Les éditions Inculte ont annoncé ce jour le décès de l’écrivain Maurice Dantec. Âgé de 57 ans, le romancier est mort au cours du week-end. En mai 2012, il avait accordé à ActuaLitté une interview, alors que se profilait la publication du livre Satellite Sisters. La sortie ne se fera pas aux éditions Ring, comme ce fut prévu, mais l’entretien, lui, est toujours d’actualité.
Le 27/06/2016 à 19:47 par Clément Solym
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27/06/2016 à 19:47
C’est un non-sens total, typiquement médiatique, la preuve par 9 de l’ignorance du faiseur de Une moyen. Le néo-polar est né en 1970 avec un type qui s’appelait Jean-Pierre Manchette. C’était un marxiste, un vrai, il avait lu et compris Marx, pas comme Jean-Luc Mélenchon. Manchette s’en est servi comme un moteur plus narratif que stylistique pour son œuvre, dont La position du tireur couché est l’exemple le plus caractéristique. Le roman reprend d’ailleurs la théorie de base de l’homo economicus marxien. À l’époque, en 70, j’ai 11 ans, et un journaliste de l’époque invente le mot néo-polar, parce que Manchette rompait radicalement avec le polar à la française traditionnel. Dans le courant des années 70-80, il est rejoint par une cohorte d’écrivains de polars, généralement d’extrême gauche, comme Didier Daeninckx, ou Frédéric Fajardie. Manchette arrête d’écrire en 81, les autres continuent, et prennent la place.
Au milieu des années 90, quelqu’un dit « Dantec, inventeur du néo-polar », le surréalisme le plus total. Je n’écris pas de néo-polar, je ne suis pas marxiste, je ne suis pas de la génération de Manchette, j’arrive 20 ans après. D’autres ont inventé l’appellation « cyberpolar », un peu restrictive, mais déjà plus juste. En qualifiant mes œuvres de néo-polars, le décalage est à la fois temporel, mais aussi narratif et stylistique. Bref, il n’y a strictement rien à voir entre moi et le néo-polar.
© Stéphane Hervé
Satellite Sisters est sans doute plus fluide, plus lumineux et plus efficace que mes romans publiés aux éditions Albin Michel. Pour parler de cette désignation, je ne peux plus me considérer comme européen quand je vois ce qu'est devenue l'Europe, je ne peux pas me considérer comme français, parce que je ne me suis jamais vraiment senti complètement français. Exilé depuis 15 ans en Amérique du Nord, dans un territoire où la francophonie domine, je suis et reste un écrivain nord-américain de langue française.
Il ne s’agit pas vraiment de trouver sa place dans l’édition, mais plutôt d’assumer son destin. Je ne sais pas vraiment pourquoi Michel Houellebecq a quitté la ville, me concernant, je suis tenté de reprendre un proverbe afghan : « Donne un cheval à celui qui s’attaque à la vérité, il en aura besoin pour rapidement quitter la ville ». Les Afghans sont généralement assez bons pour les aphorismes.
Je sais très bien que j’écris un livre pour une personne, qui est multipliée par mille, dix mille, cent mille, un million… tout dépend du livre que vous faites et de son succès marchand. Vous écrivez pour la littérature. Les premières personnes auxquelles vous vous adressez, ce sont les autres écrivains : ceux qui sont morts, ceux qui viendront après vous, et, éventuellement, vos contemporains. Puis il y a des lecteurs, des personnes singulières, qui vont avec votre livre, suivre un récit, s’ouvrir ou se fermer à celui-ci…
Pour moi, il est impossible de savoir : certains auteurs savent, et reçoivent de ce fait un succès public assuré. J’essaye de faire en sorte que mon livre plaise à quelqu’un, quiconque. Je ne connais pas son sexe, son âge, son cursus, sa vie, d’où il vient, où il va, mais peut-être que ce livre va pénétrer son organisme, et provoquer en lui quelque chose, un changement, ou une réaffirmation de certaines certitudes, ou une remise en question fondamentale. Ce serait beaucoup moins drôle si on savait à l’avance, dans une écologie littéraire où tout serait planifié.
