Ce 17 octobre, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Et ainsi la disposition II bis de son article 34, qui inscrit dans le Code de la propriété intellectuelle le principe de rémunération « appropriée » des auteurs. Une avancée, à première vue ? Pas vraiment, dénoncent des organisations d'auteurs, déplorant l'absence de débat parlementaire autour du terme, « une coquille vide » à l'heure actuelle.
Le 20/10/2023 à 15:42 par Antoine Oury
4 Réactions | 718 Partages
Publié le :
20/10/2023 à 15:42
4
Commentaires
718
Partages
Les députés ont (très) rapidement adopté, ce mardi 17 octobre, l'article 34 du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Celui-ci abritait pourtant un cavalier législatif, introduit par un amendement de l'ex-sénateur Renaissance Julien Bargeton et donc sans aucun rapport avec le projet de loi examiné.
Le II bis de cet article 34 cherche en effet à corriger une bourde ministérielle. En transposant une directive européenne de 2019 qui posait le principe d'une rémunération « proportionnelle et appropriée » pour les auteurs, le ministère de la Culture avait malencontreusement oublié le terme « appropriée ».
Une condamnation du Conseil d'État plus tard, le gouvernement devait donc rectifier le tir. Là résidait d'ailleurs toute la justification de l'amendement de Julien Bargeton.
Le présent amendement, qui tire les conséquences de cette décision, vise à réaffirmer l’importance que revêt la conception d’un cadre de régulation favorisant la défense des créateurs et des industries culturelles créatives européennes dans un environnement mondialisé. Il convient d’assurer les conditions d’une création diversifiée où ceux qui créent reçoivent une juste rémunération, notamment de la part des plateformes.
– Objet de l'amendement de Julien Bargeton au projet de loi Sécuriser et réguler l'espace numérique
Cet objet tentait aussi de justifier cet amendement dans le projet de loi, en le reliant au juste partage de la valeur qu'il convient d'imposer aux plateformes. Mais ces dernières ne sont pas les seules concernées par l'obligation d'une rémunération « proportionnelle et appropriée » des artistes auteurs : les éditeurs le sont également...
La séquence à l'Assemblée nationale a retenu toute l'attention des organisations d'auteurs, au premier rang desquelles la Ligue des auteurs professionnels, qui avait porté la transposition de la directive par le ministère devant le Conseil d'État.
Ce passage en catimini représente « une grosse déception », lâche Stéphanie Le Cam, directrice de l'organisation. « Nous avons pourtant demandé plusieurs fois au cabinet de la ministre et aux services compétents de nous accompagner dans cette transposition. Finalement, à l'image de l'action de la ministre, nous faisons face à une transposition discrète, dépourvue d'ambition politique. »
La directrice de la Ligue des auteurs professionnels déplore encore un « rafistolage textuel, coincé entre des modifications du code des sports et de celui de la consommation ». Quant au passage devant l'Assemblée, réduit à un vote en 4 secondes et sans débat, il revient selon elle à « une terrible humiliation » pour les auteurs.
Le Conseil permanent des écrivains (CPE), par les voix de ses coprésidents Séverine Weiss et Christophe Hardy, regrette lui aussi les manières du gouvernement pour transposer la directive européenne de 2019 et ses dispositions. « [N]ous avons formulé un certain nombre d'amendements pour réviser le Code de la Propriété intellectuelle et y inclure des dispositions qui donnent du sens et de la substance à la notion de “rémunération appropriée” telle que l'énonce la Directive », rappellent-ils.
Mais le choix de l'ordonnance pour transposer cette même directive « a gelé toute discussion sur nos propositions ». Après l'intervention du Conseil d'État, le CPE est revenu à la charge, auprès des députés et sénateurs des deux commissions Culture parlementaires, cette fois. « Notre but : instaurer des dispositions législatives permettant une rémunération appropriée des auteurs (comme proposé à l'époque du projet de loi audiovisuel) », expliquent les coprésidents.
Finalement, la seule proposition sur le sujet sera donc celle de Julien Bargeton, plutôt concise dans sa formulation...
« Maintenant que ce terme est là, on ne va pas se battre pour l'enlever, il s'agit plutôt de générer un débat », remarque Stéphanie Le Cam. Un moment qui permettrait, au moins, de comprendre et définir ce que recouvre ce terme, « appropriée », que la directive européenne n'a pas explicité.
La rémunération des auteurs et artistes interprètes ou exécutants devrait être appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits octroyés sous licence ou transférés, compte tenu de la contribution de l'auteur ou de l'artiste interprète ou exécutant à l'ensemble de l'œuvre ou autre objet protégé et de toutes les autres circonstances de l'espèce, telles que les pratiques de marché ou l'exploitation réelle de l'œuvre.
