Lorsqu’on parle d’audio book en Afrique de l’Ouest, le nom d’Ama Dadson est celui qui sort immédiatement. Basée à Accra (Ghana), elle développe, depuis 2018, la production et la distribution en ligne d’audiolivres à travers sa plateforme AkooBooks Audio.
Nous échangeons des Whatsapp depuis pas mal de temps, mais je n’ai toujours pas rencontré Ama en vrai. Alors, nous nous sommes finalement posées en visio pour évoquer son histoire, ses projets actuels, son positionnement et la manière dont elle voit ce marché émergent. Un échange qui s’est avéré, de suite, fluide et amical. Après 10 années de vie en Côte d’Ivoire (et 4 années à Paris), Ama Dadson (de retour au Ghana) s’est lancée dans ce projet fou grâce à sa mère. Pour devenir en 2021, la lauréate du Prix Woman in Tech Africa Startup of the Year.
Agnès Debiage : Qu’est-ce qui vous a motivé à développer AkooBooks Audio ?
Ama Dadson : Tout a commencé avec ma mère. C’était une écrivaine de livres pour enfants et une grande lectrice. Elle m’a élevée dans cet environnement de la lecture. Mais elle a complètement perdu la vue il y a une quinzaine d’années. Cela a chamboulé tout son mode de vie. Elle estimait qu’elle était trop âgée pour apprendre le braille. Alors j’ai commencé à rechercher tout ce que je pouvais trouver pour la distraire. Au début, certains titres n’étaient enregistrés que sur des cassettes puis en DVD et finalement le streaming audio est devenu disponible. J’achetais des ressources sur internet, via des sites étrangers. Moi-même je venais des IT (technologies de l'information) avec une sensibilité forte et des compétences pour le développement digital.
J’ai trouvé un choix de plus en plus large, mais tous les titres de livres que je repérais pour ma mère, n’avaient rien à voir avec l’Afrique. Or elle voulait se replonger dans l’ambiance et l’imaginaire de notre continent. Du coup, j’ai réalisé qu’il manquait une offre essentielle, adaptée à nos besoins. C’est sur ces bases qu’est né AkooBooks en 2018. Notre continent est immense, nous avons tellement d’auteurs talentueux et d’éditeurs. Le champ est vaste et je me suis lancée.
Comment regardez-vous ces nouveaux modes de lecture ?
Ama Dadson : La lecture change, les lecteurs aussi et l’Afrique doit s’adapter. Nous voulons faire partie de ces nouvelles tendances. Aujourd’hui, tout le monde a un smartphone et nous prenons l’habitude de lire et d’écouter par ce biais-là. Notre manière de lire est en train d’évoluer et l’offre éditoriale doit s’adapter pour continuer à répondre aux attentes des lecteurs, de tous les lecteurs d’Afrique et d’ailleurs. Cet univers digital est là, à portée de clic. Ces nouveaux supports de lecture et d’apprentissage sont aussi de plus en plus présents dans l’éducation.
C’est dans ce sens que nous avons entièrement repensé notre plateforme en ligne pour permettre des formules d’abonnement et non plus uniquement de l’achat à l’unité. Nous avons, en Afrique, une vraie tradition orale et l’audio book s’inscrit clairement dans nos habitudes d’oralité.
Comment s’organise votre activité ?
Ama Dadson : Ce n’est pas évident, car nous avons une double activité. Nous sommes à la fois éditeur de livres audio, mais aussi distributeur via notre propre plateforme. Ce sont deux métiers très différents. J’insiste aussi beaucoup pour développer des compétences chez mes collaborateurs afin d'atteindre un excellent niveau de qualité ce qui est fondamental pour moi.
