Laure Blédou est partout, sur tous les fronts pour œuvrer au rayonnement de Bayard Afrique. En un mois, la directrice éditoriale et marketing passe d’Abidjan à Dakar où je la croise. Puis, elle s’envole pour Bamako avant d’aller vers Kigali. Mais qu’est-ce qui fait tant bouger cette franco-ivoirienne à la personnalité rayonnante ? Propos recueillis par Agnès Debiage, fondatrice d’ADCF Africa.
J’ai rencontré Laure pour la première fois au Salon international du Livre d’Abidjan en mai 2022. Nos échanges ont vite convergé vers la production Bayard que je connais bien pour l’avoir représentée pendant plus de 10 ans en Égypte. Laure Blédou est une personne directe, franche et qui déborde d’un enthousiasme communicatif. Très naturellement, nous sommes restées en lien au fil des mois, en entretenant une relation de confiance et d’échange.
ActuaLitté : Comment a démarré Bayard Afrique ?
Laure Blédou : Tout a commencé en 2016 quand j’ai été recrutée par le groupe Bayard à Abidjan en tant que business developer. L’idée était de mettre en place une activité pour créer de la valeur autour du livre, de la littérature made in Africa pour les enfants et les familles du continent. Au départ, j’ai voulu, à travers une étude menée simultanément en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, mieux comprendre tout ce que Bayard avait déjà apporté à ses lecteurs, avec Planète Jeunes et Planète Enfants.
Ces deux titres ont bénéficié d’une très grande notoriété durant plusieurs décennies. Des générations de jeunes, aujourd’hui adultes, ont été formées avec ces magazines. Planète Jeunes a été publié de 1993 à 2013. Au départ, notre réflexion s’orientait plutôt vers le numérique, mais on s’est vite rendu compte que les parents voulaient que leurs enfants pratiquent la lecture sur du papier. Donc on a changé de support. C’est ainsi qu’est né le projet de Planète J’aime lire en 2017, avec l’ambition de créer un modèle économique pensé en lien avec l’émergence des classes moyennes.
Quels ont été vos axes de travail au niveau de l’éditorial ?
Laure Blédou : Je me suis beaucoup basée sur l’étude initiale pour bien partir des attentes des parents. Il était très clair qu’ils voulaient du contenu africain, ce qui rejoignait nos premières intuitions. Ils étaient demandeurs et a priori, potentiellement acheteurs de supports de qualité. Forte de cela, je me suis lancée dans un gros projet avec 5 écoles pilotes, aux profils très différents, dans lesquelles j’avais un référent. Nous avons ainsi constitué des groupes de travail autour d’un numéro zéro du futur magazine.
Parmi les suggestions importantes qui ont émergé, nous avons intégré une rubrique sur la compréhension du texte, afin de permettre à l’enfant de s’autoévaluer et aux enseignants et ONG d’utiliser le magazine comme support pédagogique. Il y a eu ainsi beaucoup de suggestions qui nous ont donné l’opportunité de mieux nous ajuster aux besoins et attendus qui avaient été soulignés en phase initiale.
Par exemple pour mes premiers Planète J’aime lire, le magazine pour les tout-petits, il fallait qu’il y ait une morale qui émerge de l’histoire. Ainsi nous avons créé une double page que nous avons appelée La petite leçon. En France par exemple, elle sera traitée très différemment. Quand le numéro zéro a été prêt, j’ai entamé une collaboration avec des orthophonistes et des groupes d’enfants et nous avons observé comment ces derniers réagissaient à la lecture de celui-ci.
Comment avez-vous trouvé tous ces auteurs et illustrateurs ? Étaient-ils des habitués de l’édition jeunesse ?
Laure Blédou : Au tout début, nous n’étions pas en mesure de produire ces contenus et avons dû piocher dans le catalogue Bayard France, car nous devions former toute notre équipe éditoriale et l’entraîner à un rythme de publication mensuelle. Confrontée à la limite de ce modèle, j’ai rapidement commencé à chercher partout en Afrique francophone des auteurs, autrices et illustrateurs, illustratrices qui travailleraient selon un cahier des charges pour donner naissance à nos premières créations.
Aujourd’hui, 5 ans après, on a fait travailler une bonne cinquantaine de personnes. La moitié d’entre eux publiaient ou illustraient pour nous, de façon professionnelle, pour la toute première fois. On a offert des opportunités et ouvert des portes pour libérer cette créativité. Certains n’avaient même jamais signé de contrat avant cela. Et aujourd’hui, ils continuent pour nous ainsi que d’autres éditeurs.
En termes de commercialisation, avez-vous d'emblée choisi les formules d’abonnement telles que Bayard les pratique partout dans le monde ?
Laure Blédou : On a eu deux approches en parallèle. La première était la vente au numéro. Cet important pilier de notre diffusion représente plus de 2000 exemplaires par mois, ce qui est tout à fait significatif sur nos marchés. Il faut savoir qu’en Afrique, nos titres restent en moyenne 3 mois en kiosque ! Le deuxième axe a bien sûr été l’abonnement, qui est au cœur de la marque de fabrique de Bayard dans le monde. Cette formule permet d’encourager à la lecture régulière et favorise une routine positive chez l’enfant.
