On ne peut pas dire que la vie se soit montrée cruelle avec Maxence Van der Meersch dans sa démarche d’écrivain. Né dans le milieu de la petite bourgeoisie du Nord, à la Belle Époque, il connut, au cours de sa courte vie ( il est mort en 1951 à l’âge de quarante-quatre ans d’une maladie d’autrefois, la tuberculose) les plus grands honneurs des prix littéraires, ratant le Goncourt d’une voix en 1935 et le décrochant l’année suivante pour l’Empreinte du Dieu sans oublier le prix de l’Académie Française pour un autre de ses ouvrages.
Le 30/12/2012 à 11:06 par Les ensablés
Publié le :
30/12/2012 à 11:06
Par Henri-Jean Coudy
Van der Meersch écrivait à une époque où la classe ouvrière n’avait pas disparu des consciences de l’intelligentsia française, en particulier dans le monde du nord où se passe l’ouvrage qu’il écrivit à vingt cinq ans, la Maison dans la Dune. Non seulement, il y avait une classe ouvrière en cette fin des années vingt mais encore une frontière franco-belge, jalousement gardée par des gabelous, les Noirs, tant les différences de prix d’acquisition du tabac suscitaient les tentations de part et d’autre de la frontière des Flandres. L’histoire se passe à Dunkerque et au-delà, jusqu’à ce que les hasards de l’Histoire fassent du même paysage de dunes battues par le vent et la mer grise du nord, deux pays différents.
Il y a d’abord Sylvain, prolétaire dunkerquois, « un homme de trente ans , grand et large d’épaules, avec une tête qui plaisait par quelque chose de naïf et de franc…ses yeux bruns étaient petits et brillants-celui qu’on lui voyait , tout au moins, car l’autre était entièrement masqué, par une énorme enflure violacée. Cela l’enlaidissait, lui déformait le visage, sans parvenir à rendre antipathique ses traits où se lisait une certaine douceur candide qui contrastait singulièrement avec son physique d’athlète » ; il aurait pu faire une belle carrière dans la boxe tant ses qualités physiques sont grandes : « Il avait de beaux combats à son actif. Il était champion du nord, quand il avait tout lâché. Et maintenant qu’il était trop tard, il aurait eu mal au cœur de constater sa déchéance… ». Sylvain est contrebandier. La contrebande se pratique individuellement, à bicyclette, pour chercher le tabac chez des fournisseurs belges, et le revendre, dans des estaminets ou des maisons. Le contrebandier est sans cesse sur le qui-vive et il y a de quoi ; les rencontres avec les « noirs », se passent quelquefois mal, d’autant que Sylvain est prompt à la bagarre et que sa force lui permet, parfois, de se débarrasser de plusieurs gabelous. Souvent, avec son copain, César , un autre pratiquant du commerce interdit, plus âgé, ne sachant plus vraiment faire autre chose, ils font « monter un chien », Tom, une bête solide, capable d’emporter une grosse quantité de tabac, et dressé pour retrouver le chemin de son maître, passé un peu auparavant et qui l’attend chez le fournisseur avant de le renvoyer vers la France : « Allègre, ses dix huit kilos sur l’échine, il filait à bonne allure, d’un trot allongé, régulier, soutenu, laissant derrière lui, à intervalles égaux, de légers , panaches de vapeur qu’exhalait sa respiration » ; le risque est tout aussi grand pour la bête, qui peut tomber sur des Noirs, accompagnés de chiens, et alors n’avoir qu’à accepter le combat qui peut être mortel ; la première fois, Tom s’en sort bien en brisant d’un coup de dent une patte de son agresseur. Mais on le comprend vite : les dunes flamandes ne pourront être que le théâtre d’un drame.
Comédie dramatique de 1951
Sylvain a une épouse, Germaine, qu’il a arraché à son métier de fille de joie, comme on disait alors, qu’elle pratiquait à la maison Henri, lieu de détente et de rendez-vous ; elle donne à l’homme qui lui a apporté une autre vie un amour sensuel, d’autant plus sincère que Sylvain, qu’elle trouve, en homme fort, très beau, lui apporte l’aisance matérielle et l’élégance vestimentaire, une forme certaine de bonheur. Mais avoir une belle épouse expose parfois à des dangers inattendus. Germaine aime revenir, quelquefois, chez Henri, pour y faire admirer sa réussite et y bavarder avec Jeanne, la compagne d’Henri : « L’entrée de Germaine fit sensation .Il y avait du monde. Le café était plein. Et le salon lui-même était encombré de clients qui buvaient du champagne, ou tout au moins du « mousseux » rebaptisé pour la circonstance. Germaine traversa ce tumulte, suscitant sur son passage une bruyante clameur d’admiration. » C’est là qu’elle va rencontrer le destin en la personne de Lourges, qui, d’emblée, parce que Germaine est comme ça, ne lui est pas indifférent : « Indiscutablement, il était bel homme. Germaine , habituée à juger les mâles comme mâles, d’après leurs possibilités physiques, l’admira. Il avait une carrure impressionnante…Germaine regarda avec étonnement le poing démesuré, noueux, et comme rocailleux, qu’il posait tout en parlant sur le zinc du comptoir. ». Lourges est un « noir » et, pas n’importe quel noir ; comme le confie Jeanne à Germaine : « …Il sent le tabac belge comme un vrai chien de chasse…Il n’a peur de rien, il va dans les plus mauvaises boîtes, il se bat avec n’importe qui. Il a déjà reçu un coup de revolver dans l’épaule et un coup de couteau au front ». Lourges, c’est Javert, mais un Javert qui serait loin d’être indifférent aux femmes et il s’aperçoit vite de l’effet qu’il produit sur Germaine.
