Les employés d'Editis envisagent de débrayer, et pas n’importe quand : à la parution du 25e opus de Marc Levy, La Symphonie des monstres, prévue ce 17 octobre. En empêchant la commercialisation du livre, les syndicats visent la direction d'Editis, pour la forcer à respecter les engagements salariaux pris. Car ces augmentations tardent toujours à se refléter sur les revenus. Et Marc Levy, servant d'otage, en fera donc les frais.
Le 30/09/2023 à 11:55 par Nicolas Gary
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30/09/2023 à 11:55
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La Négociation annuelle obligatoire, ou NAO, est un rendez-vous imposé aux entreprises, dès lors que ces dernières comptent plus de 50 salariés. Ces négociations, qui portent entre autres sur la politique salariale, risquent de rendre la reprise d’Editis plus mouvementée que prévu.
En octobre 2022, la direction d’Editis et les organisations syndicales représentatives signaient un constat de discussion « portant notamment sur les négociations relatives à la rémunération ». Cette concertation complétait les négociations déjà à l’œuvre, pour l’ensemble du groupe.
Les parties avaient ainsi conclu à des augmentations de salaire effectives au 1er janvier 2022 et l’instauration d’un forfait mobilités durables. L’inflation aidant, la direction d’Editis acceptait d’anticiper exceptionnellement les NAO, « avant l’ouverture du nouvel exercice ». De nouvelles hausses étaient validées, suivant différentes tranches de revenus, selon les documents qu’a consultés ActuaLitté.
Une clause de revoyure, « au plus tard à la fin du mois de février 2023 » était intégrée : elle permettrait un bilan de la mise en œuvre des augmentations collectives dans les filiales et des mesures appliquées pour les structures ne disposant pas de représentants syndicaux. Et le document était bien signé par Amélie Courty-Cayzac, DRH du groupe, et représentante, pour l’occasion représentant la direction générale.
En milieu de semaine, la Commission européenne officialisait les premières conclusions concernant le rachat d’Editis par Daniel Kretinsky. « L’opération ne conduira à aucun chevauchement horizontal entre CMI et Editis, car CMI n’est pas actif dans le secteur de l’édition de livres en France », soulignait entre autres Bruxelles.
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Cette notification auprès des autorités de la concurrence enclenche ainsi un compte à rebours : dans un délai de cinq semaines maximum, Bruxelles validera la candidature de l’acquéreur (ou non). La suite sera un déroulé de dominos avec pour conclusion que Vivendi deviendra pleinement propriétaire de Hachette Livre.
Mais dans l’intervalle, la direction d’Editis joue la montre : « Nous affinons un projet de grève, motivée par le pouvoir d’achat : nous avons formulé des demandes d’augmentation de salaire, voilà deux mois. Pour unique réponse, on nous rétorque que nous sommes sous tutelle et que cela paralyse tout. Que sans nouvel actionnaire, rien ne peut être décidé », affirme Raj Gungoosingh, représentant CFDT.
D’abord, la DRH qui avait signé en octobre 2022 est actuellement en arrêt maladie. La DRH d'Interforum, Albane Hocquet-Gallet, a plusieurs fois opposé cet argument aux syndicats : certes, les négociations sont importantes, mais les conditions ne permettent pas l’ouverture des NAO, tant que le nouveau patron n’a pas pris les commandes.
Un discours qui a fini par lasser, dans l’entrepôt de Malesherbes, où se trouvent également les ouvrages de nombreux éditeurs partenaires (les maisons qui n’appartiennent pas au groupe Editis). Ces derniers représentaient 285 millions € en 2022, en recul de 15 %, mais 334 millions € en 2021 — soit près de 40 % du CA Inteforum en l’an dernier, et près de 42 % en 2021.
« L’immobilisme est total : Editis tourne tout seul, personne n’ose prendre de décisions, les uns craignant de déplaire au futur actionnaire, les autres préférant que la situation pourrisse », reprend notre interlocuteur. « Depuis que la directrice générale a appris qu’elle ne resterait pas, l’entreprise est tout juste dirigée. »
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En effet, Michèle Benbunan, future ancienne DG, occupe aujourd’hui le poste de gestionnaire, chargée de gérer la société depuis que Vivendi a interdiction totale d’y mettre le nez — après la validation de son OPA par Bruxelles.
