Né en 1980 à Carcassonne, Vincent Calvet grandit à Perpignan. Titulaire d’une maîtrise de Lettres, instituteur spécialisé en région toulousaine, l’homme anime des ateliers d’écriture à destination d’élèves handicapés, tout en faisant intervenir divers auteurs. Animateur de plusieurs revues, comme le défunt Mange-Monde publié par Paul Sanda, ou Sémaphore, Vincent Calvet a en outre dirigé plusieurs anthologies. Lauréat du prix de la vocation Bleustein-Blanchet de Paris, il est l’auteur de nombreux recueils, entre autres pour la jeunesse, ainsi que de livres d’artistes. Certains de ses textes ont été traduits en russe ainsi qu’en arabe. Également plasticien, Vincent Calvet a exposé dans diverses galeries. Propos recueillis par Étienne Ruhaud.
Le 10/01/2023 à 12:51 par Auteur invité
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10/01/2023 à 12:51
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ActuaLitté : Dans tes poèmes, tu fais référence à des créateurs aussi différents que Philippe Jacottet, Anna Akhmatova ou Serge Essenine. Peux-tu nous en dire davantage ?
Vincent Calvet : J’essaye de lire de tout, d’être le plus large possible, autant dans la poésie du passé que dans la poésie du présent, autant à l’étranger que dans notre pays. Mes références dominantes, c’est plutôt la poésie de l’« esprit nouveau », avec une appétence particulière pour Léon-Paul Fargue, mais également Max Jacob et Apollinaire. Ensuite, j’ai été marqué par le surréalisme, André Breton et Paul Éluard essentiellement. Et Tristan Tzara de sa période de L’Homme Approximatif. J’ai lu la nouvelle poésie, celle de Bonnefoy ou de Jaccottet, qui m’a un peu influencé, notamment dans Naître au Mystère, mais je n’ai pas pris parti pour Bonnefoy contre Breton. J’accepte tout l’héritage, je ne récuse rien.
Pour les contemporains, la dimension religieuse de mes derniers livres correspond à l’influence de Pierre Oster. Je ne suis pas touché par la poésie d’avant-garde contemporaine, même si je m’y suis beaucoup intéressé, je préfère des poètes qui sont contemporains tout en s’inscrivant dans une tradition longue, comme Serge Pey. Cela correspond mieux à ma façon de voir les choses. Pour les poètes étrangers, je suis touché par les romantiques anglais et par les poètes russes, principalement. Effectivement, les poètes russes me touchent, et mon préféré est Serge Essenine, car il allie esprit révolutionnaire et attachement à la terre natale, celle des ancêtres, de la Sainte Russie, il est chrétien et animiste à la fois.
Dans Prière pour ne pas être enterré avec les chiens comme dans Naître au Mystère notamment, tu as choisi le vers libre. La forme de Six solitudes a de quoi déconcerter. Nous ne sommes pas dans le vers, mais pas dans la prose non plus stricto sensu. Comment expliquer ce changement ? Est-ce délibéré, ou est-ce que la forme s’impose à toi naturellement, selon ton propre rythme intérieur ?
Vincent Calvet : Je ne suis pas un poète qui investit une forme et s’y tient toute sa vie. De plus, je ne suis pas un formaliste, mais un lyrique, dans le courant de ce « nouveau lyrisme » des années 1980, avec une tendance au « lyrisme critique » pour reprendre l’expression de Maulpoix. Je suis un lyrique qui est en même temps conscient des limites de l’expression poétique, ce que j’essaye de formuler dans Naître au Mystère. Pour moi, la forme vient en fonction de ce que j’ai envie de dire. Je ne m’enferme pas dans une forme. J’ai naturellement envie d’expérimenter différentes formes. Je peux écrire en vers libre ou en prose, en travaillant sur la dimension visuelle ou pas.
