Il n’aura pas fallu attendre bien longtemps pour découvrir le début du programme éditorial de Mourad Boudjellal. Créateur d’une maison BD au sein du groupe Editis, il a sollicité son frère, pour faire paraître un exercice de politique fiction mettant en scène (et attention, ça va grincer des dents), l’accès d’Éric Zemmour à la présidence. Le tout publié chez Mourad Maurice Editions, nom de la collection – la maison garde encore son nom secret. Voici donc ElyZée.
Le 15/02/2022 à 16:50 par Nicolas Gary
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15/02/2022 à 16:50
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Le Z ne sera désormais plus celui de Zorro, mais bien de Zemmour. Sept ans après la publication aux Arènes de La Présidente — même topo, mais avec Marine Le Pen — François Durpaire et Farid Boudjellal reprennent donc du service. Et avec 144.594 exemplaires vendus (données : Edistat), difficile de dire que l’expérience fut un échec. Voici donc pour inaugurer la nouvelle maison de Mourad Boudjellal, la sortie de ElyZée, qui repose sur ce principe : « Utopie pour certains, dystopie pour d’autres : et si Éric Zemmour était élu Président de la République en 2022 ? »
Les coauteurs prévoient la publication ce 10 mars, et déjà la structure prend des précautions : « Farid Boudjellal, auteur engagé aux valeurs humanistes, et François Durpaire, universitaire et historien, dépeignent ce que pourrait être la société sous son ère présidentielle. » De quoi empêcher toute accusation de complaisance ou d’obédience bolloréenne ? C'est en tout cas l'idée.
Publier un pareil ouvrage chez Editis relève de la provocation, du pied de nez ou de la folie douce, entend-on dans l’industrie. Alors que le grand patron de Vivendi est à quelques jours de la passation de pouvoir à son fils, Yannick, son soutien à Éric Zemmour est devenu proverbial. Alors quid ?
ElyZée se présente véritablement comme une prospection, au même titre que l’était La Présidente. Laurent Beccaria, fondateur des Arènes (et désormais rapproché, avec L’Iconoclaste, d’Editis), explique à ActuaLitté que les auteurs « ne nous l’ont pas proposée ». L’idée viendrait directement de Mourad qui a demandé à son frère Farid de refaire le même coup éditorial qu’avec La Présidente. Et Laurent Beccaria d’ajouter : « Notre BD politique c’était l’année dernière sur Hanouna et Bolloré (ce qui n’était pas très loin) », le livre de Philippe Moreau Chevrolet et Morgan Navarro, Le Président. Était explorée la possibilité de voir le présentateur de C8 accéder aux plus hautes responsabilités.
Conclusion : 6393 exemplaires écoulés (donnée : Edistat).
De toute évidence, trop de mots clefs résonnent à travers cette BD pour ne pas susciter la méfiance — voire la défiance. Zemmour, présidence, Bolloré, Editis… tout cela, annoncé à la veille de l’audition de représentants de l’interprofession devant la Commission d’enquête du Sénat. En effet, Antoine Gallimard, en son nom propre, Christophe Hardy, président de la SGDL et Guillaume Husson, secrétaire général du SLF interviendront dans le cadre de l’enquête sur la concentration des médias. D’ailleurs, le 21 février, ce sera au tour de représentants de Hachette et d’Editis.
« L’envie de Mourad Boudjellal était de monter maison, sans avoir à gérer les comptes d'exploitation ni piloter une entreprise », nous indique Editis. En somme, « faire comme il a envie ». Mourad Maurice éditions ouvre la maison avec une première collection – et sans verser dans les ouvrages politiques, la possibilité de placer d’autres titres dans cet ensemble.