La CGT a envoyé aussi un courrier, reproduit ci-dessous, pour dénoncer l'inflation galopante à la direction Editis qui a plaidé son impuissance, dans la période période actuelle.
Fin 2022, vous avez entendu certaines de nos revendications d’attribuer à une grande majorité de salariés du groupe une augmentation collective répondant à l’urgence du moment.
Nous avions négocié et signé cet accord salarial
Devant les chiffres de l’inflation affichés à ce jour, nous permettant d’évaluer le dérapage constaté de celle-ci, nous vous demandons de rouvrir la politique salariale 2023-2024 dans les meilleurs délais pour compenser la hausse généralisée des prix.
– courrier de la CGT à la DRH d'Editis
Un courriel de Michèle Benbunan adressé en réponse mi-avril dernier, suite aux multiples relances, laissait songeur : « Croyez bien que je déplore que des collaborateurs vivent de telles situations. Mais je suis malheureusement dans l’incapacité à apporter des solutions à court terme : à l’approche et à compter de la signature de la cession (sous réserve de l’accord de la Commission et des IRP), signature qui est très proche, je ne peux plus entamer des discussions sur les salaires et les éléments de rémunération. »
« Mais tout cela ne sert qu’à gagner du temps, chacun s’accrochant à son poste et protégeant sa situation en surtout ne bougeant pas », s’agace le représentant syndical. « Comme les gros tirages arrivent, nous nous sommes dit qu’il était temps d’agir. » Et précisément en appuyant là où ça fait mal : c’est dans l’entrepôt de Malesherbes que se préparent les commandes des points de vente. Pour qu’un libraire, un Cultura ou une Fnac reçoive les livres demandés, les salariés de l’entrepôt procèdent à l’expédition.
En cas de mouvement social, pas de Marc Levy, et d’autres avec lui ? Le risque est d'autant plus désagréable que le romancier aurait été pressenté chez Albin Michel, bien que toujours publié par Robert Laffont, filiale d'Editis – rumeur infirmée toutefois. Sollicitée, Albane Hocquet-Gallet, qui occupe aussi le poste de DRH adjointe d’Editis, n’avait pas de commentaires à apporter. Elle nous a renvoyés vers la directrice de la communication, dont nous attendons les précisions.
Un débrayage forcera-t-il la main de l’actuelle direction ? « On savonne la planche en interne, pour laisser une entreprise dévastée : on nous encourage même à faire grève, mais une fois que l’actionnaire sera en possession de la société », nous assure une source interne. « La direction n’attend que ça : que soit déclenchée une grève qui discréditera le repreneur. »
Comprendre : Denis Olivennes, l’homme fort de Daniel Kretinsky. « Et dans l’intervalle, on a le sentiment que le capitaine saborde le navire pour le voir couler. »
D’autant que l’argument de l’immobilisme n’a aucun fondement légal ni d’une réalité juridique : il s’agit plutôt d’ajouter un coup de hache — après avoir tout fait pour décapiter la proue — dans le plancher. En effet, en cas de signature d’accord, quelle que soit la direction (ou l’actionnaire en cas de changement de propriétaire), les clauses doivent être mises en œuvre.
En laissant le bébé, l’eau du bain et les couches aux bons soins des équipes de Denis Olivennes, la direction pratiquerait la bonne vieille méthode d’Attila, lors des invasions barbares : après moi, l’herbe ne repousse pas.
Dans l’intervalle, combien d’ouvrages seront victimes des tensions entre la direction, quasi démissionnaire, et les salariés promenés par le bout du nez ? Et combien de maisons partenaires s’agaceront de cette situation, à l’instar des éditions du Cerf qui rejoindront Madrigall en janvier 2024, confiant leur diffusion / distribution à la Sofédis et la Sodis ?
Le syndicat FO nous transmet un courrier, de la même teneur que celui de la CGT, adressé à Albane Hocquet-Gallet, en date du 15 septembre. Il rappelle les engagements pris par Editis, et insiste sur la réouverture des NAO.
Nous avons signé ensemble un constat de discussion qui concrétisait la volonté de l’entreprise de faire face ensemble à la question du pouvoir d’achat des salariés en fonction de l’évolution de l’inflation.