Pour ce qui est de Six Solitudes, c’est une forme hybride entre le verset claudélien et le poème en prose. Il n’y a pas de ponctuation. Ce sont les blancs qui marquent la scansion. Quand j’ai écrit la « première solitude », j’étais sous l’effet de la lecture de L’homme Approximatif de Tzara mais aussi de Appartient à de Roubaud, ce qui a donné cette prose discontinue de la « première solitude ». Ensuite, je suis revenu à davantage de régularité sur les solitudes 3 à 6, sous l’effet de la relecture de Pierre Oster, et après avoir écrit La Haute Folie des mers, dont les rythmes sont plus réguliers. Je n’ai pas de forme de prédilection. Je suis protéiforme, la forme s’impose d’elle-même en fonction du propos, et j’ai toujours envie d’explorer des formes nouvelles.
Une joie irradiante, totale, ressort de Naître au mystère, tandis qu’une mélancolie diffuse sourde dans Six solitudes. Pourquoi ce changement de ton ?
Vincent Calvet : Les Six solitudes ont été écrites avant Naître au Mystère, mais le premier est paru après le second. Ce sont les aléas des calendriers de parution des éditeurs. La tonalité de Six solitudes est élégiaque et mélancolique. Cela correspond à une période de ma vie, quand j’étais étudiant, où j’ai écrit la « premier solitude ». J’étais un peu isolé et dépressif. Ensuite, j’ai essayé de conserver le ton quand j’ai écrit les autres « solitudes », afin que le recueil ait une unité de ton, même si je n’étais pas dans le même état d’esprit. Les solitudes 5 et 6 ont été composées pendant un long arrêt maladie d’un an, en 2015, où je me retrouvai un peu dans le même état de solitude.
Dans Naître au Mystère, mon intention est différente. J’ai écrit le livre pour saluer la naissance de mes deux neveux. Je l’ai écrit pour ma grande sœur, Marie. Je me devais de faire des poèmes positifs, qui célèbrent l’espoir, le miracle de la vie et de la naissance. Le sujet du livre impliquait une tonalité autre. Il est vrai que le livre est plus lumineux, moins élégiaque, plus dans le ton d’un Jaccottet. Si je suis un lyrique parfois élégiaque (je ne récuse pas par principe l’élégie qui est un genre qui remonte à l’Antiquité), j’essaye de faire varier les tonalités, pour ne pas m’enfermer dans un certain type de poésie. Quand on lit 44 grenouilles (Le Petit Pois), c’est léger, c’est primesautier, plein d’humour. Quand on lit Mais l’Espoir (Le Petit Véhicule), on ressent plutôt l’atmosphère d’un temps gris et d’une ville en proie à la dépression, comme certains poèmes de De cendre et d’écume, une ville. Il faut être capable de passer d’un registre à un autre, comme Victor Hugo ou Guillaume Apollinaire.
Tu n’évoques que fort peu la musique dans ces deux livres. Pourtant, tu as déjà enregistré des disques audios, collaboré avec des musiciens. Et parfois on est frappé par la musicalité même de ta poésie, par certaines allitérations et par certaines assonances. Quel est ton rapport, donc, à cet art ?
Vincent Calvet : Un CD qui a été enregistré, mais n’a pas été pressé car l’éditeur, Gwen Catala, nous a fait faux bond. Le CD devait paraître, mais Gwen a disparu en Thaïlande et n’a plus donné de nouvelles. Il nous reste l’enregistrement, et je n’ai pas encore trouvé d’autre solution. Les compositions musicales sont de Félix Lacquement et les textes sont dits par la jeune comédienne Carla Degoy. Ce sont des poèmes qui n’ont pas été publiés encore, des poèmes en hommage à d’autres poètes. Le titre devait être Ce sont de drôles de types, composé par le groupe « Alter Ego ». J’espère que ce CD verra le jour. Il est toujours temps.
