ENTRETIEN – Directrice de la médiathèque municipale Till l'Espiègle, à Villeneuve d'Ascq, Hélène Brochard est également, depuis le 31 janvier dernier, la nouvelle présidente de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF) pour les trois prochaines années. Si la crise sanitaire a considérablement limité les établissements de lecture publique dans leurs missions, l'ABF entend bien poursuivre, plus que jamais, le travail de défense et de promotion qui est le sien.
Le 11/02/2022 à 09:53 par Antoine Oury
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Publié le :
11/02/2022 à 09:53
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ActuaLitté : Les bibliothécaires connaissent depuis 2020, et plus particulièrement encore depuis quelques mois, un quotidien professionnel compliqué, marqué par des restrictions, des contrôles et des limitations d'accès : quel regard portez-vous sur cette situation ?
Hélène Brochard : En tant que présidente de l'ABF, mais aussi responsable d’une médiathèque je ne peux que constater et saluer à quel point l’ensemble des collègues ont fait face et déployé toute l'énergie possible pour maintenir des services de qualité et rester un service ouvert à tous et à toutes.
Depuis mai 2020 les bibliothèques sont ouvertes, nous avons tout traversé : pas de places assises, la quarantaine des documents, moins d’animations, retour des places assises, couvre-feu et diminution d’horaires, premiers services avec les autres équipements culturels à être soumis au pass sanitaire en juillet. Les médiathèques sont toujours restées ouvertes, mais au prix d’une motivation et d’un investissement sans faille des collègues.
Nous avons essuyé des insultes et des choses très difficiles lors de la mise en place du pass, qui nous posait énormément de questions en termes d’éthique professionnelle. Les équipes continuent, mais elles sont fatiguées, on sait que nous avons perdu du public, que nous avions mis des années, pour certains, à faire venir. Il va falloir rapidement retrouver la liberté d’organisation et nous libérer des contraintes diverses pour initier à nouveau des actions de reconquête.
Le travail de l'association avec le ministère de la Culture semblait très suivi au début de la crise sanitaire : est-ce toujours le cas ? Les pouvoirs publics ont-ils saisi l'impact des règles sanitaires sur la fréquentation des bibliothèques ? À ce titre, l'ABF a-t-elle estimé cet impact ?
Hélène Brochard : Le travail avec les associations professionnelles et le Ministère se poursuit, nous sommes toujours en lien très étroit et communiquons régulièrement. Une enquête sur l’impact de la crise sur la fréquentation des bibliothèques est en cours, nous devrions en avoir les résultats d’ici quelques semaines. Le questionnaire a été élaboré en concertation avec les associations professionnelles, nous attendons les résultats avec impatience.
Vous prenez la présidence de l'ABF à quelques semaines d'une échéance politique importante : estimez-vous que la culture est suffisamment évoquée par les candidats ? Quels sont les points qui préoccupent particulièrement l'ABF, à l'approche de cette élection présidentielle ?
Hélène Brochard : Force est de constater que la Culture est loin d’être le sujet prioritaire des débats en cours et des programmes divers, mais nous sommes en début de campagne, dans un contexte forcément marqué par la crise sanitaire. Nous espérons que le sujet prendra la place qu’il mérite, car nous défendons l’idée que la culture, et notamment les bibliothèques, ont un rôle à jouer dans la formation, la construction des individus et dans un accès aux ressources qui permettent de se forger un esprit critique et des références culturelles communes.
La notion de droits culturels ne doit pas être perçue comme une fantaisie, mais bien comme un enjeu central de la démocratie.
En dehors de ces préoccupations sanitaires et politiques, quels sont les chantiers prioritaires de votre mandat de présidente ?
Hélène Brochard : Nous publierons prochainement notre feuille de route, bâtie en transition avec le bureau précédent. Il s’agira pour l’association de poursuivre l’accompagnement des collègues au mieux, d’être un acteur central du plaidoyer pour l’action et l’impact des bibliothèques. Il nous faudra également réussir à retrouver un équilibre financier, fragilisé par deux congrès annulés.
L’association se renouvelle, de nombreux et nombreuses collègues adhèrent, nous souhaitons valoriser la dynamique collective, les expertises de chacun.e, montrer l’association comme celle de l’ensemble de la profession et non comme une entité fonctionnant en vase clos de manière verticale, une révision des statuts et du règlement était prévue, nous espérons y parvenir sur ce mandat.