Nous constatons qu’à ce jour, toutes nos demandes de négociations suite à cet engagement ont été refusées et mettent en cause la crédibilité de la direction, la valeur de sa signature et nous ne pouvons que le déplorer. La réponse à chaque fois faite par la Direction est que vous ne pouvez rien faire tant que le repreneur n’est pas arrivé. Les salariés du groupe EDITIS ne peuvent attendre que le repreneur arrive. Ils subissent tous durement dans leur vie quotidienne la baisse forte de leur pouvoir d’achat, et cependant ils continuent d’assumer leurs taches, leurs responsabilités et leurs engagements. Ils ne s’arrêtent pas de travailler en attendant le repreneur !
EDITIS doit assumer ses engagements.
Nous vous prions donc de bien vouloir revenir vers nous le plus rapidement possible afin de lancer des négociations promises sur les augmentations de salaire comme cela avait été prévu,
ainsi que celles relatives aux autres conséquences de cette inflation, notamment autour des indemnités de télétravail qui sont grevées par la hausse des prix de l’énergie.
Quel que soit le nom du repreneur comme le moment de cette cession, nous sommes certains que l’entreprise doit garder sa crédibilité aux yeux de ses salariés, de ses auteurs et de ses clients.
À ce dernier, la DRH d’Inteforum et DRH adjointe groupe avait répondu, cinq jours plus tard, avoir « conscience de l’importance de ces négociations, mais, comme nous l’avons déjà partagé, les conditions ne sont pas réunies à cette date pour les débuter dès lors que notre nouvel actionnaire n’est pas encore arrivé ».
La direction a finalement cédé et ouvert les NAO, sous conditions. Retrouver l'article.
Crédits photo : Marc Levy - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
39 Commentaires
Lyo
02/10/2023 à 09:11
Logique que les salariés réclament leur augmentation.
En pleine inflation, en France, les gens triment, et c'est pas avec le gouvernement actuel que ça va changer.
Quant à Marc Lévy, en tant qu'ecrivain et avec l'avènement des IA, sa situation va se compliquée comme toute celle des artistes et dans tous les cas, il touche des revenus sur ses anciens livres.
Une elue
02/10/2023 à 11:14
Et tant que nous n’aurons pas obtenu ce que l’on veut nous continuerons à bloquer les grosses sorties.La direction a intérêt à faire vite les nao avec du fric sur la table et pas des miettes. Les miettes qu’ils se les garde pour eux nous aussi on veut pouvoir s’offrir du champagne partir en corse et manger de la côte de veau. Par ici la monnaie
Un salarié
02/10/2023 à 11:30
Et si, tout simplement, le chèque de départ de l"actuelle directrice générale était lié aux résultats du groupe à la date de son départ. Dans ce cas, quel serait son intérêt de mettre en oeuvre les augmentations négociées ? L'impact sur le résultat d'une augmentation de la masse salariale se verrait immédiatement, et donc pourrait diminuer le montant des émoluments de la DG.
Honni soit qui mal y pense.
KUJAWSKI
02/10/2023 à 17:32
L'économie devrait être au service du livre, et des salarié(e)s du livre, et c'est l'inverse qui se passe. On touche à la conséquence ultime de ces jeux d'achat et de vente des deux plus gros groupes : quand la priorité est donnée aux négociations financières, dans le plus grande opacité, la vie, les conditions de vie et de travail des salarié(e)s d'Editis sont priées d'attendre. Pour les salaires, on ne craint pas de les balader sur le mode "on n'y peut rien, on n'a pas la signature", et, faute d'une information adulte et respectueuse, sur la transition entre l'ancien et le nouvel Interforum, les salarié(e)s n'ont d'autre recours pour faire valoir leurs droits que de peser au moyen de leur outil de travail : les livres.
Et un auteur et un paquet de CA en font les frais.
Les salarié(e)s vont entendre et ré-entendre qu'ils sont responsables des éventuels dégâts économiques de cette affaire.
Ils peuvent essayer de se retenir de rire, si ils en ont encore la force.