Il est vrai que ma poésie est assez musicale, mais c’est tout à fait inconscient. Cela me vient tout seul. Ce sont des sons qui appellent des images et ces images, ce sont des mots, et donc des sons. Une longue chaîne de signifiants autoproduits. Il y a des poètes aujourd’hui qui sont musicaux et d’autres pas. Mais ce n’est pas une obligation. La prose de James Sacré est très musicale, celle de Guillaume Artous-Bouvet ne l’est pas du tout, mais ce sont deux excellents poètes. Je ne suis pas un grand connaisseur de la musique. J’écoute surtout de la chanson, des chansons à textes comme celles de la « nouvelle scène française » que j’essaye de suivre (Dominique A, Benjamin Biolay, Cali, Clara Luciani…), ou simplement de la chanson française (Ferré, Brel, Moustaki, Aznavour…). Ado, j’ai écouté du rap et parfois, pour mes élèves, j’en écoute encore un peu. Mais je suis une bille en musique contemporaine. Pour la musique classique, j’apprécie Chopin et Rachmaninov, mais ma culture n’est pas très étendue. J’étais très nul à la flûte au collège.
Tu es également auteur de plusieurs livres d’artiste, et ta poésie est riche en images, quasi picturale parfois. Quel est donc ton rapport aux arts plastiques ?
Vincent Calvet : Je dessine depuis l’enfance. J’aurais souhaité en faire mon métier, mais mon père voulait que je gagne ma vie, donc je suis devenu instit. J’ai commencé par la caricature. Je fréquentais le Festival de caricature de Saint-Estève, à côté de Perpignan. J’avais gagné un prix lors de ce festival avec une caricature de Coluche. Ensuite, je me suis beaucoup intéressé au dessin de presse. Je lisais Charlie Hebdo et le Canard enchaîné. Au lycée, nous faisions un journal où je caricaturais des profs et je publiais des dessins de presse. J’ai laissé tomber le dessin de presse, mais il m’arrive encore de faire des caricatures pour amuser des amis. J’ai découvert ensuite la peinture, l’histoire de l’art, à travers la formidable collection Taschen. J’aimais me rendre à Paris pour voir des expos ou des musées. Je me suis mis à pratiquer le pastel sec ou le fusain à la fac. J’ai fait plusieurs expos à Perpignan ou dans l’Aveyron. J’ai laissé un peu de côté, mais je m’y suis remis récemment. Je devrais exposer l’an prochain dans une galerie à Ille-sur-Têt, à côté de Perpignan.
Mes pastels secs et fusains sont soit monochromes, soit en couleur. Je suis influencé par Matisse ou Chagall. Pour le trait, le dessin à proprement parler, je suis influencé par Modigliani ou Zadkine, et la perspective déformée des expressionnistes allemands (Kirchner surtout). Mes dessins sont très différents de ma poésie. Il n’y a pas de message, ni moral ni politique. Je cherche à atteindre une forme de beauté par l’harmonie chromatique ou par l’équilibre des lignes. C’est purement esthétique. Je fais surtout des nus, des Christs, des natures mortes. Pour moi, un beau tableau de nu, c’est un système de courbes et de contre-courbes. J’aime les couleurs franches et tranchées. Mes dessins sont figuratifs. L’art abstrait me semble une solution de facilité quand on ne sait pas dessiner.
À contre-courant de la tendance actuelle, tu rends longuement hommage à la Russie, à travers plusieurs poèmes. De même, tu as dirigé une anthologie en hommage à Gaza. Penses-tu que la poésie ait un message à transmettre ? Crois-tu en la littérature engagée ?
Vincent Calvet : Je ne crois pas que la poésie doive être forcément engagée, au sens de s’impliquer dans les luttes politiques au sein de la Cité. La poésie, c’est avant tout un engagement dans la langue, c’est une descente au fond de l’intime, en soi, dans le for intérieur, pour faire surgir quelque chose qui fait trace et qui est en soi subversif car bousculant les normes et les repères moraux qui nous tiennent sous leur joug, même dans nos démocraties libérales. Je suis à ce niveau-là d’accord avec ce qu’a pu dire ou écrire Bernard Noël. Le message de la poésie, c’est la poésie elle-même.
