Au commencement, en octobre 2018, il y avait une librairie. Le projet a suscité tellement d’intérêt qu’une maison d’édition a été fondée deux ans après pour diffuser à Naples et ailleurs une pensée radicale et pas encore très répandue, celle relative au Sud du monde (Méditerranée, Moyen Orient et autres régions au Sud du monde). Il était une fois la librairie Tamù, devenue éditrice...
Le 18/03/2021 à 16:22 par Federica Malinverno
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Publié le :
18/03/2021 à 16:22
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Tamu Edizioni est un projet créé l’été dernier à Naples par Valeria Gennari, Fabiano Mari et Carmine Conelli. Une maison d’édition née de la librairie homonyme, ouverte par Fabiano avec Cecilia Arcidiacono en 2018 dans le centre historique de Naples.
Comme le rappelle Carmine, il s’agit d’un « espace précieux qui est rapidement devenu un point de référence dans la ville pour les discussions consacrées aux thèmes de la migration, de la pensée féministe, antiraciste et anticoloniale, et avec un focus géographique centré sur la Méditerranée, le Moyen-Orient et les autres Sud du monde ».
Une entreprise culturelle basée sur le débat politique et la confrontation d’idées, ainsi que sur la diffusion d’une pensée, celle concernant le sud du monde, relativement peu connue et étudiée en Italie.
Carmine et ses collègues ont ressenti le besoin d’élargir ce projet, donnant naissance à une maison d’édition : « À un certain moment, avec Valeria et Fabiano, nous avons ressenti le besoin de multiplier les occasions de discussion sur ces questions. »
Pour expliquer la nécessité de cette nouvelle maison d’édition, Carmine précise qu’ils sont partis de « deux considérations : l’idée qu’il y avait dans la ville un bouillonnement culturel sur ces questions que nous pouvions canaliser dans un projet commun, et la nécessité de relier Naples — la ville où nous opérons et le symbole d’une Italie du Sud qui, selon une certaine rhétorique, doit toujours apprendre du Nord — avec les expériences, les pratiques et les cultures de lutte d’autres hémisphères du Sud, qui tentent également de se dégager de cette même rhétorique ».
Un projet donc qui se concentre sur la ville de Naples et la relie en même temps à d’autres territoires, dans le but de créer une synergie politique et intellectuelle, pour contribuer ainsi à la diffusion de la pensée féministe, antiraciste et anticoloniale.
Tamù Edizioni a été fondée sous le signe de cet engagement politique, culturel et éditorial. Un militantisme qui semble nécessaire, inscrit dans l’ADN de cette initiative : « Il existe, dans la sphère de la culture et de la connaissance, une tendance générale à revendiquer une certaine neutralité à l’égard de la politique, qui, selon nous, n’est fonctionnelle que pour la reproduction des relations de pouvoir existantes. Au contraire, nous croyons fermement que la culture et la politique sont intrinsèquement liées, et par conséquent, se lancer dans un projet éditorial signifie se demander quelle image du monde nous voulons relater. »
Pour synthétiser ce concept, Carmine mentionne ensuite Michel Foucault, qui a déclaré que « la connaissance n’est pas faite pour comprendre, mais pour prendre position ».
Tout cela se traduit au niveau éditorial par une série de publications permettant « d’observer de près comment la société globale contemporaine est en train de changer, en adoptant le point de vue des luttes transféministes, antiracistes, anticolonialistes et écologiques dans le monde ».
Et cela ne se développe pas seulement sur le plan intellectuel, mais aussi à travers des collaborations sur des sujets politiques et avec des associations. « En imaginant nos livres — explique Carmine — nous essayons de partager la construction du plan éditorial avec des sujets qui animent ces luttes, même au niveau transnational. Il suffit de penser à notre collaboration avec la maison d’édition argentine Tinta Limon pour le dernier livre que nous avons publié (Laboratorio favela). »
Une construction éditoriale de type horizontal, où les idées des éditeurs sont directement confrontées aux protagonistes des luttes dont ils parlent. Il se crée ainsi une synergie très fertile entre les sujets producteurs de livres et les sujets producteurs de luttes, impliquant directement la société civile dans ces initiatives. Au nom d’un activisme politique, culturel et éditorial.
