Les Rencontres nationales de la librairie ont pris place à La Rochelle, un moment de réflexion, d'échanges et de débats pour toute une profession. Articulées autour du thème des librairies et des territoires, ces RNL 2017 ont aussi été l'occasion d'aborder les grandes préoccupations qui traversent le métier de libraire. Entretien avec Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la Librairie française.
Le 26/06/2017 à 12:55 par Antoine Oury
Publié le :
26/06/2017 à 12:55
Matthieu de Montchalin : Il faut déjà rappeler que tout le commerce de détail, dans le monde entier, a subi l'arrivée d'internet, principalement d'Amazon pour la librairie. Aucun secteur n'a échappé à l'effritement de la part de marché des magasins physiques dans le monde du commerce de détail dans les pays occidentaux, sur les dix dernières années.
Si l'on a cela en tête, on peut considérer que la baisse de la part de marché de la librairie française est plus limitée que dans d'autres pays européens. La part d'internet en France, on ne la connaît pas vraiment puisque le premier acteur refuse qu'on diffuse ses chiffres, mais on estime que c'est peu ou prou autour de 15 % du marché. C'est peut-être 13, c'est peut-être 18, mais cela ne change pas fondamentalement mon raisonnement. 15 %, c'est moins que dans la plupart des pays occidentaux. Cet effritement de la part de marché des libraires n'est donc pas lié qu'à internet, mais aussi au développement des grandes surfaces spécialisées avec l'augmentation très nette du parc ces dernières années.
Si l'on observe à présent la situation en euros, on remarque que la librairie a plutôt maintenu ses positions. Je ne dis pas que la baisse de la part de marché nous fait plaisir, mais c'est un ajustement qui est plutôt léger par rapport à d'autres pays.
Matthieu de Montchalin : Nous essayons de l'inverser avec le portail des librairies indépendantes, la formation, l'Observatoire de la librairie... Le Syndicat multiplie les outils à la disposition des libraires, pour viser le grand public, avec les campagnes de communication, les librairies elles-mêmes, en améliorant la gestion et les délais, ou encore auprès des éditeurs, des diffuseurs ou des transporteurs. C'est comme cela que nous allons parvenir à lutter contre Amazon.
Avec ce portail par exemple, librairiesindependantes.com, nous voulons dire aux gens que la livraison, c'est une chose, mais que 4,5 millions de livres sont disponibles dans 700 librairies du territoire. Le livre que le client cherche est probablement disponible dans une librairie non loin de chez lui. Évidemment, c'est plus facile quand on habite à Paris que lorsque l'on vit dans un village de 2 000 habitants, mais on peut au moins savoir avec ce portail où trouver ce livre à proximité, en papier ou en numérique, et l'acheter, le retirer ou le faire livrer.
Matthieu de Montchalin : Il y a 5 ans, personne ne parlait de click'n'collect [acheter un livre en ligne et le récupérer sur place, NdR]. Il y avait un modèle, celui d'Amazon, celui du stock central et de l'expédition, et tout le monde a essayé de le copier. Aujourd'hui, toutes les marques présentes dans la vente dans des boutiques physiques, de Sephora à Louis Vuitton, en passant par les boutiques de vêtements ont développé des boutiques de click'n'collect. Les libraires, assez légitimes pour le faire, se sont lancés dans ce sillage. Nous sommes en face d'une stratégie crosscanal, les libraires ne l'ont pas inventée, mais utilisent un mode d'association du physique et d'internet reconnu dans le monde entier pour de nombreux secteurs.
La logique est tout autre : je vais au contact du lecteur, je lui montre de quoi je suis capable, il passe sa commande à n'importe quel moment et il utilise son passage à proximité de ma boutique pour retirer son livre, ou tout autre produit, selon le magasin. Les libraires indépendants sont pertinents sur internet : pas sur l'expédition avec un hangar à côté de celui d'Amazon, qui restera le meilleur logisticien du monde. Les libraires ne sont pas du tout dans cet état d'esprit.
Matthieu de Montchalin : D’après les chiffres qu'a communiqués Sébastien Rouault de GfK, les best-sellers et les titres qui se vendent à plus de 100 000 exemplaires représentent 7,5 % du marché du livre. En 2007, c'était déjà 7,5 % du marché du livre. Le phénomène de best-sellarisation est trompeur : il est impressionnant, mais on ne constate pas un effondrement de la pyramide des ventes de livres en fonction du tirage.
J'ai la chance de faire ce métier depuis 20 ans, j'ai vu passer 4 élections présidentielles : dès qu'il y a des présidentielles suivies par des législatives, on constate à chaque fois un frein dans la consommation en général. En plus, dans notre métier, qui est un métier d'offre, les éditeurs ont tellement peur de ce ralentissement qu'ils s'autocensurent et publient très peu de titres importants, ce qui aggrave le phénomène.
