Né en 1964 au Havre, Jean-François Jacq vit actuellement à Vierzon, où il poursuit une intense activité théâtrale et littéraire. Auteur de plusieurs biographies de rock-stars, de groupes, l’homme dévoile également un parcours de vie à la fois chaotique et douloureux à travers plusieurs livres autobiographiques, aux titres évocateurs (Heurt-limite, Hémorragie à l’errance, etc.). Propos recueillis par Etienne Ruhaud.
Le 19/09/2023 à 11:38 par Auteur invité
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19/09/2023 à 11:38
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Publié par Ardavena, Il fera bon mourir un jour s’inscrit dans cette continuité. Parcours d’un enfant malheureux, mal aimé, malade, interné de force, devenu adulte en errance, en souffrance, ce nouvel opus dévoile une écriture à la fois sombre, authentique et singulière.
Etienne Ruhaud : Il fera bon mourir un jour est un récit autobiographique. Tu as déjà évoqué ta propre vie à travers trois récits (Heurt-limite, L’Harmattan, 1998 ; Hémorragie à l’errance, L’Harmattan, 2012, et Fragments d’un amour suprême, Unicité, 2016). Par ailleurs, tu as consacré plusieurs biographies à des rockers, ou à des groupes de rock. Penses-tu un jour passer à la fiction, ou préfères tu évoquer l’existence réelle ?
Jean-François Jacq : Je suis sans cesse rattrapé, happé par la vie. Toute idée de fiction n’est que balbutiements qui, je l’avoue, ne fait pas le poids au regard de cette vie vécue, hors norme. Il me faudrait lâcher prise pour écrire de la fiction. Ce qui me semble à ce jour impossible. J’aurai le sentiment de trahir ma ligne de conduite, mon être, ma raison d’être, mon écriture.
Existe-t-il un lien conscient entre ces différents récits ? S’agit-il d’une suite ?
Jean-François Jacq : En soi c’est une suite. On retrouve les bases de mon vécu, sans que l’aspect famille soit évoqué, dans Hémorragie à l’errance, qui traite principalement de mes années passées à la rue. Heurt Limite, mon premier récit, est un cri, une première pierre posée. En quelque sorte les fondations. Enfin, lorsque s’achève Il fera bon mourir un jour, c’est à ce moment-là que commence l’histoire de Fragments d’un amour suprême.
Pourquoi t’adresses-tu au héros à la deuxième personne ? Cela s’est imposé à toi comme une évidence ?
Jean-François Jacq : Oui, cela a été une évidence. Comment parler de cette enfance qui, je n’aurai pas d’autre mot, m’a été littéralement volée ? Je tente ici de me la réapproprier, tout en sachant que cet enfant est mort, mort de ne pas avoir vécu. Je lui dois le plus grand respect. En employant volontairement le « tu », je tente enfin, ce pour la première fois et à travers ce livre, de m’adresser ouvertement, de front, à lui. Le récit évoque en premier lieu l’histoire d’une famille malheureuse, dominée par une mère psychologiquement malade.
Peut-on parler de récit familial ? Voulais-tu en premier lieu parler de ton parcours individuel ou de
ta famille ? Ou des deux, de façon égale ?
Jean-François Jacq : Je voulais parler en premier lieu de cette famille. Je ne peux même pas dire « ma » famille. Ce n’est pas un rejet, mais un constat, en soi une désolation. Dire qu’il s’agit d’un récit familial serait réducteur. Dire qu’il s’agit avant tout d’un parcours individuel le serait tout autant. J’ai tenté de saisir les choses, j’espère y être parvenu, à parts égales.
Le foyer apparaît essentiellement comme un lieu de souffrance. « Famille je vous hais ! ». Adhères-tu au propos d’André Gide ?
Jean-François Jacq : Absolument pas. Mon propos serait plutôt de l’ordre des tentatives de me raccrocher à la vie, coûte que coûte. Qui plus est en ayant été cet enfant qui ne comprenait pas le sens même de ce qu’aurait dû être une cellule familiale. Ils sont infiniment rares les moments de ma vie où j’ai ressenti de la haine. Rares et gênants au plus haut point. C’est un sentiment que j’exècre.
Nous suivons également le narrateur de sa prime enfance jusqu’à ses vingt-deux ans. Peut-on parler d’un récit de formation, ou d’un roman d’initiation ?
Jean-François Jacq : C’est un roman d’initiation. Un roman où l’apprentissage de la vie ne peut se faire qu’au plus près de son seul pendant, la mort. On y revient sans cesse dans ce récit. Et ce n’est pas une volonté, un choix, ce n’est que la réalité. J’ai dû repousser les limites et pour cela, il me fallait côtoyer au plus près la mort. Finalement la seule preuve que j’étais bel et bien en vie, au bout du compte.
Tu es homme de théâtre. Et tu es également passionné de musique, comme en témoignent les biographies évoquées plus haut. Pourtant cela n’apparaît pas dans ce livre. Comment l’expliquer ? Sépares-tu ces différentes formes d’activités littéraires ?