Pour l’instant, nous louons des studios d’enregistrement, mais mon objectif est de réussir à établir mon propre studio professionnel pour gagner en autonomie et en efficacité. Au début, lorsque j’ai démarré mon activité, je me concentrais à enregistrer des livres audio que je mettais ensuite en ligne sur des plateformes étrangères. Mais je me suis aperçue que l’accès à celles-ci était souvent compliqué pour nous Africains. Les tarifs d’abonnement mensuel étaient trop élevés et inaccessibles. L’enjeu local était aussi de s’adapter au micro-paiement via les opérateurs téléphoniques pour faciliter le passage des utilisateurs à l’achat ou l’abonnement.
AkooBooks progresse lentement mais sûrement et compte environ 150 titres (en catalogue en livres et programmes audio). Nous avons une petite équipe d’acteurs et de lecteurs à haute voix avec lesquels nous collaborons régulièrement et je reste très en lien avec le département des arts du spectacle de l’Université du Ghana, où j’ai travaillé pendant 17 ans. Je suis une toute jeune retraitée qui a passé ce cap il y a un an et je me consacre pleinement à AkooBook Audio.
Comment ont réagi les éditeurs africains lorsque vous avez démarré ?
Ama Dadson : Beaucoup n’ont pas compris de quoi il s’agissait. Ils étaient tellement dans la logique de l’impression papier que ce nouveau monde digital et plus encore, uniquement audio, paraissait nébuleux. Ils n’arrivaient pas à visualiser une clientèle potentielle. Ils étaient très sceptiques et ne voulaient rien payer pour la production des contenus audio. Alors j’ai mis en place un accord de licence qui permettait de bien clarifier nos échanges et notamment le partage des royalties. Mais aucun ne voulait entendre parler des frais de production au démarrage.
Donc nous avons dû intégralement financer le démarrage de notre catalogue audio. Maintenant, les choses commencent à changer doucement, mais cela prend beaucoup de temps. Aujourd’hui, certains éditeurs partagent avec nous les frais de production, voire les assument intégralement. Nos accords avec les éditeurs africains sont basés uniquement sur des droits d’auteur, mais je sais qu’ailleurs dans le monde, ce n’est pas toujours le cas et le paiement d’un forfait initial alourdit encore l’immobilisation financière initiale.
Au Maroc, j’ai obtenu le African Entrepreneurship Award Winner 2018. Ce prix doté de 25.000 $ m’a permis de réellement booster la production de livres audio africains et notre propre plateforme digitale.
La Covid-19 n’a pas été un accélérateur de notre activité, car nous ne pouvions plus enregistrer, mais par contre, cela nous a amenés à plus nous concentrer sur les livres pour enfants. Nous avons mieux pris conscience des énormes enjeux de l’apprentissage de la lecture et nous avons collaboré avec des programmes radio du Service de l’Éducation du Ghana. En 2021, nous avons été soutenus par le programme de la Mastercard Foundation African Edtech dont nous étions l’une des 12 entreprises africaines du domaine des technologies de l’éducation.
Qui sont vos clients aujourd’hui ?
Ama Dadson : Jusqu’à l’an dernier, nous n’avions pas une analyse précise de cette clientèle, mais nous avons travaillé à affiner cette connaissance de notre communauté. Aujourd’hui, la majorité de notre clientèle est adulte. Jeune, mais adulte. Aussi, ai-je pris le parti de développer de plus en plus de livres pour enfants.
Petite, j’ai été marquée par Pierre et le loup et j’ai voulu créer des livres d’histoires traditionnelles, mais qui introduisent des instruments africains. Ce sont des productions assez onéreuses, mais j’y tiens beaucoup. Nous avons quelques titres en langue locale et voulons aussi élargir notre choix de littérature enfantine africaine en français et en allemand. Notre production audio jeunesse couvre environ 35 titres.
Aujourd’hui les jeunes trouvent beaucoup de contenus gratuits sur internet : YouTube, Spotify, Netflix… Il y a un vrai enjeu à leur faire comprendre ce qu’est le droit d’auteur pour qu’ils en prennent conscience afin de le respecter. Nous avons besoin de mettre en place des partenariats pour continuer notre développement.