Mon éditeur Andréa Iacovella me le dit souvent. Le spectacle de la « poésie engagée » actuelle me fait peine. Le milieu de la poésie fantasme une « poésie de la résistance » qui a existé historiquement. Ils se prétendent des « poètes résistants », mais on ne voit pas trop exactement contre quoi ils résistent. Vous me direz : ils résistent contre le fascisme. Mais, si on peut identifier ce qu’a été historiquement le fascisme (nazisme allemand, franquisme espagnol, Italie fasciste, Pinochet, dictature des colonels en Grèce...), on ne voit pas trop à quoi cela peut correspondre aujourd’hui en France. Certains diront que c’est le RN… Moi je pense que cette poésie engagée est une poésie qui singe la poésie de la résistance, mais ne résiste pas du tout contre le fascisme tel qu’il existe réellement dans le monde actuel : le fascisme bancaire et la société de consommation (voir Pier Paolo Pasolini !).
Car, pour cela, il faudrait davantage de courage, ce qu’ils n’ont pas. Ils s’engagent entièrement pour des causes gagnées d’avance. Ils ne prennent aucun risque. Quel mérite y a-t-il à s’engager pour l’Ukraine alors que tout est fait pour que l’Ukraine soit désignée comme le Bien, alors que la Russie est désignée comme le Mal ? Y a-t-il un mérite à défendre l’Ukraine quand c’est la posture obligatoire en France et dans tout l’Occident ? Ces gens, ce sont des moutons qui vont dans le sens du vent. On leur montre où est le Bien, et ils obéissent. Réflexe pavlovien. Quel mérite à être engagé toujours du côté politiquement correct, là où il n’y a aucun risque ? Bruno Doucey est un spécialiste de ça, avec d’autres. C’est une manière de faire vendre les livres, de se situer dans le camp dominant, et de se faire inviter dans les festivals, à la radio ou à la télé. Tu crées ta page Facebook par exemple, titrée « Résister en poésie contre les méchants », et tu te feras bien voir du milieu poétique, des institutions, des libraires, des pouvoirs politiques, et tu pourras gratter peut-être quelques invitations ou quelques publications en livres ou anthologies. C’est ridicule.
Quand j’ai fait l’anthologie sur Gaza (Requiem pour Gaza, Color Gang, 2018), j’ai pris un réel risque. Le contexte en 2018, c’était celui d’une occultation par les médias du problème palestinien par la crainte d’être taxé d’antisémite. Aujourd’hui (les théoriciens du « nouvel antisémitisme » ont été très efficaces), si vous critiquez Israël, vous serez automatiquement taxés d’antisémitisme. C’est un moyen de faire taire les gens. Les gens s’autocensurent, car ils ont très peur de se voir étiquetés Cette dénomination est infamante, c’est un rayon paralysant, vous pouvez perdre votre travail, être banni des médias, devenir un paria social. Nous étions conscients du risque que nous prenions en faisant cette anthologie, mais nous l’avons faite tout de même. Avec le patronage moral d’Adonis, que je remercie (il a écrit la préface). Bruno Doucey, qui est le spécialiste des causes sans danger, de toutes les causes politiquement correctes qui ne présentent aucun risque réel, ne fera jamais une anthologie en soutien aux Palestiniens. Il est trop conformiste et trouillard, et il sait très bien où est son intérêt économique.
Ta poésie est également limpide, parfaitement lisible, à l’opposé des textes expérimentaux actuels. Pourquoi ce choix ? Peut-on parler de poésie lyrique ?
