« …dans le silence de ce jour naissant, je veux regarder le monde avec des yeux remplis d’amour »
Saint François d’Assise
Ce livre est un cours d’histoire de l’art que l’auteur donna à l’Institut catholique de Paris. Il est composé de dix leçons, qui suivent le développement des formes artistiques qu’inspirèrent les ordres mendiants du XIIIème siècle au milieu du XVIIème siècle ; le titre répond de l’austérité du sujet, mais il paraît utile de redonner vie à cette étude, en particulier lorsque l’occasion se trouve de mesurer l’état d’ignorance qui règne sur cette matière.
Qu’on en juge : les amateurs qui se sont rendus cet automne au musée Jacquemart-André pour admirer la superbe collection Alana et ses précieux peintres italiens des XIII et XIVème siècle, ont pu en feuilleter le catalogue sans trouver un mot de la spiritualité qui imprègne ces œuvres, cette spiritualité de « l’art mendiant » qui sortit tout entier de la prédication de saint François d’Assise, et dont tout en elles renvoient à lui. C’est passer la revue des peintres du Grand Siècle sans articuler jamais le nom de Louis XIV. On veut penser que ce silence signe une noire ignorance plutôt qu’une censure volontaire ; ajoutons qu’on a manqué là l’occasion de renvoyer à un livre remarquable, dont le sujet va nous occuper maintenant et de faire connaître un auteur qui fut un peu « de la maison » puisque Louis Gillet fut à partir de 1912 le conservateur de l’abbaye de Chaalis dont Nélie Jacquemart fit l’acquisition en 1902.
De ce livre, Louis Gillet donna deux éditions[1]. Celle de 1912 [2] contient tout l’élan d’un jeune homme de trente-cinq ans : un esprit dont la formation n’était pas achevée, mais dont les vives impressions des voyages en Italie colorent toutes les pages et dont l’érudition, abondante et comme impatiente, justifie l’ambition de l’ouvrage. Il reconnaît sans difficultés sa dette envers Emile Mâle, qui eut l’intuition qu’une source vive avait été ouverte, autour de ce XIIIème siècle qui avait transformé toutes les représentations et le fond même du tempérament chrétien. L’auteur de l’Art religieux au XIIIème siècle, son aîné de dix ans seulement, mais déjà respecté comme un maître, avait souhaité que cette inflexion décisive donnée par les ordres mendiants fût un jour écrite[3].
La grande Consolation
Le rôle essentiel des ordres monastiques dans le naufrage du monde antique est trop connu pour qu’on y revienne. Ces communautés furent le refuge des lettres classiques, l’école de la philosophie médiévale et l’atelier de l’art monumental roman et gothique. Au XIIIème siècle, les Ordres mendiants, autour de saint François et de saint Dominique, en retrouvant le farouche esprit de pauvreté de l’Evangile, mirent en révolution la civilisation chrétienne : leur paupérisme intransigeant, la discipline inflexible des organisations qu’ils fondèrent, et une prédication tournée vers le peuple devait inévitablement donner un visage nouveau à la civilisation de l’Occident.
Dès la mort du Poverello en 1226, les papes, l’Eglise, cherchèrent à organiser cette révolution, qui tendait à l’absolu au risque de l’hérésie, et ils y parvinrent avec d’autant plus de brio qu’ils en conservèrent le prosélytisme en le débarrassant de son vague socialisme et des ferments de sédition politique que cette doctrine de dénuement, poussé à l’excès, ne pouvaient manquer de répandre ; ils comprirent que ces prédicateurs qui cultivaient le dénuement et goûtaient les privations comme de délectables récompenses, étaient contre hérésie l’exemple le meilleur, la plus juste réponse et l’arme la plus formidable. D’une menace à l’ordre social et à l’autorité religieuse, ils surent faire une immense promesse.
S’il est juste de citer les Carmes et les Augustiniens, les ordres mendiants majeurs furent les Franciscains et les Dominicains : ils constituèrent l’armée de cette reconquête. La révolution qu’ils menèrent, cette grande Consolation, gagna l’Europe en quelques mois. Il sembla soudain que le Seigneur allait demander compte à la génération des princes-évêques et des abbés à cheval, et qu’enfin seraient établis sur les biens du monde les plus diligents des serviteurs du Maître.