Malgré la singularité de son projet et sa forte identité, Tamù n’est pas la seule maison d’édition militante et indépendante à soutenir ces valeurs.
Comme le rappelle Carmine, « dans le monde de l’édition indépendante, il existe de nombreuses maisons d’édition qui proposent des catalogues radicaux et de qualité, qui sont aussi en partie attentifs aux questions que nous avons décidé d’aborder dans notre projet ». Et il mentionne, par exemple, « Alegre, Deriveapprodi, Meltemi, Ombre Corte, (...), qui sont enracinées dans le territoire italien depuis des décennies et qui ont produit au fil du temps un savoir militant indispensable ».
Qui sait, peut-être qu’à l’avenir des collaborations naîtront parmi ces entreprises, car, comme nous le savons, unir ses forces et ses réseaux est l’une des principales voies à suivre pour des structures qui veulent maintenir leur indépendance et résister face à certains géants de la production, et surtout de la distribution, des livres.
Même face à eux (pour ne pas les nommer, Amazon), Tamù n’a pas baissé les bras, mais a décidé de donner une autre preuve concrète de son militantisme, en refusant de vendre ses livres directement à Amazon.
« Le problème de la distribution à grande échelle est l’une des principales menaces pour la vie de la chaîne d’approvisionnement des livres indépendants et c’est pourquoi, symboliquement, nous avons décidé de ne pas vendre nos livres à Amazon », rappelle Carmine. Et il précise : « Certes, dénoncer l’exploitation du travail à laquelle sont soumis les employés d’Amazon est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant si l’objectif est de tenter de s’opposer aux mécanismes faussés dont ces géants alimentent la chaîne d’approvisionnement et la logistique du livre. »
Mais le fondateur rappelle aussi la naissance d’une série d’initiatives, liées à la distribution des livres, qui ont permis de rendre plus solide et interconnecté le rapport entre éditeurs indépendants et librairies : Librostore, Libri da Asporto et Bookdealer.
En fait, les principaux alliés de Tamù sont les librairies. « Venant d’une librairie indépendante, nous considérons que notre relation avec les libraires qui animent des expériences culturelles indépendantes est très importante — rappelle Carmine. Nous avons donc privilégié un canal direct avec une communauté d’une soixantaine de librairies dans toute l’Italie, dont nous espérons que le nombre augmentera en même temps que notre expérience éditoriale. »
Cependant, pour diffuser les livres de Tamù même dans les petites provinces et les périphéries, il est important d’entretenir des relations également avec les différentes chaînes de librairies. Et, en général, la relation avec les librairies est directe et personnelle : « Nous expliquons à l’avance aux libraires le sujet de nos livres, afin qu’ils puissent en parler à ceux qui visitent leurs librairies. Ce faisant, nous aimons rappeler qu’un libraire n’est pas simplement un vendeur de livres, mais qu’il joue un rôle très important dans la diffusion des idées. »
Et c’est justement dans le domaine de la circulation des idées que les librairies s’avèrent être un allié fondamental pour Tamù, en vertu de leur fonction de lieux de débats politiques et culturels qui, malheureusement, puisque la maison d’édition a été fondée pendant la pandémie, n’ont jusqu’à présent eu lieu qu’en ligne.
Toutefois, Carmine n’aime pas parler de ces occasions en termes de « promotion » des livres (« le terme rappelle des logiques publicitaires qui ne représentent pas l’esprit avec lequel nous travaillons »). Il préfère le terme de « circulation » et considère les livres comme des outils permettant de « changer les structures de pensée ». En plus des activités traditionnelles des relations presse et communication, Tamù est également présent sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et Instagram.