NewParadigm
02/10/2023 à 18:07
Cet article fleuve et confus m'inspire deux remarques :
1°) si je me souviens bien, la gauche intellectuelle et syndicale avait été toute retournée à l'annonce du passage d'Editis dans l'escarcelle de Vivendi-Bolloré, aka Belzébuth, et avait fait des pieds et des mains pour protéger Editis de cette chute aux enfers. Elle a été entendu, Bruxelles a exigé et obtenu le dépeçage mais en gelant la situation. J'en connais qui doivent sourire en coin : comment ? éviter l'enfer ne vous suffit pas ?
2°) tout ça me rappelle la fin lamentable des NMPP sous la férule impitoyable de la CGT qui se fichait éperdument de la situation de l'entreprise et privait régulièrement les Français de leur journaux en demandant à l'État-maman de payer si les patrons de presse ne pouvaient plus…
Kujawski
02/10/2023 à 20:45
Excellent.
Signe que les réactions à la grève chez Interforum visent juste, on a droit, pour toute réponse, aux habituelles, pauvres, affligeantes palinodies sur « la gauche intellectuelle et syndicale » et la méchante CGT sans laquelle le bonheur serait total.
L’autre grand bonheur, à en croire notre grand penseur, consiste à subir en silence. Laissez-vous faire, conseille-t-il aux salarié(e)s, laissez aller. C’est une vision de la liberté. L’autre, c’est de prendre ses affaires en mains, exactement ce que commencent à faire les salarié(e)s d’Interforum.
Qu’il faut féliciter et soutenir, cher NewParadigm.
DICTATEUR
04/10/2023 à 20:29
Le dictateur chèfchèf de la CFDT annonce à la direction un préavis de Grève sur Malesherbes.
La direction prévoit la préparation du Lévy sur Tigery.
A quand un grand ménage des élus CFDT.
Un grand ras le bol des arrangement CFDT/DIRECTION
Salarié Editis
07/10/2023 à 12:50
Ouah ! Merci pour votre commentaire vous avez dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Enfin !! Maintenant que la prochaine direction ne rentre plus là dedans et tout sera parfait. Que font les organisations syndicales quand elles apprennent ce genre de dérive ? Elle ne devrait pas plutôt sévir ? On entend énormément ce genre de problème un peu partout en France et je ne comprends pas ce genre de fonctionnement, il n’y a pas quelque chose à fait contre ça ?. Et par curiosité c’est quoi des arrangements ?
Élu
07/10/2023 à 13:05
Mais c'est que du pipeau cette grève annoncé par le mec de la CFDT sur Malherbes car tout le monde sait que les offices se font sur Tigery et non à Malherbes, il a même réussi à mettre le doute dans la tête des salariés de Malesherbes et Tigery et peut-être aussi de la direction apparemment. Comment les salariés peuvent-ils encore faire confiance à ça ?
Au théâtre ce soir
08/10/2023 à 12:30
Est-ce que tout ça n'est pas plutôt une mise en scène entre la CFDT et l'actuelle direction pour que celle-ci se vente de pouvoir manœuvrer les syndicats auprès du futur actionnaire pour qu'il la garde ou pour négocier son chèque de départ ?????
Modus Vivendi
09/10/2023 à 18:25
Les dirigeants actuels d'Editis , incompétents mais nommés par Bolloré, sont toujours au service de Vivendi. Leur inaction est délibérée, elle favorise évidemment le concurrent Hachette, nouvelle filiale de Vivendi. Ils en seront récompensés un jour ou l'autre en retrouvant un poste dans le groupe Bolloré. Le comble, c'est que la réaction des syndicats va dans le même sens: ils tombent dans le piège tendu par Bolloré et nuisent eux aussi aux intérêts de leur propre groupe au profit de son concurrent.
Le Chao
10/10/2023 à 05:21
C'est le Chao chez Editis, c'est dramatique en ce moment tout ce qui s'y passe. C'est Dallas façon Bolloré ! Il est temps que la commission Européenne mette un terme à tout cela au plus vite en délivrant Editis. Les salariés sont démotivés, fatigués de cette situation qui n'a que trop durée. Kretinsky ne sera jamais pire que Bolloré qui a abîmé ce groupe et ses salariés. Nous entendons des choses en ce moment inimaginables qui seront je l'espère entendues et écoutees très sérieusement par Kretinsky. Il devra écouter pour que des remèdes soient trouvés pour réparer Editis et le moral des salariés. Il y a du boulot, un énorme chantier pour reconstruire ce qui a été abîmé, détruit.