Et l’art dans tout cela : et bien d’art il n’en fut pas question ! Ces prêcheurs impécunieux qui n’emportaient, selon le commandement de saint Luc ni bourse, ni besace, ni sandales, doux et humbles de cœur, allaient au plus rapide et au plus efficace : ce furent d’abord des églises que l’on décida de bâtir, avec une hâte de Saints des derniers jours, lorsque passa l’âge héroïque des prêches en plein air. On construisait au meilleur compte, à la périphérie des cités, de vastes édifices dont le but était d’accueillir le plus de fidèles possible : pas de chapiteaux sculptés, des colonnes sans base et sans finesse : pas d’ogives mais un plafond et du bois plutôt que la pierre. Inévitablement, ce dépouillement s’étendit aux murs de l’église : ces immenses murailles nues étaient faites pour tenter l’art des peintres, car en effet, le gothique est un système de poids et de soutiens, où les supports se réduisent aux colonnes et aux nervures, et dont l'idéal est l'amincissement progressif et la suppression des murailles, — l'architecte d'Assise a manifestement fait une oeuvre toute différente, où les surfaces pleines l'emportent sur les vides, et où ce sont les murs qui jouent le rôle essentiel. Lorsque la foi farouche, l’ascétique et impécunieuse foi des premiers temps de l’ordre fut lentement amenée aux concessions du siècle, lorsque les lois somptuaires écrits par les premiers maitres des ordres tombèrent, il se fit à la fois une domestication sociale de l’aspiration religieuse et aussi un intérêt nouveau vers le pouvoir de l’art, sur sa capacité à soutenir le Message. Les murailles des églises des Mendiants accueillirent naturellement ces grandes fresques qui décorèrent d’abord Assise, dès 1250. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le mot de Renan : Ce mendiant est le père de l’art italien : non que le saint se soit jamais soucié de peinture ou d’architecture, mais le mouvement dans lequel il lança le monde chrétien, fonda, sans que jamais il y mît la main, un art nouveau.
Le tournant qui mènera à la renaissance des arts, la date en est marquée. En 1288 Nicolas IV, le premier pape franciscain, monte sur le trône de Pierre et sa première pensée est pour la basilique du fondateur de son ordre : il dépêche à Assise les meilleurs peintres de Rome, ceux qui œuvraient alors au Latran et à Sainte Marie Majeure.
Et Giotto vint
Et c’est un grand nom qui arrive dans la cité d’Assise, celui de Giotto. Puisqu’il faut bien donner une date, malgré bien des incertitudes, donnons avec Louis Gillet l’année 1296. La peinture en Occident était retombée dans l’enfance. Cavallini, Arnolfo di Cambio, Cimabue retrouvaient à peine les rudiments de l’art. Explorer ce moment c’est déchiffrer les archives de la Renaissance, c’est en épeler les noms, c’est lire le registre de son état-civil. C’est Saint Bonaventure dont les écrits sur saint François furent si populaires que les docteurs craignirent qu’ils fussent reçus par le peuple comme un cinquième Evangile, c’est saint Bonaventure qui allait fournir le programme des fresques. Et on aperçoit déjà les immenses conséquences d’une peinture qui trouve dans l’épopée d’un saint tout un registre d’images nouvelles, un vocabulaire contemporain qui venait donner une apparence, une forme, aux sermons et à la légende. Ce fut une révolution. Pour la première fois depuis des siècles, l'art, au lieu de reproduire des formules, imagine, invente, improvise. Au lieu de copies, bâtardes, dégénérées, difformes, c'est la vie qui devient l'objet de l'imitation, la source et la matière du beau. La fresque – et la fresque, au XIIIème siècle, c’est encore toute la peinture- devient le miroir de la nature.
