La ville de Liège doit son célèbre surnom au titre de ce roman historique publié en 1905 (Paris, Perrin) par le comte Henry Carton de Wiart, le premier d’une série de cinq livres constituant le « cycle de la Destinée nationale ». L’ambition de l’auteur, qui s’apprête à occuper d’importantes fonctions gouvernementales au seuil de la guerre, est de renforcer le sentiment national belge en illustrant littérairement des épisodes de vaillance, de courage et de résistance puisés dans l’Histoire. Par Louis Mores
Le 24/10/2021 à 16:00 par Les ensablés
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Publié le :
24/10/2021 à 16:00
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La Cité ardente, c’est la ville qui brûle, en 1468, en raison de son refus de se soumettre aux Bourguignons venus pour l’assujettir. C’est aussi et surtout un hommage rendu au caractère libre, enflammé et brave des valeureux liégeois.
L’œuvre d’Henry Carton de Wiart se divise en trois principaux genres poursuivis tout au long de sa carrière d’homme politique : les essais, les romans historiques et les souvenirs-mémoires. Ces derniers (Souvenirs littéraires et Souvenirs politiques, ainsi que les récits de voyage) livrent le témoignage érudit de celui qui fut notamment député catholique, ministre de la Justice durant la Première guerre mondiale, puis Premier ministre belge au début des années 1920.
Les romans sont des « aperçus d’histoire », des fresques réalistes d’époques reconstituéesavec le développement d’intrigues engageant des personnages types qui, dans leurs actions, réalisent les ambitions de démonstrations patriotiques de l’auteur.
Dans Les Vertus bourgeoises (1910), Henry Carton de Wiart choisit le moment de la révolution brabançonne quand, à la fin des années 1780, les Pays-Bas autrichiens se soulèvent contre l’autorité et la volonté centralisatrice de l’empereur Joseph II. Ce moment, qui constituerait la genèse de la Belgique de 1830, permet à l’auteur d’illustrer sa vision du nationalisme belge. Dans Les Cariatides,il décrit la conquête française des années 1790 et la réticence de nombreux milieux belges, contestant leur absorption dans la République. Ce roman, publié en 1942, portait un double discours dans le cadre de l’occupation allemande et était voulu par son auteur comme un signe d’encouragement à la résistance face à toute invasion. Pour cette raison, les exemplaires furent saisis et le livre interdit.
Revenons à La Cité ardente, avec comme toile de fond les trois guerres de Liège ayant opposé les seigneurs liégeois à Charles le Téméraire entre 1465 et 1468. Les Bourguignons, qui viennent de devenir souverains des Pays-Bas, veulent accroître leur domination en plaçant notamment l’un des leurs, Louis de Bourbon, en tant que prince-évêque de Liège, la fonction la plus importante de la Principauté placée sous leur protectorat.
Le récit s’ouvre sur des scènes du sac de Dinant, perpétré en 1466 par les Bourguignons pour punir les contestations locales. En fuite, un groupe d’opposants se réfugie dans la forêt d’Ardenne pour rejoindre une mystérieuse compagnie, la « Verte tente », qui coordonne la résistance. À partir de là, l’on suit au fil des chapitres les péripéties d’une galerie de personnages : Vincent de Bueren parcourt le territoire, récolte des informations et excite les foules. Raes de Heers, le bourgmestre (maire) de Liège, fédère et conduit des troupes. Un vétéran respecté de tous, le vieux Comte Berlo, se remémore l’histoire de la Principauté et la conte à sa petite-fille, la jeune Johanne, qui se jure un jour de venger les morts de sa famille. Josse de Strailhe (écrit également Gosuin de Streel) et Jean de Wilde suscitent le maintien de la lutte pour l’honneur.
Après la défaite des Liégeois lors de la bataille de Brustem (1467), clôturant la deuxième guerre de Liège, la Principauté est inféodée, mais un ultime conseil de guerre a lieu, en secret, chez Raes de Heers. Là, un envoyé du roi Louis XI donne de l’espoir aux seigneurs en promettant un soutien de la France à toute action entreprise contre l’hégémonie bourguignonne. Cette réunion constitue un moment clé du récit, puisqu’elle concentre l’expression de postures teintées de patriotisme, de courage et de bravoure. Le sage Comte Berlo, qui s’oppose à toute nouvelle insurrection pour mettre fin aux massacres, entre en grave querelle avec le jeune seigneur de Strailhe, embrasé et résolu. Alors qu’il est presque acté que la guerre va être menée, le Comte s’effondre et décède inopinément, dans un élan d’effacement mélancolique :
« Un sentiment l’écrase : le dernier acte de sa vie militaire et civile est accompli. Il sent enfin l’inépuisable insouciance des jeunes, l’égoïsme tranquille des fauteurs de troubles, l’éternel inaperçu des vides éternellement comblés, éternellement rouverts, toujours, par le flot qui passe […] Liège ! Liège ! L’ennemi répandra sur tes montagnes les lambeaux de ta chair… […] le vieillard s’affaisse, et dans une ultime pensée de prière, en tombant, il croise les bras sur son armure blanche. Plus grand encore couché que debout, il semble, envahi presque aussitôt par la lividité du trépas, une de ces statues de marbre qui commémorent, à l’ombre des cathédrales, la prouesse des chevaliers. »
Les circonstances de cette disparition, marquée par un conflit générationnel, fontcomprendre qu’une certaine idée de la chevalerie médiévale est en train dese transformer.