Vincent Calvet : Oui, en effet, je ne suis pas un poète expérimental. Je ne me situe pas dans les avant-gardes telles qu’on peut les voir dans les revues ou les festivals, même si Six Solitudes est, je le pense, un livre novateur. Le problème, c’est que l’avant-garde est souvent dogmatique, et ça ne me va pas. Moi je n’ai pas envie de prendre le parti d’une école de pensée. Je n’ai pas de tribu. Comme je le disais, je prends tout, l’actuel comme le plus ancien, la poésie d’ici et celle d’ailleurs, et je veux rester ouvert à toutes les formes d’expression, qui sont également valables, quand elles sont de qualité. Je pense que pour faire du nouveau il faut puiser dans l’ancien. C’est une dialectique permanente entre tradition et renouveau. Serge Pey et Paul Sanda sont d’accord avec moi sur ce point. De toute façon, ces poètes des avant-gardes aujourd’hui ne font que répéter ce qui a déjà été fait au début du siècle précédent en France, en Russie ou aux USA, ou ce qui a été fait dans l’immédiat après-guerre, ou dans les années 1970. Souvent d’ailleurs, ils ne donnent pas leurs références, comme Frank Smith qui fait la même chose que Reznikoff mais sans jamais le signaler au spectateur ou au lecteur.
Si on prend l’exemple de la performance, Julien Blaine a été très novateur à son époque, et je lui rends hommage car c’est un ami et je considère que son nom restera dans l’Histoire, mais tous ces petits jeunes qui arrivent aujourd’hui et l’imitent ne font que radoter pitoyablement. On a aussi l’exemple dans le domaine du livre imprimé de cette flopée d’épigones de Bonnefoy ou de Jaccottet. Est-il encore original de reprendre le discours de Bonnefoy qui récuse le surréalisme, par exemple, comme le fait Cédric Le Penven ? J’ai envie de leur dire : « Réveillez-vous, Bonnefoy c’était nouveau dans les années 50 !... »
Tu es d’ailleurs professeur des écoles. Tu écris pour la jeunesse ? Penses-tu que la poésie se doive d’être accessible ? Que penses-tu de la fameuse phrase de Lautréamont : « La poésie doit être faite par tous. Non par un » ?
Vincent Calvet : Sur ce sujet, il y a le point de vue de Lautréamont repris par les surréalistes, cette idée que la poésie doit être faite par tous, et à l’autre opposé le point de vue extrêmement élitiste de Mallarmé. Sans tomber dans l’élitisme extrême, il ne faut pas tomber non plus dans la démagogie. C’est très à la mode de dire que tout le monde peut écrire, mais je ne crois pas que ce soit vrai. Il faut déjà en avoir les capacités. Ensuite il faut avoir du talent. Ensuite il faut être inspiré. Je prends mes distances avec la notion de « génie » chez Hugo, mais il ne faut pas non plus dire que n’importe quel gugusse peut devenir poète. D’ailleurs le milieu de la poésie est encombré de faux poètes, de mauvais poètes, que vous retrouverez dans les scènes ouvertes et les soirées slam, et qui finiront par s’autoéditer.
Pour écrire de la poésie, il faut se donner la peine de lire, lire beaucoup et de façon très large, et travailler son écriture en profondeur plutôt que cultiver l’image et la posture (je pense à la comédie narcissique de Facebook où chacun cherche son quart d’heure de célébrité…), et puis ensuite il y aura des élus et c’est comme ça. Après c’est une question de rencontres, de volonté, de persévérance sur le long terme. Pour ce qui est de la pédagogie de la poésie à l’école, l’idée n’est pas du tout d’en faire tous des poètes, mais de les aider à entrer dans l’écriture, à dépasser un blocage dans le langage. Il faut faire comme si tous étaient poètes, évidemment, car je ne pense pas que le discours élitiste ou même seulement réaliste puisse convenir pour des élèves en difficulté (on se doit de les encourager) si on veut les amener à s’exprimer par écrit et surtout à oser montrer aux autres leurs productions.