Avec ce naturalisme de Giotto, représentant ici un âne, là un arbre couvert d’oiseaux attentifs au prêche du Poverello, on sent la peinture prête à recueillir, à travers ces exempla, tous les incidents, toutes les trivialités de la vie. C'est véritablement la Prière de saint François: je veux regarder le monde avec des yeux remplis d'amour.Tout ce qui n’était pas dans la peinture allait y entrer, tout ce que l’orgueil théologique de l’art gothique avait laissé à la porte de la maison de Dieu est encouragé à y entrer : les costumes et les outils, les paysages et les intérieurs, l’homme saisit au moment où il boit, au moment où il dort ; toute la société, du frère en robe de bure au joli page qui mène la monture du chevalier : une irruption, un débordement de vie ! Que voit-on sur ces fresques, ces tableaux de dévotion ? Des monuments aussi, ceux que Giotto avait sous les yeux et que nous pouvons admirer aujourd’hui encore, comme la place d’Assise ou la colonne Trajane –et c’est une belle page de Louis Gillet :
Là, c'est une ville italienne, serrée dans ses remparts, avec ses toits plats se chevauchant comme des tuiles, ses loggias, ses fenêtres à colonnettes, son profil hérissé de tours, pareil à une herse retournée en plein champ au sommet d'une colline. Ailleurs, un intérieur d'église aperçu de l'autel, derrière la clôture du choeur : on voit la perspective piquante de l'ambon, des icônes sur l'iconostase, le châssis de la grande croix oblique maintenue par un tirant de fer. Et partout, dans les ornements, dans la décoration, dans les meubles, dans les édifices, dans les mosaïques des tympans, des gâbles et des pinacles, dans les enroulements polychromes des colonnes torses, respire le sourire brillant de la Renaissance romaine. Il y a ici des airs de tête, des vieux à mine de sénateurs, de belles Ombriennes à figures de madones, aux beaux arrangements de coiffures et de mouchoirs, des gens d'armes, des hallebardiers, qui entreraient tels quels, comme morceaux de grand style, dans ce que le quattrocento nous a laissé de plus magistral. Personne, encore une fois, n'a pareillement accru le dictionnaire des formes, enrichi de plus de néologismes le répertoire des peintres.
En illustrant la vagabonde prédication du saint, Giotto composa un charmant et pieux Cantique des voyageurs. L’art mendiant s’engageait dans le siècle et donnait ainsi naissance à un art qui épousait les thèmes héroïques de la grandeur évangélique. La vision de la crèche miraculeuse de Greccio en sera l’expression ultime : peut-être est-ce de ce moment qu’instruit depuis longtemps du fait de mourir, les hommes prirent au sérieux le fait d’être nés.
Le temps de l’orgueil
Sassetta, Fra Angelico surent conserver l’esprit de cet art, l’un assimilant Sienne, l’autre Florence à cette heureuse Galilée où mûrit la méditation chrétienne, pays de claires fontaines et de jardins nourriciers, figuré par une peinture aux ombres sèches dans lesquels les martyrs sont élevés dans les bras d’anges aux ailes qu’ils semblent avoir frottés aux couleurs d’un arc-en-ciel.
Cette révolution que rien n’annonçait, on la doit à François d’Assise : un univers d’une sensibilité nouvelle, une tendresse, une attention aux êtres vivants du haut en bas de l’échelle de la Création, pour ce qu’ils sont et non pour le symbole qu’ils représentent. Et selon le mot de Emile Mâle, dans un article[4] qui résume le livre de Louis Gillet, il n’est pas exagéré de dire que François a transformé le tempérament chrétien. Seulement Mâle pose comme terme à cette révolution la renaissance italienne, tandis que Louis Gillet voit se poursuivre cette fièvre, dans une peinture d’une grande force.
Aujourd'hui, fatigués de la culture classique, désabusés de cette grande conquête, et de plus en plus indifférents au prix de l'art, au bien dire, à l'ornement de l'intelligence et à ce qu'on appelait les belles humanités, nous avons peine à nous figurer ce que fut, au XVème siècle, l'enthousiasme devant l'antiquité renaissante. L'esprit humain retrouvait ses titres. Jamais nous ne nous expliquerons la gloire invraisemblable de quelques personnages, les honneurs rendus à un Pogge, la situation européenne d'un Politien ou d'un Erasme, les traitements réservés à un Marsile Ficin ou à un Gémisthos Plêtho, par la raison que celui-là avait exhumé Quintilien, que cet autre tournait le vers latin comme Horace, ou que le dernier possédait à fond la grammaire grecque et pouvait expliquer les arcanes de Platon. Pendant deux siècles, ce fut là une sorte de délire : depuis Pétrarque, qu'on trouva mort sur un texte d'Homère qu'il ne savait pas lire, jusqu'à Michel-Ange, demi-aveugle, palpant de ses vieux doigts le Torse du Vatican qu'il ne pouvait plus voir, l'intelligence humaine demeura dans l'enchantement de cette beauté entrevue, qui semblait revenir au monde.