Mais quels sont et comment se sont vendus les premiers livres que cette maison d’édition a choisi de publier ?
« Nos deux premiers livres, Elogio del margine/Scrivere al buio (Éloge de la marge/Écrire dans le noir) de bell hooks et Maria Nadotti et Mediterraneo Blues de Iain Chambers », explique Carmine, « ont reçu beaucoup d’enthousiasme », et il ajoute, « le premier, en particulier, nous l’avons réimprimé après seulement un mois et il continue à animer les discussions ».
Début mars est paru Undercommons de Stefano Harney et Fred Moten, « un livre visionnaire publié en coédition avec Archive Books, dans lequel les auteurs, en hommage à la tradition radicale noire, nous invitent à expérimenter de nouvelles formes de socialité en résistance aux impositions des mécanismes de contrôle de la gouvernance néolibérale ».
Enfin, il y a quelques jours est arrivé dans les librairies Laboratorio favela, « un livre posthume de Marielle Franco qui rassemble sa thèse et de nombreux discours prononcés pendant son activité politique contre les abus policiers dans les favelas et en faveur des droits des femmes et des hommes noirs et des communautés Lgbtqi+ à Rio de Janeiro ». Ce livre a été publié trois ans après son assassinat, « pour relancer l’attention en Italie sur son cas, en donnant les recettes des ventes à sa famille ».
En plus de ces nombreuses publications, Tamù nous dévoile certains de ses projets : « Nous travaillons sur un magazine semestriel, qui s’appellera Arabpop et sera axé sur les arts et la littérature arabes contemporains. C’est un projet auquel nous travaillons avec une équipe éditoriale composée d’experts en la matière et qui sera publié dix ans après le début des révolutions qui ont profondément changé notre perception des sociétés des rives sud et est de la Méditerranée. »
Six autres livres sont prévus pour le printemps et l’automne, signe que le projet a définitivement pris de l’ampleur.
Tamù — dont le nom fait référence à une héroïne berbère qui lutte contre les Français dans un roman qui se déroule lors de la désintégration du régime colonial au Maroc — est une maison d’édition indépendante et courageuse qui cherche à diffuser une pensée politique et culturelle précise à Naples.
Nous espérons que des projets et initiatives comme ceux-ci — en reprenant les mots de Carmine — « ne soient que le début d’un raisonnement global auquel nous espérons contribuer et auquel, à notre avis, toutes les structures indépendantes qui se soucient de la protection de la bibliodiversité devraient participer ».
crédit photos : Tamù
7 Commentaires
Aleph
18/03/2021 à 16:54
Il manquait effectivement des éditeurs de gauche.
Aïe
19/03/2021 à 06:48
Ni d'articles sur ActuAlitté pour les soutenir ;-)
Nicolas Gary - ActuaLitté
19/03/2021 à 09:50
Et on manquait de commentateurs pour s'en émouvoir.
À quand la création d'une structure éditoriale défendant votre vision du monde ? Elle aurait certainement droit à un papier ici même.
Aïe
19/03/2021 à 10:10
Cher Nicolas,
Il existe (il est vrai très peu) d'éditeurs de droite et je ne crois pas avoir jamais vu d'articles faisant leurs promotions sur votre site. Je peux me tromper, car je ne suis votre site que depuis quelques années.
Nicolas Gary - ActuaLitté
19/03/2021 à 19:34
Leur discrétion n'est probablement pas à l'aune de leur qualité éditoriale.
Quand on est fier des oeuvres que l'on fait paraître, on le fait savoir.
Une base du commerce, me semble-t-il.
Aïe
20/03/2021 à 08:25
Leur discrétion est à l'aune de la volonté de ne pas leur laisser de la place. Avez-vous une seule fois un éditeur de droite passer dans une émission de télé ?
Aleph
19/03/2021 à 11:38
"À quand la création d'une structure éditoriale défendant votre vision du monde ? Elle aurait certainement droit à un papier ici même."
Tu parles d'une incitation. Bonjour l'étude de marché.