Comediedulivre2022 – Au terme de trois mois d’une résidence à Lattes (au sud de Montpellier), Annie Ferret a le sentiment de quitter « ma maison adoptive ». Entrée ce 6 mars, dans l’enceinte du Musée Lattara, elle aura traversé cette expérience avec une passion communicative. « Je suis sortie de mes sellettes, le temps s’est suspendu pour moi, avec une magie dont je ne reviens encore pas », nous raconte-t-elle. Car, quand elle n’écrit pas, Annie Ferret pose. Littéralement, et dans tous les sens. Parfois, en tous cas.
La candidature est envoyée, hasardeuse. « Avec Sophie Ekoué, j’avais pris part à une résidence au Togo, pays avec lequel j’entretiens des rapports très forts. Mais Lattes, c’est véritablement ma première expérience. Et cela tombait bien : je voulais poser moins, cette pause est intervenue parfaitement », indique la romancière.
Trois mois d’écriture, donc, et une intervention sollicitée par le prix Goncourt Mohamed Mbougar Sarr, dans le cadre des cartes blanches de la Comédie du livre. « J’écris dès que j’ai un interstice, et sinon, je lis. Ne pas avoir à poser 50 heures dans la semaine, n’avoir qu’à réfléchir au texte, voici ce que la résidence m’a apporté. C'est merveilleux. »
Le projet d’écriture s’articule autour d’un roman en cours de construction, au titre provisoire de Ethique du vivant, où se croisent des questions autour de la bioéthique. « Durant le confinement, certains sont tombés dans Netflix, moi, c’est la bioéthique : je me suis acheté une tablette, qui m’a permis de donner des cours de français, suivre des leçons de yoga, et trois heures par jour j’écoutais des conférences sur le sujet. »
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L’histoire originelle est celle d’une femme qui accompagne son père mourant d’un cancer dans un gîte en Bretagne, durant 15 jours. Toute sa vie se met alors entre parenthèses : le séjour durera plusieurs mois, le père ne voulant plus repartir.
« Ces réflexions autour de la bioéthique m’ont nourrie de perspectives qui ont fini par enrichir le projet littéraire : des personnages qui gravitent autour de ce binôme apportent à leur tour d’autres témoignages. » Ainsi, les amis ouvriers, malades de l’amiante, qui viennent célébrer l’anniversaire du père. Ou la stagiaire de la jeune femme — elle travaille comme relieuse et restauratrice au cabinet de livres anciens de la Sorbonne.
« Elle est gonflée, parce qu’en s’attardant avec son père, elle plante sa stagiaire, sur un chantier en cours, concernant une Bible Lefèvre d’Étaples du XVIe siècle. L’ouvrage doit servir de pièce centrale dans une exposition à monter. Or, cette stagiaire a elle-même un cousin dans un état végétatif chronique », reprend Annie Ferret.
En parallèle, la voisine et logeuse possède des juments, « dont, en bons Parisiens, ni la fille ni le père n’ont identifié qu’elles étaient pleines. S’enclenche alors une nouvelle échéance : celle de la naissance, au printemps. Il faudra vivre jusque là… »
Entre les visites du musée, les conférences scolaires où elle se glisse et la visite privée du site, Annie Ferret a vécu trois mois intenses. « J’ai même obtenu de la directrice l’autorisation d’organiser une lecture dans le musée ce qui n’était absolument pas prévu. » En parallèle, l’accueil dans les médiathèques va à l’amble : spontanée, curieuse, enjouée, Annie Ferret invite, accueille, autant qu’elle est invitée et accueillie.
Et cette coupure de stricte écriture n’y est pas étrangère : « Voilà 26 ans que je suis modèle professionnel. Si j’ai la chance de pouvoir refuser des séances, cette résidence a introduit un changement fondamental dans ma vie : j’écris tout le temps, ce n’est donc pas que j’ai écrit plus. Mais je pouvais tout arrêter pour aller marche le long du Méjean, et regarder l’eau du lac. »
Une tranquillité d’esprit qui se savoure, chaque seconde. « Mon rythme est lié à la littérature : la pose est une passion, que je pourrais arrêter demain. » En outre, ce qui l'amuse, sur ses sellettes, « c’est que les personnes venues pour peindre, sculpter en oublient que l’on a soi aussi des yeux et des oreilles. Et que je les observe probablement plus encore qu’ils ne le font. Être romancière, dans ces circonstances, c’est du bonheur », s’amuse-t-elle.
D’ailleurs, elle en tira un recueil de nouvelles, Sur la sellette, publié avant son premier roman, Les hyènes, chez Grasset.
Et de revenir sur cette sellette, terme emprunté au vocabulaire juridique, l’estrade où le prévenu était placé. « La sellette de pose, originellement, est celle du sculpteur : on y pose la glaise, pour qu’il puisse travaille sur cette table haute, qui tourne, le tout debout. » Dans le cas du modèle vivant, et à notre époque, la sellette n’est plus forcément ce meuble en matériaux noble, massif — et elle change, suivant les ateliers du soir, les séances loisirs, les grandes écoles ou les prépas.
Seule la résistance du corps ne change pas : « On peut faire des séances de trois heures, en moyenne, mais il arrive aussi que l’on en fasse plusieurs dans la journée. Les sujets, donc les poses, varient suivant les structures, mais le corps a une mémoire : quand on a fait une session de 45 minutes, qui finit dans une certaine douleur, malgré un temps d’arrêt, la capacité de résistance s’épuise. Le corps se souvient de ce qui va lui arriver, et cède plus rapidement. »
En attendant, la romancière puise, pour ses derniers jours, dans la région des ressources nouvelles et inspirantes.
DOSSIER : Montpellier : de la culture en plein air, avec la Comédie du Livre
Ndlr : la résidence de création littéraire est organisée par Montpellier Méditerranée Métropole, avec le soutien du Centre national du livre et de la Région Occitanie.
Crédits photo : Mohamed Mbougar Sarr et Annie Ferret - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Montpellier : de la culture en plein air, avec la Comédie du Livre
Paru le 10/03/2021
222 pages
Grasset & Fasquelle
19,00 €
Paru le 01/03/2015
146 pages
Editions L'Harmattan
15,50 €
Paru le 01/06/2013
178 pages
Editions L'Harmattan
14,00 €
Paru le 01/04/2014
158 pages
Editions L'Harmattan
13,50 €
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