Car le temps de l’orgueil viendra dans lesquels les idéaux de frugalité, ce sens presque amoureux de l’humiliation de l’homme allaient disparaître ; après le temps de la redécouverte de la nature et des vraies formes, l’art aura un autre rendez-vous, celui des sources de l’art antique. C’est au travers de ces deux ingrédients que l’humanisme donna la formule de la civilisation : la Renaissance limitée d'abord au siècle de Léon X, puis reculée à Masaccio, est en réalité un mouvement homogène, un phénomène continu qui commence au XIIIe siècle, se poursuit avec Giotto, pour s'achever deux siècles plus tard dans les œuvres de l'âge d'or.
Un normalien différent
Louis Gillet appartenait à une de ces familles pieuses et unies, aux mœurs sévères, dont le type a été fixé au temps de Port Royal et dont les jours, faits de joies simples, s’écoulaient dans un silence conventuel où l’amour donné, jamais redemandé, était pourtant rendu au centuple. Son père est marguiller de l’église Saint-Paul à Paris. Elève de Joseph Bédier et de Romain Rolland, Louis Gillet fut un normalien différent : dans une école au sein de laquelle, quoique la chose nous paraisse extraordinaire, l’amour de la littérature semblait même suspect, il dévore le roman et la poésie de son temps : Maupassant et Heredia. Son grand homme, c’est un petit bonhomme à lorgnons menant depuis sa petite boutique, dans une rue du quartier des Ecoles, une guerre mystique au monde et au siècle : Charles Péguy.
Cette amitié, ces rêveries, ces voyages à Chartres, Louis Gillet les paya comptant : il échoua à l’agrégation. Après avoir commencé une carrière de professeur loin des prestiges de Paris, c’est l’écriture qui va absorber sa vie. Il fit de la Revue des Deux Mondes sa chaire d’enseignement, d’abord comme spécialiste des questions artistiques, ensuite comme spécialiste des littératures étrangères.
Une partie, une partie seulement de cette œuvre a été rassemblée par M. de Rubercy [5] : ces mille pages, qu’i est important de lire, suffisent à peine à donner une idée de l’énorme production de Louis Gillet. Outre la Revue des Deux Mondes –deux fois par mois ! le Figaro ou le Journal des Débats lui ouvrent leurs colonnes ; mais aussi le Gaulois, l’Eclair, l’Illustration. C’est un travail infatigable et les photographies des dernières années montrent un visage aux traits accusés sur lequel les veilles, les cigarettes et le café, ont laissé leurs traces. Dispersion ? il lui fallait bien vivre, sans situation forte, sans ce confort modeste mais vital d’un salaire de professeur agrégé ; il lui fallait multiplier les articles, les conférences, les ouvrages : sur Dante, Shakespeare, Raphael ou Monet ; chroniquer les dernières expositions, les livres dernièrement parus ; écrire, écrire, et écrire encore.
Une passion de connaître
Il sut cependant préserver la sagacité et de la profondeur du critique. Il fut capable de rendre au graveur anonyme de la Nef des Fous l’inspiration du Songe du chevalier de Raphaël, rattachant l’austère humanisme rhénan qui lisait l’Ecriture à la fumée des lampes, à la lumineuse aurore qui naît à la cour d’Urbino. C’est un bel exemple de ces études profondes que donna Louis Gillet, unissant l’œil du connaisseur, le savoir étendu de l’historien et la vivacité du journaliste. Il s’aventura avec un courage qu’il ne faut pas mésestimer, à juger de la littérature, de la peinture et de la sculpture de son temps. Il y a un grand courage à commencer par la condition d’historien, puis de descendre à celle d’historien d’art, et enfin par une intrépidité un peu inconsciente de dégringoler à la situation de critique d’art : Matisse, Bonnard ou Maurice Denis étaient encore des valeurs spéculatives à la bourse de l’Art et n’avaient pas dans l’histoire de l’art l’inexpugnable situation qui est la leur aujourd’hui – et il mena le même combat pour James Joyce. Louis Gillet les chroniqua avec d’autant plus d’intrépidité que rien ne garantissait qu’il fût suivi des lecteurs de la Revue des Deux Mondes.
Si Emile Mâle incarne le savant profond, en qui s’unissent une profonde science et une longue méditation morale ; si Ruskin est le prophète aux vues fulgurantes par lequel un au-delà de l’art se laisse entrevoir, Louis Gillet est le maître d’école dans lequel Paul Claudel reconnut la passion de connaître et celle d’expliquer, celui qui nous apprend à déchiffrer et à compter juste, celui dont la dette nous est sinon la plus importante, en tout cas la plus ancienne. En le portant au fauteuil d’Albert Besnard en 1935, l’Académie française sut reconnaître un génie sérieux qui s’est malheureusement effacé de notre horizon.