J’ai pris à plusieurs reprises la parole pour sensibiliser les éditeurs africains sur les enjeux du digital et des audio livres. J’ai fait des conférences à Lagos, Nairobi… et même à Sharjah où j’ai abordé la question des marchés émergents, notamment en lien avec l’International Publishers Association (IPA). C’est un vrai challenge pour nous que d’informer et sensibiliser les professionnels du livre en Afrique.
Nous commençons tout juste à nouer des accords avec d’autres plateformes et notamment YouScribe. J’étais hésitante, car je voulais pouvoir tout maîtriser, mais j’ai réalisé que les acteurs majeurs du marché ont beaucoup plus de trafic que moi, il est donc logique d’être présent sur plusieurs plateformes à la fois.
Votre production est essentiellement anglophone ?
Ama Dadson : En étant au Ghana, pays anglophone (encerclé de francophones), nous avons naturellement démarré avec des livres en anglais. Mais nous ajoutons régulièrement des titres en français. Au Ghana, il y a 6 langues locales qui peuvent permettre de publier. Nous avançons timidement dans cette direction. Il est beaucoup plus facile pour nous d’enregistrer des livres en anglais.
Pour chaque langue, nous devons trouver une nouvelle équipe, des acteurs, mais aussi des ingénieurs du son qui seront à même de tout contrôler dans la langue d’enregistrement. Donc cela complique pas mal les choses. Mais publier en plusieurs langues fait vraiment partie de nos objectifs.
Il nous arrive aussi de produire des audiobooks pour des éditeurs non africains. Par exemple, les éditions Hachette nous ont déjà sous-traité l’enregistrement de livres audio. Ils se tournent vers l’Afrique pour trouver des narrateurs. Valoriser les belles voix de nos territoires est devenu un enjeu réel.
Quel est le principal problème auquel vous faites face dans le développement de vos activités ?
Ama Dadson : Notre souci premier est d’ordre financier, car pour produire des livres audio, il faut tout investir avant même de faire la première vente. Or, c’est une mobilisation financière conséquente pour notre petite structure. Parfois j’aimerais acquérir des droits sur certains titres connus à l’étranger, mais je ne peux pas me permettre d’en acheter les droits de licence. Nous voulons développer notre catalogue, mais cela a un coût énorme pour notre entreprise. Nous sommes en concurrence avec des géants de la distribution de contenus en ligne et nous devons absolument continuer ce développement de notre catalogue pour trouver notre place dans une offre en constante progression.
Le catalogue africain du livre audio est encore modeste, mais il progresse de jour en jour. Nous avons aussi l’enjeu du marché scolaire qui est au cœur des préoccupations des parents et dont nous devons tenir compte.
Comment sélectionnez-vous les nouveaux titres de votre catalogue audio ?
Ama Dadson : Nous allons facilement vers des titres qui marchent déjà bien en édition imprimée. Ils appartiennent souvent à des éditeurs connus. Il y a une certaine cohérence pour nous à fonctionner ainsi. Cependant, il nous arrive de répondre à des demandes que l’on nous adresse et auxquelles nous donnons une suite favorable. Les auteurs indépendants vont être difficiles à gérer pour nous, car comme ils ne sont pas connus, cela demande un effort marketing considérable pour notre petite équipe. Nous avons pas mal de liens avec le Nigéria, mais aussi avec l’Afrique de l’Est.
Quel message voudriez-vous faire passer aux éditeurs africains francophones ?
Ama Dadson : Venez faire vos livres audio ici et nous serons ravis de vous épauler par notre professionnalisme. Cela va élargir vos audiences et ouvrira probablement de nouveaux marchés. Nous pouvons ensemble développer des ouvrages formidables. Nous avons la chance d’avoir d’extraordinaires narrateurs francophones, ivoiriens notamment, qui enregistrent déjà avec nous. Essayons de mieux se connaître et de collaborer sur vos ouvrages.
Découvrir la plateforme AkooBooks.
Crédits photo : Ama Dadson © IPA in Nairobi
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
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