés à la vieille histoire empreinte des conceptions coloniales. Les absurdités proférées par Sarkozy dans son discours de Dakar avaient également été l'occasion, pour nombre d'historiens, de réaliser un travail de vulgarisation à ce sujet. Mais c'est un travail qui doit être poursuivi, car les clichés ont la vie dure.
Aradigme
23/06/2021 à 10:40
Bonjour Madame Constantini,
Vous écrivez: "une destruction de masse des preuves de cette écriture par, vous l’aurez compris, les civilisations colonialistes européennes".
Vous affirmez, mais pouvez-vous apporter des preuves? Disposez-vous d'indications qui supportent cette acusation? De circulaires? De textes? De photos? De récits? De noms? De lieux? De dates?
Quand les Français établissent un protectorat sur la Tunisie en 1881, la région est occupée par les arabes depuis 709, soit plus de mille ans. L'écriture arabe a depuis longtemps remplacé le lybico-berbère. Qui vous dit que ce ne sont pas les conquérants musulmans qui ont effacé des inscriptions? D'ailleurs, qui vous permet d'affirmer que des inscriptions ont été effacées? Le lybico-berbère s'écrivait voici plus de deux mille ans, avant la conquête romaine de la région. Rien ne prouve qu'ils écrivaient beaucoup sur des supports durables comme la pierre ou la céramique et ces populations étaient de toute façon peu nombreuses à l'époque. Un nombre restreint d'écrits et les effets destructeurs du temps peuvent aisément expliquer le peu d'artefacts demeurant aujourd'hui. D'ailleurs, pour quelle raison des Français auraient-ils passé leur temps à détruire des témoignages archéologique vieux de plus de deux mille ans? Que je sache, ils n'ont pas essayé de faire disparaitre les inscriptions et écritures romaines, byzantines ou arabes... Au contraire, ils les ont fait connaître...
Tybalt
23/06/2021 à 14:19
Et si vous alliez lire les travaux de l'historien cité dans l'article ?
Stan
24/06/2021 à 00:00
Les avez vous lus? Si oui, citez nous quelques extraits pertinents.
Si non: alors de quoi se mêle t'on ? On sent le biais idéologique chez vous.
Aradigme
24/06/2021 à 08:18
Bonjour,
Mais j'ai lu cet article qui n'est d'ailleurs pas écrit par un historien mais par un professeur d'anglais un peu en dehors de sa spécialité. Il ne mentionne qu'une seule destruction d'un artefact d'écriture lybique: celle qui arriva en 1842 quand, par accident, le consul brittanique à Tunis détruisit une stèle en en descellant une autre qu'il envoya au British Museum. L'auteur parle donc d'une destruction accidentelle unique causée par un seul individu maladroit et qui se déroula avant la colonisation de la région(1881). Or Madame Constantini parle de "destructions de masse" et insinue qu'elles sont l'oeuvre d'un système "colonialiste européen". Vous avouerez quand même qu'il y a de la marge entre ces deux affirmations... Un problème de traduction de l'anglais au français? J'en doute un peu... Bon, à chacun sa conception du journalisme, mais je préfère à la propagande le journalisme d'investigation sérieux qui vérifie ses affirmations plutôt deux fois qu'une et qui effectue une recherche personnelle de preuves avant d'affirmer de grandes généralités.
Aleph
23/06/2021 à 17:30
Merci.
Gayndé
24/06/2021 à 00:28
Que faites vous des Pharaons Noirs qu'on a essayé de nier l'existence ?
Aradigme
24/06/2021 à 08:27
Bonjour,
Les pahraons noirs ne constituaient pas le sujet de l'article, et encore moins du point que je soulevais, donc je ne vois pas pourquoi je les aurais mentionnés.
Ensuite, personne à ma connaissance ne cherche à nier leur existence. Il s'agit d'une seule dynastie (la XXVe) qui compte deux pharaons issus de Nubie et qui dura environ un siècle (entre -744 et -656).
moi
30/06/2021 à 13:58
Votre commentaire est extrêmement pertinent.
Shonus
24/06/2021 à 08:03
Autour de la méditerranée et vers la Mésopotamie, rien d'extraordinaire à trouver des alphabets. Qu'en est il de l'Afrique dite noire, subsaharienne ? En claire vous semblez dénoncer une injustice que vous appuyez fort mal.
destartine
24/06/2021 à 11:35
La réflexion, la pensée auraient forcément besoin de l'écriture pour se structurer ? C'est possible. Mais encore faudrait-il le démontrer.
destartine
24/06/2021 à 11:38
Que je sache, Socrate n'écrivait pas.
Ali adis
28/06/2021 à 16:20
Pour pouvoir structurer sa pensée, écrire est primordial...
Mais d'où vient cette assertion , yabtil des preuves tangibles qui l'affrmissent ?
Il ya bien dans l'histoire, des personnes illettrés, analphabètes , dont pourtant la pensée était bien structurée.
Vinh
28/06/2021 à 16:26
Bonjour Mme Costantini. Votre article est gorgé de présupposés idéologiques sur la colonisation française. On peut être anticolonialiste et éviter de faire croire que la France a désiré détruire tout ce qui existait avant elle (dans quel but ?). Vous semblez manifestement ignorer que votre pays possède de grands archéologues et historiens qui ont découvert ou démontré la grandeur et la richesse culturelles des pays conquis. Informez vous avant d'affirmer. Cordialement. Vinh
angela Brignone duckert
30/06/2021 à 23:32
je suis heureuse par cette reconaissance d'une" alphebitation " dans le Maghreb. Dommage que n'existe plus de traces de cet alphabet berbère.