UkraineUnderAttack – Les situations de crise, à l'instar de celle du coronavirus, parce qu'elles compliquent le relais d'une information fiable et précise, sont propices au développement de la désinformation. Les guerres y ajoutent la propagande, ce qui complique encore un peu plus l'équation. Dans le contexte du conflit ukrainien, les bibliothèques assument une responsabilité particulière, celle de garantir l'accès à une information fiable...
Le 14/03/2022 à 11:38 par Antoine Oury
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Publié le :
14/03/2022 à 11:38
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Quelques jours après l'ouverture des hostilités sur le sol ukrainien par la Russie, le Bureau européen des associations de bibliothèques, de l'information et de la documentation (Eblida), NAPLE Forum (association représentant les bibliothèques nationales européennes) et Public Libraries 2030 (initiative de défense et promotion des bibliothèques en Europe) appelaient les bibliothèques d'Europe à lutter contre la désinformation, pour fournir des éléments fiables sur le conflit.
Les bibliothécaires français ont rapidement souscrit à cet appel, indiquant qu'il leur était ainsi possible de « soutenir avec nos outils et à notre échelle la liberté et la paix ».
L'interassociation (association des bibliothécaires de France, association des bibliothécaires départementaux, association des directeurs de bibliothèques de grandes villes, association des directeurs de bibliothèques universitaires, association des directeurs de centres régionaux de formation aux carrières de bibliothèques) a souhaité, à l'initiative du Centre Régional de Formation aux Carrières des Bibliothèques (CRFCB) d'Aix Marseille, rappeler quelques points pratiques aux professionnels désireux de participer.
À cette fin, un événement en ligne a réuni Olivier Guillemain, cofondateur et directeur de l'association Entre les lignes, et Pauline Croquet, journaliste au Monde, rubrique Pixels, pour évoquer l'information et la désinformation en temps de guerre, aux côtés de Véronique Palanché, directrice du CRFCB d'Aix Marseille.
Autant commencer par les bases : l'association Entre les lignes, créée en 2010, rassemble 230 journalistes de l'AFP et du groupe Le Monde, afin de former et d'équiper les jeunes pour éviter les pièges de la désinformation. Ancien journaliste de l'agence de presse Reuters, Olivier Guillemain a rappelé quelques bons réflexes à avoir, face à une information.
« La première chose à faire, c'est d'identifier la source de cet article : qui me parle ? Est-ce que je peux lui faire confiance ? Sur les réseaux sociaux, n'hésitez pas à regarder les autres publications de cette personne, pour évaluer sa crédibilité. Jeter un œil sur les commentaires peut aussi fournir des informations : il est probable que quelqu'un, un citoyen ou un journaliste, aura déjà signalé la fausse information, en l'occurrence », indique Guillemain.
Cette définition de l'identité de la source sera complétée par d'autres questions : s'agit-il d'un média, d'un dirigeant politique, économique, ou syndical ? Est-ce une personne réelle, à l'identité déclarée, ou une source anonyme ? Sur le plan de la fiabilité, plusieurs outils d'évaluation existent, comme Decodex, créé et géré par Le Monde, ou, à l'international, NewsGuard.
Une simple recherche sur Google peut aussi être salutaire : quelques mots clefs de l'article, et il est possible que des résultats de « fact checking » ou de « debunking » apparaissent. Autrement dit, des journalistes se sont sans doute déjà penchés sur la question, surtout si l'information relayée est « spectaculaire ». De la même manière, un moteur de recherche permettant des requêtes par les images permettra de « vérifier » la crédibilité d'une illustration.
« C'est un grand classique des fausses informations et des théories du complot », souligne Olivier Guillemain, « puisque le cerveau stimulé par une émotion, grâce à une image un peu sensationnelle, sera beaucoup plus réceptif aux informations délivrées ensuite. Quand une image “choc” est utilisée, un gyrophare doit s'allumer dans les têtes. » De plus, tous les détails devront être mesurés : dates, inscriptions sur la photographie, éléments de contexte, comme les conditions climatiques par exemple...
Doute et variété des sources restent les meilleures clés pour démasquer la désinformation, en se rappelant que l'infox n'est jamais dénuée d'intention : la volonté de nuire motive sa publication. Et le doute ne doit pas s'apparenter au « complotisme », prévient Olivier Guillemain, « qui est un scepticisme dogmatique, où la confiance n'est plus possible, alors que notre société entière repose sur celle-ci ».
Si le risque de la désinformation existe en temps de paix, il se renforce en temps de guerre. L'information elle-même, d'une part, est fragilisée, « plus difficile à récolter : on n'est souvent que d'un côté du front, et pas de l'autre. Les chiffres que l'on communique aux journalistes sont le plus souvent truqués », rappelle Olivier Guillemain. « Pour le journaliste, le travail en temps de guerre est celui de l'instantané, de l'instant T, à l'endroit X. »
Aussi le travail sur-le-champ de bataille est-il assez frustrant pour les journalistes, attachés à l'information fiable, la plus juste possible : les historiens, qui interviendront a posteriori, seront à ce titre bien mieux équipés pour faire la part des choses...