– Directive européenne du 17 avril 2019
« [L]e mot “approprié” ne peut rester une coquille vide. Les auteurs attendent légitimement qu'il soit précisé et défini par les pouvoirs publics », souligne le CPE, qui indique avoir proposé un amendement au projet de loi pour approfondir cette notion. « Nous sommes fermement décidés à poursuivre notre action pour que le simple ajout de ce terme dans la loi ne demeure pas un vain mot pour les auteurs. »
Du côté de la Ligue des auteurs professionnels, le constat est similaire : « Il y a un contenant, mais pas de contenu », tranche Stéphanie Le Cam, qui déplore encore une fois l'absence de débat parlementaire sur cette notion. « Nous aurions pu assister à une remise en question du système éditorial actuel, avec ces interrogations : qu'est-ce que rémunérer un auteur ? Et que rémunère-t-on, au juste ? »
Ce débat parlementaire, que le ministère de la Culture aurait pu susciter, « les éditeurs n'avaient aucun intérêt à ce qu'il ait lieu, ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat », analyse-t-elle. « Finalement, cela ressemble à une nouvelle démonstration du camp choisi par le ministère. »
À LIRE - Au ministère de la Culture, la défense des auteurs persona non grata ?
Le Conseil Permanent des Écrivains le souligne aussi : « Nous avons alerté les élus et les pouvoirs publics sur la nécessité de nous inclure dans une réflexion globale sur le “partage de la valeur” — sujet sur lequel nous ne sommes pas écoutés, comme en témoigne le refus catégorique du Syndicat national de l'édition de discuter de notre rémunération », matérialisé par un courrier de Vincent Montagne, président du SNE, à Rima Abdul-Malak en septembre 2022.
Nous avons fait parvenir des questions au SNE sur le terme « appropriée » ajouté au CPI, sans réponse pour le moment.
La directrice de la Ligue envisage désormais plusieurs suites : « La doctrine juridique doit se saisir de la question, pour déterminer ce qu'est une rémunération appropriée. Nous pouvons aussi aller en justice, pour reconsidérer chaque contrat d'édition, et ainsi soumettre le terme “appropriée” à l'appréciation d'un juge. Enfin, nous allons, plus que jamais, poursuivre notre travail de formation des auteurs : il est capital que demain, chaque auteur, lorsqu'il signe son contrat, en comprenne bien les implications. »
Si l'organisation d'auteurs, la Ligue, et la fédération, le CPE, poursuivront leurs actions après ce coup de force ministériel, les revendications ne se feront pas sur le même mode. En effet, quand les premiers militent, avec d'autres, pour « une rémunération du travail de création » — à travers le contrat de commande — et luttent « contre les avances amortissables », les seconds, eux aussi avec d'autres convaincus, prônent l'instauration d'un « minimum garanti non amortissable et non remboursable », ainsi qu'un pourcentage de droit d'auteur de 10 %, minimum, dans le cadre du système actuel.
L'article a été complété et modifié pour préciser que le CPE est une fédération, et qu'il défend la combinaison d'un minimum garanti non amortissable (c'est à dire que l'auteur perçoit sa rémunération dès le premier exemplaire vendu) allié à un pourcentage sur le prix public hors taxe de 10 % (pour tout le monde).
Photographie : détail d'un dessin de JC Menu, en 2018, dénonçant la « précarité avancée » des artistes auteurs (illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
4 Commentaires
L'albatros.
20/10/2023 à 18:55
Qu 'est ce aujourd'hui qu ' un auteur ?
Difficile question .....
Et donc par conséquent , on peut comprendre que ne sachant pas trop ce que c est , en tous les cas, le définir comme écrivain ne suffit plus.
Une synonymie est rompue.
Un créateur , ex - nihilo ? ?
Mais n importe quel livre est création ex - nihilo.
La science littéraire peut elle nous apporter quelque-chose ? ?
Souvent dans le décompte technique de l outillage et de son usage , a bon ou mal escient, de la performance locutrice scriptée.
Ou dans le debat interpretatif a propos de son supposé - sujet, et thematique.
Là, donc , c est le scripteur, ou l ecrivant.
Mais qu ' est ce qu un auteur ?
Bonne question, quant à une rémunération !!!
Juridique, littéraire ?
Le littéraire, au secours du juridique !!!
Nenni.
Qu est ce qu un auteur littéraire ?
L ' embarras enigmatique du temps......!.....
rez
23/10/2023 à 09:29
je suis désolé si personne ne lit votre blog mais ici on est sur le blog d'autres.
concurrence
21/10/2023 à 11:29
La chaîne du livre est complexe, et peu nombreux sont ceux qui prennent des risques et sont bien rémunérés. Les auteurs ont des revendications légitimes qu'ils peuvent satisfaire en changeant d'éditeur ou en s'auto-éditant.
Mathias Lair
23/10/2023 à 10:24
L'article précise : "un « minimum garanti [à 10 % pour tous les auteurs] non amortissable et non remboursable »... mais 10% de quoi ?