Mais alors ? Une désinvolture ? De l’inconscience ? De l’opportunisme ? Un peu de tout cela, et probablement d’autres choses encore, expliquent les personnes qui connaissent l’éditeur. « Mourad en fait, peu ou prou, à sa tête. » Et tant pis pour les conséquences ? Ce qui préoccupe par ailleurs, avec la constitution de cette nouvelle maison, c’est la question des anciens catalogues et des auteurs. Guy Delcourt, sollicité par ActuaLitté — et propriétaire de Soleil, l’ancienne maison de Mourad Boudjellal, depuis 2011 — n’était pas disponible pour commenter.
D’autant que les premières rumeurs indiqueraient une arrivée prochaine de Jean-Luc Istin. Le créateur de la série Elfes — actuellement chez Soleil — serait attendu dans la nouvelle structure de Boudjellal. « Istin a un vrai talent pour organiser des projets et monter des concepts, en réunissant dessinateurs et scénaristes », nous indique un proche.
Ses différents albums se sont d’ailleurs vendus à plus de 2 millions d’exemplaires – prenant en compte les autres séries, Nains, Orcs et Gobelins, Mages.
— Mourad Boudjellal (@mouradhfc) February 14, 2022
ElyZée ne se borne toutefois pas au strict parcours de Mr Z. Il raconte en parallèle l’histoire de Saïda, migrante qui se rend en France, pour demander de l’aide à celui qu'elle tient pour son cousin Zemmour.
Comme l’a attesté un ministre du gouvernement Macron « Zemmour a-t-il réellement toutes les prédispositions pour devenir un dictateur ? », ou à l’inverse, proposera-t-il un renouveau politique profitable à la France ? Élyzée vous invite à faire vos prospections sur l’avenir.
– Résumé de ElyZée par l’éditeur
La dernière rencontre entre Boudjellal et Zemmour date du 4 octobre 2021, sur le plateau des Grandes gueules de RMC. « Je n’ai rien contre vous, mais je n’aime pas vos idées », assénait l'actuel éditeur.
Alors qu'imaginer ? « Cette BD, c’est du gagnant/gagnant », estime un ancien dessinateur Soleil. « D’abord, Mourad fait sa grande entrée en affirmant son indépendance au sein du groupe. Ensuite, on peut sans peine imaginer que le titre a été validé dans les hautes sphères, et abonde dans le sens du non-interventionnisme de Vincent Bolloré. »
Ensuite, à la lecture de la BD, difficile de ne pas comprendre le message : « On n'est Français que si̇ l'on a des parents français. Point barre ! », font dire les coauteurs à Éric Zemmour. Et le reste est à l’aune : une escalade progressive dans la restriction des droits, des libertés, pour qui ne rentre pas dans les cases de la francitude.
Point amusant, ils vont d’ailleurs jusqu’à composer ce gouvernement fictif, avec André Bercoff en ministre de la Culture française. Et Christine Boutin ministre de la Famille française ou encore Marion Maréchal-Le Pen à l’Instruction publique. Enfin, amusant…
Bref, la politique fiction tourne à plein régime, exploitant les projets et déclarations de Mr Z., pour leur donner vie dans cette BD. Certes, rien sur la condamnation pour incitation ou provocation à la haine ni les différentes plaintes. Mais le portrait n’a pas besoin d’être noirci : le futur tel que les auteurs le dessinent est suffisamment sombre – et limpide sur ce que l'on peut attendre, ou redouter.