En dehors de ces conditions de travail particulières, les médias en temps de guerre sont soumis à des pressions extérieures plus fortes encore : « L'information est une préoccupation de tous les dirigeants, pendant les guerres : les médias sont manipulés, et même complices, parfois. On se souviendra que, pendant les guerres mondiales, les journaux diffusaient de fausses informations volontairement, pour ne pas saper le moral des troupes. » D'une manière générale, la guerre est un moment « où l'on censure, où l'on menace ».
La propagande russe s'est récemment exprimée avec force, à l'occasion de l'intervention du ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, devant des délégations de l'Organisation des Nations Unies : le boycott de ces dernières, qui a conduit le responsable russe à s'exprimer devant une salle pratiquement déserte, a été transformé par les médias russes, qui ont ajouté des images d'une assemblée acquiesçant aux propos du ministre.
Cette propagande se trouve des deux côtés du conflit, tient à préciser Olivier Guillemain : « Des images de prisonniers russes ont ainsi été diffusées par les Ukrainiens, alors que la diffusion d'images de prisonniers est interdite par la convention de Genève. »
L'interdiction des chaines d'information RT et Sputnik, accusées d'être au service du Kremlin par l'Union européenne, participe-t-elle à cette propagande, en limitant les informations relayées par « l'autre côté » ? Olivier Guillemain rappelle que la décision se fonde sur le droit, et non sur un préjugé ou une censure : « Ces médias devaient cesser d’émettre, car ils procédaient à la diffusion de fausses informations, ignoraient les bombardements, les morts des civils, ce qui a été apparenté à des formes de négationnisme et d’incitation à la haine et à la violence, voire à l'apologie de crime de guerre. »
Sur internet, où la diffusion est à la fois plus large et plus rapide, la guerre s'exprime aussi à travers différents canaux. Pauline Croquet, spécialiste des réseaux sociaux et des communautés en ligne, a ainsi observé, très rapidement après le lancement de l'invasion russe de l'Ukraine, « l'apparition de premières images, la multiplication de témoignages utilisant l'humour d'internet et les memes [images détournées, souvent issues de la pop culture, à des fins humoristiques] ».
« C'est un langage assez confus pour le néophyte, avec un humour de circonstance assez particulier. Ces images humoristiques sont rapidement devenues des outils de propagande, en détournant les photographies de Vladimir Poutine, d'habitude présenté dans une posture très masculinisée, ou en valorisant Volodymyr Zelensky, à l'inverse, pour le montrer comme un président sur le terrain, très engagé », explique-t-elle.
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Les réseaux sociaux et autres applications de messagerie ont été utilisés, bien entendu, par les Ukrainiens et les Russes. Et ces derniers ont rapidement été privés de la relative liberté trouvée sur ces plateformes, « si bien que l'on parle de rideau de fer numérique en Russie ». Certaines censures proviennent du gouvernement russe, comme celle de Facebook, mais TikTok, application de karaoké chinoise, a adopté une posture plus inquiétante.
« TikTok a été détourné de son usage premier, pour documenter la guerre, si bien que les administrateurs de l'application ont adopté des mesures qui les font passer pour plus royalistes que le roi. Ainsi, le compte de la BBC sur l'application a été bloqué, quand la version russe du site de la BBC, elle, était toujours accessible en Russie », indique Pauline Croquet.
D'autres limitations ont été ajoutées par la plateforme, comme l'impossibilité, pour les utilisateurs russes, d'accéder à des contenus postés par des comptes localisés à l'étranger : des dissidents russes se servaient de l'application pour informer les citoyens des réalités de la guerre en Ukraine. Des influenceurs russes, particulièrement suivis sur l'application, ont aussi été « utilisés » par la propagande, avec la lecture d'un texte de défense de l'invasion de l'Ukraine... « Autant dire qu'il est nécessaire de rappeler que des outils anodins a priori, conçus pour s'amuser, peuvent devenir des armes de propagande », insiste Pauline Croquet.
Photographie : manifestation contre l'invasion russe de l'Ukraine à Vancouver, le 26 février 2022 (illustration, GoToVan, CC BY 2.0)
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2 Commentaires
Aleph
14/03/2022 à 12:50
Vous ne savez pas de quoi vous parlez, alors que c'est votre coeur de métier. Vanter Newsguard et le Decodex du Monde vous discrédite et vous disqualifie totalement. dire que la guerre ajoute de la propagande par rapport à la confusion observée pendant la pandémie est ahurissant quand on a lu les communiqués officiels depuis deux ans.
Enfin, les Bibs n'ont pas spécialement pour rôle de donner des informations fiables sur les événements en cours, à chaud. Elles peuvent tout au mieux s'efforcer de réunir des corpus de connaissances plus générales bien établies qui permettent ensuite de lire les nouvelles avec plus ou moins de risques d'être trompé. Non seulement elles n'ont pas les moyens d'investigation pour établir les faits rapportés, mais prétendre estampiller "vraies" des informations est présomptueux et donne des assurances illusoires. Avec ça, c'est aller vers une "vérité officielle" bizarre. Ce n'est pas aux services publics de critiquer la presse ou les citoyens, car il est bien plus nécessaire que la presse de critique les services publics.
Elend
17/02/2023 à 04:56
Ok ... et vous êtes qui, vous ?