Donc nous avons travaillé directement en lien avec les écoles sur une base gagnant-gagnant. Nous leur proposons d'organiser des ateliers de lecture et animations. Dans chaque pays où nous sommes présents, nos chargés de développement ont à leur disposition du matériel pédagogique qui leur permet de mettre en place ces ateliers de lecture ou d’autres types d’animations. Et moi, j’essaye d’aller régulièrement sur le terrain pour proposer des contenus nouveaux, des spectacles … Aujourd’hui, nous sommes présents dans 10 pays d’Afrique francophones (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Cameroun, Congo Brazza, Mali, Sénégal, Niger, Burkina Faso et Guinée).
Finalement, quelle est la proportion de vente à l’unité et de celle par abonnement ?
Laure Blédou : Tout dépend des pays. Dans certains on est à 50/50 (Côte d’Ivoire, Mali, Cameroun), tandis que pour d’autres, l’abonnement est très largement majoritaire jusqu’à 80/20. Il ne faut pas oublier que sur certains territoires, le réseau de distribution n’est pas très développé ni très solide. Les magazines sont laissés en dépôt, mais ensuite il faut récupérer les paiements ce qui n’est pas toujours évident.
Vous semblez être en train de franchir une nouvelle étape : de la presse à l’édition ?
Laure Blédou : Tout à fait. Dans une logique de rayonnement, nous voulons prolonger la durée de vie des histoires, car les magazines ne restent que 3 mois, ce qui est un peu frustrant. On « source » des auteurs, on travaille ensemble en moyenne la moitié d’une année pour éditer leur propos et une fois que le magazine a vécu sa vie en kiosque, tout s’arrête.
Les récits ne sont plus accessibles sauf via notre boutique en ligne. L’idée a donc été d’en ressortir certains, mais en format livre, pour inciter les parents à créer des bibliothèques pour enfants. Notre première collection comportera 5 titres, 2 sont déjà publiés. On peut ainsi leur donner une autre vie.
Comment se positionne Bayard Afrique par rapport au numérique ?
Laure Blédou : ActuaLitté va avoir une nouvelle en exclusivité ! On vient juste de signer un contrat avec YouScribe pour mettre 20 titres en ligne d’ici le début du mois d’avril. Pour nous, ce sera un premier test de lecture de contenu sur une plateforme externe. Bayard Afrique a tout de suite investi le champ du numérique avec l’enregistrement en audio de toutes nos histoires qui sont disponibles gracieusement sur notre site internet et notre chaîne YouTube.
Pour nous cela faisait partie de nos valeurs que de pouvoir proposer la lecture pour tous. Nous sommes conscients qu’il y aura toujours des familles qui ne pourront pas acheter un magazine ou payer un abonnement. En revanche, la majorité des personnes ont un téléphone portable et achètent de la data, ce qui permet de ne rien payer de plus.
Nos productions existent en format audio et sont enregistrées par des comédiens dans un studio à Abidjan. D’autres contenus existent aussi en format numérique, comme par exemple, toutes nos recettes de cuisine. Elles sont un moyen de faire rayonner notre patrimoine et d'oeuvrer pour l’égalité entre les genres. Un mois sur deux, un plat est préparé par un petit garçon.
On a aussi alimenté la plateforme numérique de Bayard Jeunesse en France. Elle s’appelle Bayam et fait appel à nous pour qu’on leur envoie des contenus venus d’ailleurs. Forts de ces succès, on s’est associés à leurs équipes pour travailler sur un projet de web-série, qui est une création originale de Bayard Afrique, coproduite avec Bayard France. Celle-ci nous plonge dans la vie d’une famille panafricaine qui utilise la lecture comme outil éducatif. Chaque scène est reliée à l’une de nos histoires. Nous avons essayé d’être très représentatifs de nos quotidiens. Nous sommes actuellement en train de travailler sur une saison 2.
En diffusant le plus largement possible et en lien avec un thème qui nous est cher à toutes les deux, décloisonner l’Afrique, Bayard n’irait-il pas se développer vers l’Afrique anglophone ?
Laure Blédou : Nous avons eu une première expérience dans le cadre d’un partenariat avec l’Union européenne, Expertise France nous a demandé de traduire en anglais l’une de nos productions dont la thématique était importante pour eux. Cela a permis que ce titre soit diffusé dans deux pays anglophones, le Nigéria et le Ghana.
Ainsi nous avons déposé notre marque en anglais (Let’s read Africa). Pour nous, cela a été une première étape essentielle. Maintenant se déployer sur l’Afrique anglophone fait bien sûr partie de nos projets, mais pas dans l’immédiat, c’est certain. Nous avons encore mille et une idées pour faire rayonner les Planète J’aime Lire et Mes premiers j’aime lire en Afrique.
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