Tu me poses la question de la poésie jeunesse. J’ai publié L’enfant bleu, au « Port a jauni », en 2019. Un autre recueil est en préparation à la Rumeur Libre. La poésie jeunesse est un exercice particulier, spécifique. En cela, je suis coaché par mon ami David Dumortier. Un bon recueil jeunesse doit être écrit dans un langage accessible aux tranches d’âge concernées (un langage simple, à l’opposé de la langue de Mallarmé par exemple) tout en maintenant une certaine exigence dans le choix des mots. C’est un savant dosage. Le texte doit répondre à des critères très précis, tout en évitant la platitude. Finalement, j’ai trouvé que c’était un exercice plus difficile que la poésie pour adultes où on se trouve plus libre. Si vous voulez savoir ce qu’est un bon recueil de poésie jeunesse, lisez tout David Dumortier qui est le meilleur dans ce créneau en France !
À ce propos, l’hermétisme qu’on prête à la poésie contemporaine explique-t-il la désaffection du public ?
Vincent Calvet : C’est une des explications, mais ce n’est pas la seule. Comme autre facteur explicatif, on peut aussi souligner la quasi-inexistence dans les médias de la poésie. Je pense avec Julien Blaine que si on parlait juste un peu plus de poésie à la télé ou à la radio, les lecteurs suivraient, il y aurait davantage de ventes. La poésie souffre de son invisibilité médiatique. Il y a une autre raison qui tient à la culture scolaire. Les choses sont en train d’évoluer, mais pendant longtemps l’institution scolaire a donné une image trop désuète de la poésie, sacralisant les grands textes, ce qui peut créer un complexe définitif, rendant la poésie rébarbative par le recours à une explication trop technique.
Jean-Pierre Siméon et Bruno Doucey ont dit des choses intéressantes sur les défauts de l’enseignement de la poésie à l’école, j’invite le lecteur de cet entretien à s’y reporter. Dans ton livre sur la poésie contemporaine en bibliothèques, tu évoques le rôle joué de plus en plus par les médiathèques pour diffuser le genre. Je pense aussi que c’est en train de changer, lentement mais sûrement, à l’école (mais davantage dans le primaire que dans le secondaire). Non, je n’estime pas que l’hermétisme de certains textes explique le désamour du public. Car, après tout, il y a de tout en poésie, il y en a pour tous les goûts dans le paysage de la poésie contemporaine, chacun peut y trouver son compte. Il n’y a pas que de la poésie illisible comme celle de Denis Roche. Évidemment, si tu veux initier un jeune ou un adulte à la poésie, il ne faut pas lui donner en priorité du Denis Roche.
La Nature est valorisée dans ta poésie, par opposition au monde des hommes, à la technique. Peut-on parler de panthéisme ? Penses-tu que nous soyons excessivement éloignés de la Nature ?
Vincent Calvet : J’ai grandi en ville mais ensuite, quand j’ai débuté comme enseignant. J’ai ainsi passé dix ans dans le rural profond. En 2012, quand je suis revenu à Toulouse, je me suis installé dans un village, à Baziège. J’ai pris goût au mode de vie rural. J’ai fait beaucoup de randonnées étant enfant et adolescent (et je continue à en faire), donc je suis très sensible au spectacle de la nature, que ce soit à la montagne ou à la campagne. Étant de Perpignan, j’ai grandi avec la proximité de la mer, et j’aime tous les lieux où il y a la mer, comme Sète, ou la Grèce. Dans mes poèmes, il est vrai que la ville est plutôt évoquée de façon négative (voir De cendres et d’écume, une ville, La Rumeur Libre, 2016).