Vous avez fondé le groupe Artefact, dont l'unique album a marqué la new wave française, vous collaborez régulièrement avec des musiciens. Quelle place occupe la musique dans votre oeuvre ?
La musique est une problématique destinale pour moi : le punk, la punkitude qui apparaît entre 72 et 75 est corollaire à l’apparition d’écrivains comme J.G. Ballard, Norman Spinrad, Mickael Moorcock, Philip José Farmer, ou William Burroughs… Cette réappropriation de la science-fiction traditionnelle, du soap opera, et du rock des années 60 se fait alors simultanément par les auteurs et les musiciens. Dans trois villes, New York, Londres et Paris, ils se sont retrouvés autour des mêmes bases, ce qui allait donner des années plus tard le cyberpunk côté littérature, avec William Gibson ou Bruce Sterling, et, côté musique, l’électro.
Michael Moorcock faisait d’ailleurs partie d’un groupe de rock, The Fix, Norman Spinrad aurait tout à fait pu faire partie d’un groupe de punk rock lorsqu’il a publié Jack Barron et l’éternité, et Ballard aurait pu être parolier d’un groupe au tournant des années 70-80. Cette collision, cette « synthèse disjonctive », comme aurait dit Deleuze, a été opérante pour ma génération et pour celle qui l’a suivie.
Nous avons une culture commune, qui entend se réapproprier la science et la technique, pour en faire autre chose qu’une simple apologie, et autre chose qu’une simple dénonciation. Quand on lit Crash et La foire aux atrocités de J.G. Ballard, on est à l’intérieur, avec Ballard qui nous dit « Regardez, la civilisation automobile telle qu’elle est, c’est une forme de sexualité, et j’entends vous le démontrer ». Dans La foire aux atrocités, il y a d’ailleurs un esprit pop-art, comme si Warhol, au lieu de prendre des acides, se serait gavé de speed. Je crois qu’on retrouve la même chose avec des groupes électro qui ont rompu avec le synthétiseur « planant », et qui s’en sont saisis comme on aurait empoigné une Gibson avec un mur de Marshall derrière.
Je n’ai pas d’a priori. Comme toute innovation technique, elle a ses limites. La plupart du temps, les gens voient une innovation de ce type comme un grand vampire qui va tout détruire. C’est comme les gens qui pensaient que le cinéma allait détruire le théâtre, ou que la télévision allait tuer le cinéma. Satellite Sisters ne sera pas disponible en e-book car je pense qu’une liseuse est peu adaptée à la fiction, mais plus pour les recherches, la documentation : l’ebook est pratique pour passer d’un livre à l’autre, d’une bibliothèque à une autre. Cela pourra d’ailleurs permettre de comparer plus facilement les auteurs, d’examiner les entrelacements entre leurs œuvres.
J’ai en projet l’écriture d’une fiction spécifiquement et exclusivement numérique, avec, pourquoi pas, un « ebook musico-littéraire ». J’ai pris l’habitude d’écrire pour chacun de mes romans 2 ou 3 chansons qui en reprennent les thématiques, et l’ebook pourrait constituer une solution pour les diffuser. Cela dit, un livre DVD pourrait aussi faire l’affaire. Je ne veux pas d’instrumentaux illustratifs pour certains passages, style musiques d’ambiance : c’est au lecteur de composer la propre musique du roman au fil des pages. Les songs sont des compléments des romans, et pas des plages univoques pour scène d’amour ou scène d’action. Je l’ai d’ailleurs fait pour Métacortex, avec The War that has never ended.
Évidemment il y aura au moins une, voire deux ou trois chansons pour Satellite Sisters. Je reprendrai également des livres plus anciens, pour lesquels j’ai déjà écrit les paroles, par exemple pour Babylon Babies ou Cosmos Incorporated. J’ai été parolier pour Aircrash Cult, un trio dont mon éditeur fait partie et qui verra le jour en 2013. En fait, je travaille à l’anglo-saxonne : quand j’écris, je compose toujours la ligne vocale en même temps. Et vice-versa.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
Paru le 23/10/1998
197 pages
Editions Gallimard
7,00 €
Paru le 17/11/2010
380 pages
J'ai lu
7,80 €
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