Monica Irimia saute le pas : l’ancienne libraire pendant près de 15 ans est devenue « surdiffuseuse » au service du livre depuis février. Enfin, d’ouvrages en particulier, car il s’agit de ceux qui naissent dans cette partie du continent que les Français connaissent souvent si peu : l’Europe de l’Est. Monica Irimia provient elle-même de cette parcelle de la vieille Europe, puisqu’elle est originaire du pays d’Emil Cioran.
Le 17/06/2023 à 09:30 par Hocine Bouhadjera
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Ce métier, plus récent que beaucoup de ceux qui composent le secteur du livre, consiste à accompagner de manières personnalisées des textes, afin qu’ils finissent sur les tables des « ami(e)s libraires ».
Monica Irimia explique : « Le surdiffuseur accompagne l’éditeur dans le suivi, avant et après le représentant. Il va parler des ouvrages et des catalogues, accompagner des opérations commerciales, organiser des rencontres dans les librairies, soutenir les auteurs… C’est un couteau suisse de l’éditeur. »
Une activité « assez méconnue » que Monica Irimia appréhende comme « du travail de dentelle » : « Il faut véritablement connaître les libraires, et avoir construit une relation de respect mutuel. » Et c’est justement son point fort : bien les identifier, leurs contraintes, leur fonctionnement, et ce grâce à sa quinzaine d’années d’expériences entourées de livres.
La Roumaine arrive en France en 2002, à Brest plus précisément, elle a 21 ans. Sa bourse Erasmus lui permet de passer une année de ses études en lettres modernes et sciences humaines dans la région d’Olivier de Kersauson. Dès le départ, elle le savait néanmoins : elle restera en France.
Acceptée à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco) afin de réaliser une thèse sur la mémoire du communisme en Roumanie, faute de bourse de recherche, elle abandonne cette ambition pour se tourner vers la librairie : « J’ai toujours été dans le livre », confie-t-elle à ActuaLitté, et de développer : « J’ai grandi dans un pays, la Roumanie, où la seule occupation était le livre quand on était enfant. il y avait peu de loisirs à l’époque de Ceausescu. »
D’abord libraire à la Fnac entre 2011 et 2016, puis la Librairie de la Comédie en tant que Responsable Rayon Littérature/Polar, avant de s’inscrire dans la première librairie indépendante de France en termes d'importance, la Librairie Mollat. Dans l’enseigne bordelaise, elle s’occupe durant trois ans du pôle « Savoir », puis devient Responsable Mollat Pro, Référencement et Logistique, et ce pendant deux ans, jusqu’en février dernier : « J’ai premièrement pensé lancer une association pour la promotion des auteurs de l’est, mais en discutant avec les confrères du milieu du livre, j’ai été convaincu que la meilleure chose à faire était de me mettre à mon compte », précise-t-elle.
C’est sur cette expérience qu’elle souhaite s’appuyer pour mener à bien son travail de mise en valeur des titres qu’elle défend : « Je connais les libraires, comment ils officient, à quel point ils sont sollicités et donc comment il faut ne pas les noyer, dans tous les sens du terme », décrit Monica Irimia. Et de savoir qu’un texte est fait pour un type de libraire, un autre pour une autre enseigne.
Curieuse de la manière dont les collègues libraires travaillaient, elle s’est autant constituée un réseau qu’elle a su identifier ceux qui partageaient son intérêt pour la littérature de l’Est de l’Europe : « J’ai toujours aimé échanger avec d’autres du métier, et lorsque l’on a les mêmes types de lecture, on crée forcément des liens. »
Plus que défendre les auteurs contemporains de l’autre côté de l’Europe par l’entremise de sa place de libraire, elle proposa rapidement des chroniques sur internet : « Dès mes années à la Fnac, je publiais des chroniques à travers un blog, avant de laisser tomber. J’ai ensuite repris, depuis 5 ans maintenant, grâce à un site culturel participatif, Addict Culture, me remettant en même temps dans la littérature de l’Est. »
Une inclinaison naturelle, et logiquement deux premiers titres qu’elle accompagnera à la rentrée venue de ces contrées. Rhapsodie balkanique de la Bulgare Maria Kassimova-Moisset, éditée aux Syrtes, d’un côté, et Merle, merle, mûre de la Georgienne Tamta Mélachvili, publié chez Tropismes éditeur, de l'autre.
Le premier, qui paraîtra le 22 août 2023 dans une traduction de Marie Vrinat, raconte le parcours d’une jeune femme indépendante, intrépide, et « un peu sorcière » dans ce territoire des bords de la Mer Noire à la mystique millénaire, Miriam. Dans la Bulgarie des années 20, celle dont le père est un grec orthodoxe, tombe amoureuse d’un turc, Ahmed. Les deux fuiront dans le contexte de Balkans fissurés... Une oeuvre inspirée de la véritable histoire de la grand-mère de l’écrivaine bulgare.