La grande ville, cœur du capitalisme mondialisé, pour moi, c’est le Mal, la violence, l’inauthentique, le mépris, la valeur argent, le wokisme. J’y oppose la Grande Nature, et l’océan occupe une place privilégiée, même si je peux également évoquer la montagne ou la campagne. Je défends de plus en plus les valeurs d’une certaine France périphérique évoquée par Christophe Guilluy, et j’ai soutenu le mouvement des gilets jaunes qui venait du cœur des territoires perdus. Cependant, cela ne fait pas de moi un poète écologiste. Je suis très distancié avec l’écologisme politique, et la question du réchauffement climatique n’est pas ma préoccupation principale. Je ne pense pas non plus être panthéiste. J’ai lu Spinoza, bien sûr, et même si j’apprécie sa philosophie, je ne me définirais pas comme ça. Je suis un chrétien catholique culturel à tendances gnostiques. Je laisse le panthéisme aux écolos et aux féministes New-Age.
Tu parais souvent sceptique à l’égard des mots, apparemment impuissants. Et on sent chez toi un désir de silence. Crois-tu la poésie vaine ? T’arrive-t-il de douter de la littérature même ?
Vincent Calvet : Il m’arrive bien sûr de douter de la littérature, mais je ne suis bon qu’à ça : écrire des poèmes. Donc je vais continuer. Je suis une machine à écrire, pour paraphraser Georges Ribbemont-Dessaignes. Je ne crois pas que la poésie « sauvera le monde », pour reprendre le titre d’un texte célèbre de Jean-Pierre Siméon. Je pense qu’elle pourra sauver des individus, c’est certain, des individualités singulières. Mais elle ne sauvera pas le monde. Est-ce qu’un livre protège des balles ou des canons ? Va-t-on sauver la planète avec des livres de poésie ? Non. Il faut rester modeste. La poésie n’est pas vaine non plus. D’abord elle existe, pour contredire Denis Roche. Ensuite, elle peut aller dans certains cas dans le bon sens, pour certains individus. Dans le sens de la pulsion de vie. Si davantage de gens lisaient de la poésie ou en écrivaient, peut-être que nous pourrions espérer un monde meilleur, espérer de « changer la vie ». Toutefois, cela n’arrivera pas. La poésie fait du bien au monde, c’est sûr, elle n’ajoute pas du Mal au Mal, mais les déterminismes sont trop puissants, nous n’échapperons pas collectivement au désastre final.
La poésie n’est pas vaine, son potentiel existe, mais il reste limité. Nul désir de silence chez moi. Je préfère écrire. Je ne suis pas tenté par le suicide ou la disparition. Au silence, qui est une défaite, je préfère le chant des oiseaux, même si cela ne changera pas fondamentalement le cours des choses. Ceci dit, je respecte le choix des poètes qui ont cessé d’écrire ou se sont suicidés. Rimbaud et son Harrar. Le départ de Celan ou de Thierry Metz. Mais, moi, cela ne me tente pas, à vrai dire. Je crois que les mots sont capables du pire comme du meilleur. L’origine du mal, ce sont aussi des mots. On peut faire beaucoup de mal avec des mots, on peut rendre l’autre fou. La Shoah, c’était aussi une question de mots, qui a rendu la tragédie possible. Le travail du poète est un travail d’épuration des mots. Il faut les débarrasser du mal qui est en eux, le poids de glaise qui les rend lourds, et peut nous noyer dans le marécage et la fange.
La poésie est un travail d’ascèse, vers la lumière. Il s’agit de quitter la prison de la matière pour rejoindre le Ciel. Et les mots peuvent aussi nous y aider. C’est mon côté gnostique. Les mots, c’est à la fois le mal et le remède. Les mots sont une aide pour nous élever spirituellement, mais ils ne sont pas indispensables. Il y a des mystiques, des gens religieux, qui parviennent à s’élever sans les mots. Les mots, finalement, c’est peu de choses. C’est un outil. La Nature est bien plus profonde et complexe que les mots. Nous ne disposons finalement que de 26 lettres aux possibilités combinatoires limitées. La Nature, elle, c’est le complexe, l’illimité, elle est riche de 11 dimensions (et il existe en plus des dimensions enroulées). La physique quantique a ouvert énormément le champ des possibles pour la Nature. On a en maintenant une vision autrement plus complexe de la réalité du Monde. Les mots sont en deçà de la Nature, du Cosmos, du tout. C’est juste un brin de paille dans l’étable.
