Invité dans la délégation des auteurs russes présents pour le Salon du Livre de Paris en 2012, l’écrivain Lev Rubinstein est décédé, indique sa fille ce 14 janvier. Poète russe connu pour son œuvre conceptuelle, qui bousculait les formes traditionnelles, il avait été fauché par une voiture, à Moscou le 8 janvier.
Le 14/01/2024 à 15:43 par Clément Solym
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14/01/2024 à 15:43
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Lev Rubinstein aura succombé à ses blessures suite à son accident : hospitalisé le 8 janvier, dans un état grave, il est resté dans le coma durant plusieurs jours, avant de succomber à l’âge de 76 ans. Selon le ministère des Transports, « le conducteur n’a pas ralenti » alors que le poète traversait la rue. Les informations de l’enquête ont révélé que le chauffard avait été impliqué dans une vingtaine d’infractions au Code de la route au cours des douze derniers mois. Les autorités soulignent que les investigations se poursuivent.
Lev Rubinstein a débuté sa carrière dans les années 60, en raillant la doctrine officielle du réalisme socialiste de l’époque. Fondateur du mouvement conceptualiste russe, il comptait parmi les avant-gardes du pays, à la tête de l’école conceptualiste regroupant artistes et poètes à Moscou.
Figure littéraire clandestine, active dans une contre-culture moscovite, son œuvre oscillait entre poésie et théâtre. En 1975, bibliothécaire à Moscou, Lev Rubinstein écrivait des poèmes classiques, influencé par des auteurs tels que Pouchkine, Mandelstam et Tolstoï, qu'il admire. Il s'inspira également du langage des rues et des marchés, ainsi que des discussions artistiques non-officielles qui ont lieu dans les ateliers et les cuisines pendant cette période de stagnation.
Dans cette période, il invente un nouveau genre artistique qu'il baptise "mise en fiches" : cette approche consiste à diviser son texte en phrases individuelles inscrites sur des fiches perforées. L'idée est inspirée de son travail de bibliothécaire, des pratiques du Pop Art américain et du désir de rendre le discours plus visuel pour éveiller l'attention des lecteurs fatigués par la monotonie soviétique.
Il les lisait lors de performances scéniques, ce qu’il avait appelé des « poèmes sur carte ». Son emploi, au cœur de la bureaucratie soviétique, aura grandement influencé les représentations qu'il donnait où absurdité et improvisation dominaient. Ainsi, Rubinstein crée un style unique et surprenant qui remet en question les conventions littéraires.
Ses œuvres, maintenant publiées sous forme de livres, continuent à défier la compréhension des mots et du monde, tout en leur donnant une nouvelle vie. Ses textes sont largement reconnus et traduits dans de nombreuses langues européennes. En Russie, il a trouvé son public grâce à des lectures publiques, des recueils bien édités et des spectacles vivants, y compris des mises en scène, des ballets et des performances musicales.
Après l’effondrement de l’URSS, il gagna en célébrité et ses textes furent largement publiés par d’importantes maisons d’édition. Ces dernières années, il a défendu l’opposition russe en difficulté, manifestant une hostilité ouverte envers le régime de Poutine, dénonçant la répression croissante et les violations des Droits de l’Homme par le Kremlin, y compris envers les droits LGBT.
À partir de 2014, il intensifia ses interventions pour condamner les actions militaires en Ukraine. Lorsque l’invasion fut lancée en février 2022, il signa, avec d’autres écrivains, une lettre ouverte qualifiant la guerre de « criminelle » et dénonçant les « mensonges » utilisés pour la justifier. Son engagement politique et son activisme l’ont amené à s’opposer à la guerre en Tchétchénie, à soutenir Maria Alyokhina et Nadejda Tolokonnikova, membres des Pussy Riot, et à critiquer le soutien russe aux séparatistes en Ukraine.
En 2017, il quitta le PEN russe, affirmant que l’organisation ne remplissait pas son devoir de protection des écrivains persécutés. Dans un éditorial pour la revue Republic, en début d’année, il écrivait :
« Toute guerre est terrible, pas seulement parce qu’elle est facile à déclencher et très difficile à arrêter. La guerre est terrible non seulement parce que des gens sont tués et des villes détruites, mais aussi parce qu’elle déforme et anéantit l’âme humaine. Les conséquences des guerres peuvent être désastreuses, même pour les générations futures. »
Il invitait à faire preuve de curiosité pour ce qui est « différent, incompréhensible et nouveau ». En France, Le Tripode avait publié une traduction assez spécifique, La cartothèque, anthologie de 30 textes de Lev Rubinstein (traduction Hélène Henry). Un recueil complet de ses textes-sur-fiches (1975-2008) est paru en 2015 à Moscou (La Grande Cartothèque, Éditions Novoe Izdatelstvo) : l’ouvrage du Tripode s’appuyait sur cette édition.
Le Tripode a communiqué un hommage, rendu au poète.
Crédits photo : Lev Rubinstein - Natalia Senatorova, CC BY SA 4.0
Paru le 08/11/2018
284 pages
Le Tripode Editions
22,00 €
2 Commentaires
Necroko
15/01/2024 à 01:05
LOL un accident
RIP Lev Rubinstein
Henriette Chardak
15/01/2024 à 11:00
Un éternel optimiste dans un monde à l'étroite pensée acceptée que Lev Rubinstein. Je ne peux m'empêcher de penser que les opposants au régime de Poutine sont soient empoisonnés, font des chutes mortelles d'une fenêtre, d'un escalier ou d'un balcon, reçoivent des balles et en meurent devant chez eux ou face au Kremlin... Boulgakov fut censuré du temps de Staline, aujourd'hui les poètes russes qui ne sont pas " dans les clous " seraient-ils renversés par des chauffards?