Á ce propos, l’on peut songer notamment au grand thème du roman historique Quentin Durward (1823) de Walter Scott, se déroulant dans le même cadre historique et dont le comte Carton de Wiart aurait pu s’inspirer.
La question de l’idéal chevaleresque est récurrente dans La Cité ardente. Les constats et les regrets sont dans toutes les bouches, comme lorsque Vincent de Bueren déplore que « la sainte chevalerie tombe partout en décri », par l’utilisation de plus en plus courante d’armes à feu mettant à mal la grandeur sacrificielle du corps à corps ou quand il critique l’affaissement moral et spirituel d’une certaine noblesse, la désacralisation d’un idéal pour « une chevalerie finissante, aux prises avec l’esprit diplomatique des temps nouveaux ». Mais le roman veut démontrer que, malgré cette déchéance latente, les braves peuvent toujours triompher en renouant avec l’esprit de leurs lignées.
On apprécie également, dans la description des caractères et du pays, les allusions permanentes mettant en valeur l'idée du caractère « éruptif » du Liégeois : Liège est un volcan dont les habitants, animés de fièvres ardentes, ont de la lave dans le sang.
Voici la réflexion émise par un éminent bourguignon venu s’installer à Liège après des troubles, s’achevant dans une sorte de confusion narrative instaurée, sans doute, pour donner l’allure d’une vérité révélée :
« Ce n’est qu’à Liège qu’on voit le phénix populaire renaître aussi promptement de ses cendres. Pourquoi ? Est-ce simplement la mobilité d’esprit de ses habitants ? Ou bien les rivières qui y convergent : la Meuse, l’Ourthe, la Vesdre, en lui amenant constamment l’afflux des provinces, renouvellent-elles aussi son âme ? Ou bien est-ce cette Liège souterraine, noir volcan de vie et de richesses qui, du fond de la terre, jette sans relâche par-dessus les ruines la lave d’une Liège nouvelle, non moins ardente que l’ancienne et toujours prête, elle aussi, à de nouveaux bouillonnements »
Il serait extrêmement compliqué de résumer les moult péripéties et aventures composant ce roman de geste, qui s’éparpillent parfois trop entre histoires d’amour, d’amitié, de guerre, énumérations et longues descriptions de faits historiques.
Vers la fin, après un épisode marquant de la révolte liégeoise, l’attaque de Tongres et l’enlèvement de Louis de Bourbon, l’on retrouve Josse de Strailhe apprenant l’imminence d’une attaque bourguignonne sur Liège car le Duc, furieux, veut définitivement en finir avec cette fronde.
Arrivé dans la cité, le chevalier constate le désarroi général, la désertion de nombreux notables et l’inquiétude du peuple, qui se rassure cependant en pensant aux promesses de Louis XI qui viendra… Mais l’on apprend que le roi de France accompagne l’armée bourguignonne ! Il est en effet leur obligé et est tenu de venir assister à la répression sanglante. Désespérément courageux, Jean de Wilde, Josse de Strailhe et Vincent de Bueren se réunissent, décident de réactiver les réseaux de la Verte tente et de constituer un corps d’armée avec ce qu’il reste d’hommes volontaires, pour mener plusieurs attaques. Finalement, l’ennemi a installé son campement sur les hauteurs de la vallée et la nuit est le moment choisi par les compagnons pour leur baroud d’honneur : ils projettent de s’introduire discrètement dans le camp bourguignon afin d’atteindre directement les rois. C’est l’épisode dit des « Six cents Franchimontois », le 29 octobre 1468, qui clôture la troisième guerre de Liège. La plupart y trouvent la mort. La ville, désormais sans défense, brûle le lendemain.
La Cité ardente, par sa force d’évocation historique, eut un retentissement phénoménal au début du XXe siècle en Belgique. Le succès pérenne de ce surnom pour la ville est aussi dû à l’allusion splendide qui pouvait être établie à cette époque avec la fournaise permanente entretenue par les hauts-fourneaux industriels, à l’âge d’or du développement de la sidérurgie liégeoise.
Par Les ensablés
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 01/12/2005
250 pages
Jourdan Editeur
16,99 €
1 Commentaire
nothomb charles ferdinand
05/11/2021 à 12:50
J'ai relu avec plaisir les résumé de "La Cite Ardente"
Le succès de cette expression a sans doute été renforce après la guerre 14/18
pae la resistance de Liege a l'invasion allemande. CFN