Attendons la fin de l'année : je ne crois pas qu'elle sera exceptionnelle, mais je pense qu'il faut faire le bilan fin décembre. Ces chiffres ne correspondent pas totalement à ceux que nous observons chez les indépendants sur l'Observatoire de la librairie, et on parle là des mois les plus creux de l'année, mars, avril et mai.
Quant aux chiffres de vente des livres politiques, je suis toujours un peu réservé. Honnêtement, ils ne tirent pas le marché, en tout cas en valeur : le manifeste de la France insoumise s'est beaucoup vendu, mais à 3 € l'exemplaire. Ce n'est pas ça qui fait le marché du livre.
Matthieu de Montchalin : La rentabilité constitue toujours la priorité du SLF. Nous devons gagner deux points de rentabilité par rapport à notre chiffre d'affaires pour être à l'abri des banquiers ou d'un trou de conjoncture lié à une élection ou autre, justement.
Améliorer la rentabilité ne va pas se faire d'un coup : en revanche, nous pouvons découper ces deux points de rentabilité à gagner et aller chercher un certain nombre de réformes qui vont nous permettre de gagner un peu à chaque fois. Certaines d'entre elles dépendent des librairies elles-mêmes : par exemple, une librairie qui baisse son taux de retour de 3 points, elle gagne 0,1 à 0,2 % de rentabilité. Si elle fait de la gestion de la relation client, elle va augmenter ses ventes de 1 à 2 %, cela peut être beaucoup plus bien sûr, ce qui lui fait gagner 0,3 % de marge supplémentaire, à très peu de frais.
D'autres réformes ne dépendent pas de nous, mais par exemple des éditeurs : nos négociations avec eux forment un système complexe, mais nous avons fait la proposition d'adopter une remise minimale de 36 %, ce que certains diffuseurs ont déjà fait. Nous voudrions pousser les autres à le faire : pour les plus petits libraires, cela représente un, deux ou trois points de marge, parfois plus, ce qui se traduit, en rentabilité, par une légère hausse.
Une autre partie de ces réformes dépend des pouvoirs publics, qu'il s'agisse de l'État, du CNL, des Directions Régionales des Affaires Culturelles, des collectivités territoriales, des régions... Les dispositifs d'aides, qui peuvent être amplifiés ou optimisés dans certains cas, comme l'exonération de la Contribution Économique Territoriale, peuvent aussi participer. C'est en additionnant toutes ces réformes que nous allons nous rapprocher des 2 %. Cela va prendre du temps, et les Rencontres nationales de la librairie sont le moment pour évoquer ces leviers.
Des moyens très simples sont à portée : le Falib, géré par l'IFCIC, est au départ une aide de restructuration de trésorerie qui pouvait être à moyen terme. Les frais financiers au sein d'une librairie peuvent représenter jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires, surtout lorsque la trésorerie est mal maîtrisée et que les banques font des facturations de frais au-delà du découvert autorisé. En restructurant la trésorerie avec le Falib, il est possible de gagner la moitié de ces frais financiers : c'est très exactement ce qu'il se passe dans ma propre librairie.
Matthieu de Montchalin : Dans notre métier, les choses se font petit à petit : et pourtant, entre le signal d'alerte tiré aux Rencontres nationales de la librairie de Bordeaux, en 2013, et aujourd'hui, l'ambiance a vraiment changé. La situation économique n'a pas radicalement évolué, et les fragilités subsistent, mais les librairies ne sont plus considérées en fin de vie. Certes, entre 2007 et 2017, on constate une évolution, mais entre 2015 et 2017, il ne s'est presque rien passé. J'ai animé un atelier sur l'Observatoire et sa participation à l'amélioration de la rentabilité, et la salle a occupé 60 % du temps de parole de l'atelier, car nous sommes vraiment dans une dynamique d'interaction au sein du SLF.
Matthieu de Montchalin : Pour commencer, rappelons que ce site ne vend rien, le SLF est un catalyseur, il regroupe toutes les initiatives qui existent sans intervenir sur les portails, les associations ou les groupements, sans commission ou prise financière. Pour nous, c'est un engagement politique pour donner de la visibilité à la librairie sur internet. Il n'y a pas de création de compte, pas de vente, puisque le clic sur un livre recherché renvoie sur la plateforme de la librairie correspondante.
Cela dit, sans recettes, nous n'allons pas avoir les moyens financiers de Google ou d'un autre grand groupe américain. Le premier enjeu, c'était de fédérer tous les portails de spécialité ou les portails régionaux, et nous en faisons apparaître 15 sur 15.
Sans compliquer les choses, nous rendons les choses plus lisibles pour le consommateur en lui proposant une solution dans une librairie indépendante pour sa recherche de livre. Cette solution, elle est probablement à deux pâtés de maisons de chez lui. Ce portail référence même du livre numérique avec la géolocalisation et le code postal pour attribuer la librairie la plus proche !
Matthieu de Montchalin : Le Syndicat condamne les pratiques des détaillants qui mettent en vente les livres avant la date de sortie, quels que soient ces détaillants. Je ne nie pas qu'il y ait des cas chez les libraires indépendants, numériquement, ils sont relativement peu importants, mais peuvent parfois s'avérer voyants, nous en avons conscience.