Le second, Merle, merle, mûre, de la Georgienne Tamta Mélachvili, sortira en octobre 2023 aux éditions Tropismes dans une traduction d’Alexander Bainbridge. Le roman, par ailleurs adapté en un long-métrage présenté à la quinzaine des réalisateurs de Cannes cette année, suit une Georgienne de 48 ans. Elle tient sa petite épicerie, et possède une grande passion, confectionner des confitures de mûres. Un jour, elle manque de se noyer, et tel Jean-Jacques Rousseau après l’épisode du chien danois, elle a une révélation : si elle était morte, personne n’aurait remarqué son absence... Elle aurait passé à côté de sa vie. La conscience est prise : elle a un corps, des envies...
Des premiers textes à défendre, avant d’autres : « Je serais heureuse d’apporter mon énergie et mes compétences à des indépendants surtout, sachant que leurs efforts doivent être de plus en plus importants pour se rendre visibles », confie Monica, et de développer : « Les équipes sont restreintes, et de ce fait, ils ont besoin d’aide, d’être accompagnés afin qu’un roman sorte du lot parmi la foultitude des parutions mensuelles et annuelles. »
Une rude compétition, et une question : les Français auraient-ils un problème avec la littérature de l’est de l’Europe ? « J’ai discuté avec des libraires, éditeurs, pour trouver une explication de ce peu d’intérêt pour cette littérature », nous raconte Monica, et de partager ses conclusions : « Les lecteurs auraient peur d’une littérature trop sombre, grise, outre la problématique des oeuvres traduites. »
Elle est par ailleurs formelle : « Je ne crois pas en revanche qu’il y ait du mépris, ou un ressentiment. » Cette littérature reste finalement assez vague pour beaucoup dans sa dimension contemporaine, comme le contexte politique et historique de ces territoires durant les dernières décennies. Monica Irimia est convaincue qu’un meilleur accompagnement de cette production peut changer la donne.
Parmi les auteurs d’Europe de l’Est que nous conseille celle qui se lance aujourd’hui dans la surdiffusion, il y a la Moldave Tatiana Țîbuleac, et son roman, L’été où maman a eu les yeux verts, sur la relation filiale, dans le cadre de la Normandie. Un titre également publié dans le « très chouette » catalogue des éditions des Syrtes. La Roumaine cite aussi Le Jardin de verre de la même écrivaine, qui traite de la russification de la Moldavie dans l’époque soviétique, et ce à hauteur d’enfant. Un ouvrage d’une actualité brûlante. Les deux textes ont été traduits en français par Philippe Loubière.
Toujours la Moldavie, avec Et demain les Russes seront là (trad. Florica Courriol) d’Iulian Ciocan paru chez Belleville Éditions, qui s’inscrit encore dans l’actualité de la menace russe sur son modeste voisin : « Des romans de ce type permettent de dépasser le prisme occidental pour comprendre le point de vue de l’Est. La littérature peut servir à divertir, mais aussi à appréhender d’autres mondes, sociétés, ou simplement l’autre », résume Monica Irimia.
Côté polonais, cette dernière cite Les nageurs de la nuit de Tomasz Jedrowski, traduit de l’anglais par Laurent Bury pour les éditions La Croisée : « Une histoire d’amour entre deux jeunes hommes à l’époque du syndicat Solidarnosc », qui joua un rôle décisif dans la chute du communisme dans le pays. « Le Call me by your name polonais », synthétise Monica Irimia.
Enfin, « un dernier pour la route », Allemagne conte obscène (trad. Marie Vrinat) du bulgare disparu en 2019 Victor Paskov, paru aux éditions du Typhon : « Le récit initiatique d’un jeune homme de 19 ans qui part pour l’Allemagne de l’est perçue comme l’antichambre vers l’ouest, entre la xénophobie et le danger conduit par la Stasi d’un côté, et l’enthousiasme de la verdeur de l’autre. »
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Rappelons que le Booker Prize 2023, Guéorgui Gospodínov, est un Bulgare, et que l’un de ces titres, Le pays du passé (trad. Marie Vrinat), a été publié chez Gallimard en 2020.
Crédits photo : Monica Irimia
Paru le 07/10/2021
352 pages
Editions Gallimard
23,50 €
Paru le 08/03/2023
222 pages
Delcourt
20,00 €
Paru le 24/01/2023
348 pages
Editions du Typhon
22,00 €
Paru le 03/03/2023
210 pages
Belleville Editions
20,00 €
Paru le 12/04/2018
170 pages
Editions des Syrtes
15,00 €
Paru le 19/03/2020
259 pages
Editions des Syrtes
17,00 €
Paru le 22/08/2023
258 pages
Editions des Syrtes
21,00 €
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