Le centenaire de sa naissance a été célébré au musée Jacquemart-André en 1976. Ses livres sont réédités et commentés ; manque sa biographie, qui viendra. Comme le prédisait Péguy, dans cinquante ans, toute la littérature moderne aura péri. Et c’est Péguy, c’est Gillet, qui resteront.
Le fil d’or
La seconde édition de l’Histoire artistique date de 1938 : elle est dépouillée de notes, raccourcie, son texte remanié par une nécessité des temps sur laquelle on voudrait connaître davantage, mais elle vaut cependant par une riche préface, dans laquelle l’auteur se retourne sur son œuvre avec une lucide sévérité. Faut-il le croire lorsqu’il nous dit qu’il regrette les effets oratoires, et le ton professoral ; les longues citations et les copieuses notes de bas de page ; qu’il renie une sentimentalité qui ôte au dessin de ce livre le naturel et le goût ? Qu’il prend la démesure d’une œuvre qui voulait embrasser quatre siècles de civilisation européenne, la peinture, la théologie et les lettres ? On pourrait souscrire à ce dernier regret, tant dix volumes n’y suffiraient pas, comme il nous en fait l’aveu. Et pourtant lorsqu’on se familiarise avec l’œuvre de Louis Gillet, on se rend compte qu’en réalité le compte est bon : les dix volumes y sont, tant il écrivit toute sa vie en suivant le fil d’or de la rêverie autour de Chartres et d’Assise[6].
Il nous dit aussi que, tandis qu’il corrigeait les épreuves de ce livre, en 1911, l’Allemagne à Agadir prenait la mesure de la détermination de la France ; qu’en 1938, tandis qu’il signe cette dernière préface, il reconnaît dans la comédie de Munich un prologue tragique. Car ce livre, qui enjambe près de quarante ans d’Histoire, contient l’amertume de voir une Europe embastillée dans des frontières, s’invectivant par-dessus ses remparts, promettant au voisin le sort des criminels et à l’ami d’hier la malédiction des vaincus.
Ces siècles qui courent de la prédication de saint François aux murs d’Assise jusqu’aux aux œuvres de Rubens aux Récollets d'Anvers, ont-ils conservé pour nous leur poésie ? Prenons garde : il n’y a de poésie que des choses que l’on sent, selon le mot de Goethe. Et c’est l’immense service que rend Louis Gillet de nous faire sentir ce monde ancien afin que leur poésie n’en soit pas perdue. Si cela ne se peut, si l’on ne devait plus jamais sentir ni comprendre, alors il nous sera donné, témoins des siècles rapides qui grondent dans le tourbillon de l’Histoire, de comprendre la parole de l’Evangile et comme est légère la pesée des œuvres de l’homme : de tout cela, qu’en sera-t-il à la fin des âges ?
[1] Klincksieck a réédité en 2017 cet ouvrage avec un texte établi par M.Bertrand Cosnet. Les deux premières éditions sont Histoire artistique des ordres mendiants, Laurens, 1912 et Flammarion, 1938
[2] Disponible sous Gallica.bnf.fr
[3] Henry Thode, François d’Assise et les origines de l’art de la renaissance, Henri Laurens, 1909 et Emile Gebhart, L’Italie mystique, Hachette, 1890 . Ces deux auteurs avaient, il est vrai, ouvert la voie.
[4] Emile Mâle, « Les aspects successifs de l’art chrétien » in Arts et artistes du Moyen-Age, Flammarion, 1968
[5] Essais et conférences, Klincksieck, 2017
[6] On citera, sans être exhaustif Sur les pas de saint François d’Assise, Plon, 1926 et La cathédrale vivante, Flammarion, 1936 ainsi qu’un livre charmant : Dans les montagnes sacrées, Plon, 1928
Par Les ensablés
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2 Commentaires
Christine Belcikowski
11/02/2020 à 08:35
Merci pour ces très belles propositions.
Antoine Cardinale
12/02/2020 à 12:00
Merci Madame,
votre lecture et vos commentaires me sont, depuis le début de cette série de chroniques, un encouragement précieux.