Les indépendants n'ont aucun intérêt à ce que cette règle de la mise en vente tombe : si jamais elle était abandonnée, un certain nombre de grands acteurs auraient d'un seul coup un avantage sur nous. Je pense aux plus petites librairies : elles ont besoin de pouvoir lutter à armes égales avec les plus grands groupes. Si tout le monde fait en fonction de la date de réception, ces librairies auront obligatoirement deux ou trois jours de décalage. Leur situation économique est plus complexe que celle d'une grande librairie et quelqu'un sera toujours plus rapide qu'eux.
Nous condamnons donc cette pratique et nous discutons d'ailleurs avec le Syndicat national de l'édition pour introduire dans les conditions générales de vente le fait que l'on ne doive pas recourir à ce genre de pratiques, et que cela fasse partie des raisons pour lesquelles un éditeur peut sanctionner un libraire.
La date de mise en vente relève d'une pure relation commerciale, et pas d'une loi ou d'un décret. Il n'y a donc pas de sanctions, et il n'est pas possible de saisir le médiateur du livre, par exemple. L'inscrire dans les conditions générales de vente permettrait d'engager les signataires. C'est aussi à l'éditeur et au diffuseur, qui prennent les décisions quant à la mise en vente, de prendre les moyens de la faire respecter. Il est d'ailleurs possible de le faire, comme la diffusion Gallimard avec Harry Potter.
Matthieu de Montchalin : D'une situation où il n'y a aucune règle, on aboutit à une situation avec un vocabulaire sur ce qu'est un livre neuf, un livre d'occasion, sur la façon dont on peut les présenter et les vendre sur les sites internet, sur le respect du prix unique du livre. Ça ne règle pas tous les problèmes, mais au moins cela clarifie les choses.
C'est un engagement pris sous l'égide du médiateur du livre et devant la ministre de la Culture, Françoise Nyssen. Quand des entreprises importantes ou des professions entières prennent des engagements devant un ministre et une autorité, c'est un progrès. Le médiateur a mené les discussions, à partir d'une initiative du SNE, du Syndicat des Distributeurs de Loisirs Culturels et du SLF. Nous avions fait une saisine conjointe du médiateur sur ces problèmes.
Matthieu de Montchalin : À la fin de l'atelier sur l'Observatoire, j'ai demandé aux libraires combien comptaient adhérer suite à celui-ci, environ 25 mains se sont levées. Il faut que le nombre de libraires présents sur cette plateforme soit, à terme, entre 400 et 600 libraires, pour représenter toutes les spécialités, les tailles, les typologies, les spécificités. Plus nous sommes nombreux, plus c'est représentatif, moins c'est cher.
L'initiative que nous avons prise en rendant l'outil Verso gratuit, c'est un échantillon : il s'agit de l'outil quotidien des libraires, et on considère que nous devons le mettre à disposition de nos membres le plus tôt possible. Dans notre modèle économique, que nous soyons 150 ou 600 libraires connectés à Verso, cela ne coûte pas beaucoup plus cher.
Matthieu de Montchalin : Notre objectif, c'est de développer l'Observatoire : le coût de l'outil Verso est très faible, car nous utilisons des données qui remontent déjà pour l'Observatoire. Cet outil n'est pas en concurrence frontale avec Datalib : sur les 160 libraires de l'Observatoire, 80 sont aussi sur Datalib, 80 ne le sont pas. Sur les 600 adhérents du SLF, il n'y en a que 225 ou 250 sur Datalib. Les périmètres sont différents.
Nous ne sommes en concurrence avec personne, nous discutons avec Datalib. J'ai bon espoir que nous puissions trouver un accord pour rapprocher la partie analyse au titre, Verso, donc, et Datalib, dans un autre outil ou non, cela reste à déterminer.
Notre objectif reste de développer l'Observatoire, qui n'est pas en concurrence avec Datalib.
La salle à l'ouverture des RNL (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Matthieu de Montchalin : Autour de 600 adhérents, ce qui est stable : la population naturelle des libraires ne croît pas de manière exponentielle. Je me satisfais du fait que, depuis plusieurs années, le nombre d'adhérents ne baisse pas, une sorte de reconnaissance du travail fourni. Certaines librairies adhèrent une année et pas la suivante, puis reviennent, mais ces mouvements s'équilibrent. Maya Flandin a lancé un appel pour les libraires adhérents au Syndicat, nous en avons reçu ce dimanche et nous en aurons quelques-unes à l'issue des Rencontres, mais nous ne nous attendons pas à doubler le nombre d'adhérents.
Matthieu de Montchalin : Au risque de vous décevoir, je ne commenterai pas cette affaire en tant que président du SLF.
Matthieu de Montchalin : Les mandats durent trois ans et il y a les élections au conseil d'administration en septembre, à Rennes. Une nouvelle élection sera organisée, avec un ou plusieurs candidats et le résultat vous sera communiqué.
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