Vous évoquiez, au moment de votre prise de fonction, « un contexte politique, économique et social qui me semble de plus en plus inquiétant ». Quels éléments en particulier vous inquiètent ? Quelle est la marge d'action de l'ABF face à ces inquiétudes ?
Hélène Brochard : En lien avec votre question sur la place de la culture dans la campagne, nous voyons bien, depuis trois ans notamment, que les équipements culturels et leurs équipes ne font pas le poids. Il reste des incohérences qui nous interrogent, pourquoi fermer les équipements culturels et laisser les centres commerciaux ouverts, idem pour le pass… Les enjeux économiques n’expliquent pas tout et il y a bien des choix qui sont faits.
La crise sanitaire a révélé également des problématiques qui occupent les réflexions des bibliothécaires depuis de nombreuses années : l’inclusion numérique, les fake news, l’accès à l’information… Nous avons également à réfléchir notre métier et nos services sur le long terme, nous positionner dans des débats cruciaux comme la justice climatique et sociale, le développement durable…
Médiathèque Les 7 lieux, Bayeux
La liquidation de l'association BrailleNet a mis en avant les difficultés de l'édition adaptée et de la circulation des textes pour les publics empêchés. Comment l'ABF entend-elle alerter les pouvoirs publics et mobiliser de nouveaux moyens pour l'accès à la lecture pour tous ?
Hélène Brochard : La disparition de BrailleNet révèle à quel point l’édition adaptée repose sur un système économique fragile, soumis aux subventions et dans une situation de sous-financement chronique. Nous avons, bien sûr, une pensée pour les collègues bibliothécaires, salariés de l’association, qui sont dans l’expectative. La fermeture risque d’avoir des conséquences importantes pour les personnes en situation de handicap.
L'accueil des personnes en situation de handicap est une des priorités de l’ABF depuis de nombreuses années, portée plus particulièrement par la commission AccessibilitéS, nous assistons à un déficit constant de moyens pour l’accès à l’écrit des personnes en situation de handicap en France (services rendus dans les bibliothèques encore insuffisants, absence d’une agence nationale du livre adapté, les actions sont prises en charge par des associations ou par Platon, à la BnF, dont les moyens sont insuffisants).
Les collègues de la commission participent aux nombreux comités de pilotage sur ces questions, mais nous ne pouvons que constater la lenteur des travaux que nous déplorons. Nous intervenons par ailleurs très régulièrement lors de journées d’études ou de sessions de formation et, si le combat est encore à mener, nous ne pouvons que constater que les choses évoluent doucement, avec des collègues de plus en plus nombreux à être sensibilisés et vigilants à ces questions.
Hélène Brochard aux côtés d'Olwen Lesourd et Marie-Annick Marion, en 2014
Le Centre national du Livre a souhaité un quart d'heure de lecture le 10 mars prochain : les bibliothèques sont-elles associées à ce mouvement ? Ce type d'action est-il suffisant, selon vous, pour donner goût à la lecture ?
Hélène Brochard : C’est une opération de communication, que l’on peut saluer, parce que nous sommes dans un pays qui communique peu autour de la lecture et des lieux associés, en ce sens c’est une initiative qui permettra une médiatisation, mais on ne pourra, bien sûr, s’en satisfaire.
À titre personnel, au cours de mes différentes expériences, j’ai travaillé avec un grand nombre de publics « fâchés » avec la lecture, jeunes, adultes, personnes incarcérées… Chez la plupart d’entre eux, en prenant le temps de discuter, on réalise vite que le premier rapport conflictuel se situe durant la scolarité avec une relation à la lecture faite d’obligation et de contrainte, une forme « d’injonction à la lecture »…
Prendre 1/4h pour lire c’est une belle idée, mais savoir le prendre et savoir quoi lire durant ce 1/4h, c’est loin d’être simple…
Photographies : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
2 Commentaires
rez
11/02/2022 à 11:55
"Prendre 1/4h pour lire c’est une belle idée, mais savoir le prendre et savoir quoi lire durant ce 1/4h, c’est loin d’être simple…"
très beau et pas faux mais par la même, dire que la crise covid ou leur pass a fait chuter la fréquentation et limité les missions des bibs est assez malhonnête. Je salue les structures que bénévolement sont dans la rue faisant la promotion de la lecture pendant que ceux qui sont payés pour le faire restent dans son coin se plaindre.
SamSam
12/02/2022 à 09:37
Vous z'inquiétez pas, ça va biens se passer...