Jean-François Jacq : Incidemment, tout est lié. Je suis un enfant de la rue, mon errance ayant débuté à l’âge de treize ans. Et après mes années à la rue, après le temps très long de ma reconstruction, j’ai repris des études à l’université, sans avoir jamais été au lycée.
J’ai obtenu une licence en arts du spectacle, et travaillé de suite au sein d’une compagnie. Le théâtre a été ma façon de me réapproprier le langage. Pour la première fois de ma vie je parlais, on m’écoutait. Et finalement cette parole libérée m’a permis de projeter ma voix dans l’écriture.
Je suis venu à l’écriture de biographies musicales suite au décès de mon ami Olive, de Lili Drop. Je lui devais bien ça. La musique a toujours occupé une place particulière dans ma vie en effet, et finalement, pour moi qui n’ai écrit que des récits autobiographiques, je me retrouve dans la posture de celui qui doit retracer et respecter la vie et le parcours artistique de tel artiste. Ce que l’on m’a donné de bonheur à l’écoute, je le rends ainsi sur le papier.
Sur le plan stylistique stricto sensu, on constate l’emploi de phrases nominales, l’absence de verbes, bien souvent. Comment travailles-tu à cette épure ? Ratures-tu beaucoup ?
Jean-François Jacq : Je reprends sans cesse. Chaque phrase est un pur assemblage. Je ne rature pas, ce n’est pas une phrase qui va me gêner en bloc, mais véritablement un mot. Alors je le change maintes et maintes fois au profit d’un autre.
La phrase éclate. Jusqu’à ce qu’il y ait résonnance. Quelque chose de l’ordre de l’écoute. Jusqu’à ce que j’extirpe de cette phrase une émotion. Que je démultiplie alors de phrase en phrase. Une émotion intense, si vive, que le verbe finit par passer au second plan. J’attends de l’écriture, précisément et encore plus dans ce dernier livre, qu’elle me surprenne, qu’elle me bluffe. Qu’elle me déroute.
Dans Fragments d’un amour suprême, tu évoques essentiellement la figure d’un compagnon défunt. Ici l’amour apparaît en filigrane. Que penses-tu, à ce propos, de l’étiquette « littérature gay » ? Est-ce réducteur ?
Jean-François Jacq : À mon humble avis, oui. Je traite de sentiments qui sont universels. En attestent les lecteurs qui se sont reconnus dans cette histoire, au-delà des clivages, deux hommes. Je n’ai pas envie de rentrer dans cette case « littérature gay ». Cela reviendrait à dire que ce livre est destiné à une certaine catégorie de lecteurs.
J’ai tendance à me méfier de la notion de communauté dès lors qu’en parallèle on revendique les mêmes droits. Je respecte pour autant le travail qui permet de mettre un terme aux injustices. De toute façon cette communauté, et en particulier la presse spécialisée gay, s’est totalement désintéressée de ce livre, et ce malgré mes contacts. Alors que j’y abordais un sujet « tabou » qui concerne les hommes, sujet dont jamais on ne parle.
Les rares moments de bonheur semblent justement liés à l’amour, à la découverte de l’amour. Penses-tu que l’amour sauve d’un destin malheureux ? Accordes-tu, justement, une valeur suprême à l’amour ?
Jean-François Jacq : Oui. Je crois que le fond de ma révolte a été et demeure la quête de l’amour. Ce besoin inné d’amour m’a finalement sauvé de tout. Du pire, en l’occurrence. Il m’a aidé, étant enfant, et pourtant sans rien y comprendre, à tenir bon. Je l’ai même cherché, espéré en cachette cet amour de la part de mes parents. En vain. Cette quête d’amour, avant tout de la vie, et que je décrète suprême, ne m’a jamais quitté. Elle a bel et bien infiltré mon écriture.
Semblablement, l’écriture te permet-elle d’être heureux, ou, en tout cas, moins malheureux ? Penses-tu, comme Céline, qu’il faille mettre « ses tripes sur la table » ?
Jean-François Jacq : C’est nécessaire, ou sinon, surtout au regard d’un tel vécu, comment parvenir seulement à oser tenter de comprendre, à oser rendre compte ? Je ne suis moi, littérairement, que si je me donne en entier. Et à ce stade, écrire ne peut prendre son ampleur dans la demi-mesure. Oui, je l’avoue, je suis infiniment heureux dans ces moments-là.
Crédits photo : Jean-François Jacq
Paru le 18/08/2023
202 pages
Editions Ardavena
13,99 €
Paru le 01/10/2012
124 pages
Editions L'Harmattan
14,50 €
Paru le 01/02/2016
146 pages
Editions Unicité
15,00 €
3 Commentaires
Ambroix
19/09/2023 à 12:57
C'est un bon entretien, qui donne envie de découvrir cet écrivain. D'habitude l'écriture affective me rebute, mais ici la curiosité pour cet auteur & son style s'est éveillée.
Etienne Ruhaud
19/09/2023 à 20:40
Oui. Et une personnalité absolument charmante de surcroît.
VAN LANGHENHOVEN HELENA
21/09/2023 à 09:29
scolaire et cire -pompes comme toutes les entreprises de RUHAUD DEPUIS hOUELLEBECCQ ET c2LINE