Contacté par ActuaLitté, Mourad Boudjellal s’amuserait presque de tout ce tapage. « On m’a foutu la paix », lâche-t-il. « C’était un véritable challenge de parvenir à faire cet album chez eux. Et il n’a pas été censuré. En l’occurrence, je peux en témoigner, le non-interventionnisme de Vincent Bolloré, dans notre cas, c’est une réalité. »
Et de toute manière, l’éditeur était disposé à produire ce premier album ailleurs. « J’en suis moi-même étonné : seule la relecture juridique a conduit à supprimer certains éléments. Comme les visages de personnes sur la photo de classe de Zemmour enfant. Et avant tout pour s’éviter des procédures juridiques. »
Mais alors, Mr Z., qu’en pense l’éditeur ? « Pour moi, c’est un symbole : il a intellectualisé le racisme, sans plus voir des personnes, mais des races. Inacceptable. La seule race, elle est humaine, et histoire d’être plus réducteur encore, il juge à travers des nationalités. »
De son propre aveu, l’album n’est pas à charge, « en revanche, il est factuel. Les gens ne mesurent pas toujours le poids des mots qu’ils entendent, et leurs conséquences. Je me souviens, lors d’un débat avec Louis Aliot, je lui avais mis devant le nez que sa volonté de renvoyer des immigrés, cela signifiait 90 avions pleins dans le ciel de Paris chaque jour, d’après ses critères. »
ElyZée serait donc un plaidoyer sans parti pris, où les faits alignés parlent d’eux-mêmes. « Le point, c’est qu’Éric Zemmour développe une guerre des religions. Il parle des Français, mais on entend Chrétiens. » D’ailleurs, l’éditeur s’est offert une petite coquetterie : sur la couverture, on voit distinctement le prénom Mourad rayé, et remplacé par Maurice. « Évidemment : si Zemmour gagne, faudra changer de prénom », s’amuse-t-il. Et comme le candidat revendique les 500 signatures nécessaires pour entrer dans la campagne...
Sur l’arrivée d’Istin, l’éditeur ne fait pas de commentaires. Toutefois, il précise : « Je ne souhaite pas refaire ce que j’ai fait par le passé. Je prends un exemple : dans le rugby, j’ai tout gagné. Alors j’ai arrêté, pour ne pas recommencer le même parcours. La différence, avec l’édition, c’est que j’ai vingt ans de plus qu’au moment où j’en suis parti. Je vais tâcher de mettre cela à profit. »
En voici, dans tous les cas, les premières pages, proposées par l'éditeur :
crédits photos : manhhai, CC BY NC 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
6 Commentaires
Aleph
16/02/2022 à 10:11
Trouvez-vous normal de ne pas rappeler que l'éditeur Boudjellal a ouvert en 2017 à Bercy un meeting d'Emmanuel Macron ?
Par ailleurs, consacrer la moitié de l'article aux bruits de couloirs de l'édition révèle le climat de pressions insidieuses qui embarrassent les publications, et l'intolérance qui règne, et espère étouffer des projets. En vain pour cette fois-ci, mais demain ? et pour des ouvrages qui ne seraient pas à charge ?
Enfin, la brève analyse de l'ouvrage et de sa présentation par l'éditeur fait voir un "strawman" : "quand il dit Français, on entend Chrétiens". Cela en dit plus long sur celui qui entend que sur celui qui parlait.
Nicolas Gary - ActuaLitté
16/02/2022 à 10:18
Bonjour
Je ne trouve ni normal ni anormal de ne pas évoquer ce meeting, vous me le faites découvrir. Donc je vous en remercie.
Forbane
16/02/2022 à 12:57
Comme si ce n'était pas l'islamo-gauchisme qui avait remis la notion discutable de "race" sur le devant de la scène...
Qui parle des "hommes blancs" par exemple, qui seraient responsables de tous les malheurs sur terre au détriment des Noirs, tellement plus civilisés... Or en matière de barbarie, l'humanité est une et indivisible.
Zemmour a de nombreux défauts, mais certainement pas celui-ci.
Jenesuispasvotreintégrée
19/02/2022 à 14:29
pas sympa ! faut avertir avant de laisser un tel message !
être étouffée par une boulette de viande bio islamo-hallal !
Aradigme
16/02/2022 à 17:13
L'éditeur indique à propos du retour d'émigrés en situation irrégulière : "cela signifiait 90 avions pleins dans le ciel de Paris chaque jour". Pas nécessairement. Quand l'Etat algérien a renvoyé par centaines des immigrés illégaux au sud de sa frontière du Sahara, il les a transportés par bus, escortés de convois militaires...
AutoBusStop
19/02/2022 à 14:32
Vous avez un problème avec l'Algérie ?
Ou les bus ?
Ou les avions ?