Paru le 01/08/2022
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1 Commentaire
Pierre Kobel
11/01/2023 à 23:22
Bonjour monsieur Calvet, j’ai lu avec intérêt votre entretien avec Étienne Ruhaud et je partage un certain nombre de vos points de vue. J’ai ainsi sursauté de ce que vous dites du travail de Bruno Doucey. Que je sois clair, je ne veux pas me faire le porte-flingue de Bruno, il sait très bien se défendre tout seul, mais il se trouve que je suis un de ses proches amis et que j’accompagne activement son aventure éditoriale depuis la création de sa maison. Je trouve que c’est méconnaître beaucoup sa ligne éditoriale et son catalogue que d’affirmer péremptoirement qu’il ne prend aucun risque dans ses engagements et ne pense qu’à ses intérêts commerciaux. D’une part je ne vois pas quel mal, il y a à toujours défendre des causes déjà connues. La démocratie pour ne citer qu’elle, serait encore plus en danger si de par le monde, des artistes, des intellectuels ne prenaient pas sans arrêt fait et cause pour la défendre contre les menaces dictatoriales. Par ailleurs, les éditions Bruno Doucey n’ont jamais cessé depuis leur création de s’engager ouvertement sur tous les fronts, je pense entre autres à cette collection Poés’idéal à laquelle j’ai plusieurs fois contribué, mais aussi à bien des recueils qui disent avec force le monde tel que nous le souhaitons pour le meilleur de tous, dans l’échange, le respect d’autrui et la découverte des différences. Reste qu’il est tout à fait respectable pour ceux qui le préfèrent de se retirer dans la thébaïde de leur propre poésie et des doutes qu’ils cultivent. Enfin, pour ce que vous reprochez à Bruno, je ne comprends pas ce procès d’en faire un commerçant. Oui la poésie est aussi un commerce quand elle est sujette aux contraintes de l’édition. Le papier coûte cher, de plus en plus, le travail des collaborateurs se rémunère et s’il est encore trop souvent convenu par certains acteurs de la petite édition que les auteurs peuvent se passer de droits d’auteur, je vous informe que ceux publiés par Bruno en touchent. Vous déplorez l’invisibilité médiatique de la poésie. Là aussi la communication a un prix et c’est en vendant des livres, non pas comme de simples produits, mais comme des œuvres uniques à chaque parution, donc en allant les porter sur les plateaux, les stands des marchés, les librairies et les médiathèques que les livres deviennent visibles et trouvent du répondant dans le public. Encore s’agit-il de faire le job et non pas d’attendre que les choses se fassent toute seule comme c’est malheureusement le cas de bien des petits éditeurs et des poètes eux-mêmes.
Croyez bien que je ne cherche aucunement à polémiquer. Ma réaction tient à l’amitié et à l’attachement que j’ai pour une aventure à laquelle j’adhère pleinement. Pour le reste, je partage votre intérêt pour bien des noms que vous citez ainsi que votre point de vue sur les manques de l’école à l’égard de la poésie puisque j’ai exercé durant quarante ans le même métier que vous, sous l’intitulé d’instituteur, un titre que je préfère de très loin à celui de professeur des écoles qui m’a toujours paru vaniteux, n’en déplaise à l’administration qui s’est défaussée ainsi, une fois de plus, d’une véritable revalorisation de la profession.
Pour être honnête avec vous, il me reste à découvrir vos œuvres, ce que je ne manquerai pas de faire avec attention.
Cordialement,
Pierre Kobel