On n’attend plus que les routes de Sylvain et de Lourges se croisent puisque c’est ainsi que les choses doivent se passer. C’est dans la demeure d’Henri où les hommes vont, selon leur humeur, trouver le réconfort de bras accueillants ou celui de l’alcool, qu’aura lieu leur première confrontation qui prendra la forme d’une joute physique, en lutte, puisque César, également présent, et que Lourges connaît bien pour l’avoir traqué, met le « noir » au défi d’affronter son ami, qui ne demande pourtant rien, et de trouver son maître. Le combat, torse nu, est bref : Sylvain, plus rapide, parvient à faire toucher les épaules à Lourges ; c’est le premier round qui permet au contrebandier de retrouver le cœur de sa femme, un moment ouvert à d’autres pensées : « Germaine, reconquise, se pressait amoureusement contre son homme, en sondant autour d’elle l’inquiétante obscurité des rues ». Le lecteur sait bien qu’il ne s’agit que d’un combat d’avant-garde, que l’essentiel reste à venir. C’est à ce moment là que Sylvain va retrouver la maison dans la dune.
Contrebandier arrêté à la frontière
Cette maison, il l’a déjà croisée, un jour de « montée de chien » alors qu’il revenait à pied, entre Furnes et Dunkerque : « C’était une vieille maison, bâtie en briques de sable, que les ans avaient patinées d’une grisaille de pierre ». Sylvain « ne savait pas où il avait déjà vu ce coin, pourquoi il le reconnaissait, l’aimait, en retrouvait avec plaisir les détails » ; il va vite le savoir : la maison est une auberge, posée auprès d’une route détournée et d’un pont détruit sur un canal, qui n’accueille plus que les pêcheurs, une ou deux fois par semaine ; elle est habitée par un très vieux couple, et leur nièce, une toute jeune fille dont le contrebandier ne sait pas encore qu’il est déjà amoureux. « Lui qui disait avoir l’expérience des femmes, qui n’en rencontrait pas une sans penser toute de suite à l’amour , …se sentait ici, désarmé, désemparé. La simplicité, la candeur de cette fillette le déroutaient. » Désormais, il n’aura de cesse que de retrouver la maison et Pascaline, puisqu’elle s’appelle ainsi, sans que rien ne se passe d’autre que le plaisir d’être ensemble, Sylvain se faisant pour aider les vieux parents de la jeune femme, menuisier, jardinier, maçon… Mais il n’est pas d’amour heureux non plus pour les contrebandiers. Sylvain croise une fois, au cours de ses transports interdits, Lourges mais réussit à le distancer au coup de pédale sans que l’autre ait pu le voir de face. Mais Lourges a eu un soupçon, et voilà Germaine qui « en femme honnête qu’elle était devenue commençait à trouver fastidieuse cette longue sagesse », qui retourne chez Henri pour y voir si Lourges n’y est pas, juste pour s’amuser un peu. Lourges, qui pense avoir reconnu Sylvain dans le cycliste trop rapide, cuisine Henri qui ne tarde pas à confirmer au « noir » , en bon commerçant qui ne peut se permettre d’être mal avec l’administration que Sylvain vit du commerce illicite et balance même le nom de son fournisseur. Lourges se voit à la fois arrêtant Sylvain et , une fois débarrassé de lui, possédant Germaine. Il n’aura pas de mal à promettre à Fernand, l’un des fournisseurs, les pires ennuis s’il ne l’aide pas à tendre un traquenard et à l’avertir du passage de Sylvain. Mais le destin dont on sait qu’il aime à rire des contrebandiers et des gabelous fait échouer l’affaire ; Sylvain tombe malade et demande à César de le remplacer : c’est donc César, qui risque la relègue, ce mouroir des vieux délinquants, qui tombera dans le piège de Lourges, à la grande colère de celui-ci qui comprend qu’il a raté son coup. D’autant que César se débrouille pour faire savoir à Sylvain qu’ils ont été donnés. Le vent du boulet pourrait envoyer Sylvain sur une autre voie qui trouve un emploi de docker, où il s’impose à la rude confrérie des déchargeurs de navires après « avoir tout supporté, travail, charges écrasantes, courses de vitesse, petits verres, avec l’indifférence d’une robustesse inlassable ». Sa nouvelle vie lui convient et l’amour qu’il éprouve pour Pascaline, « dont il ne s’aperçoit que par instants qui l’étonnaient, lui révélaient brusquement le bouleversement total de son être » , sa seule pensée de venir le plus souvent possible dans la petit maison dans les dunes de Furnes, où, pourtant il ne se passera jamais rien entre Pascaline et lui-même.
Seulement, voilà, la paye d’un docker a beau être suffisante pour entretenir une épouse, elle rapporte moins que celle d’un hors-la-loi et Germaine éprouve à la fois le dépit d’une dépense limitée et l’interrogation d’un changement chez son homme. Elle s’en ouvre à Lourges pour qui un contrebandier ne peut cesser de l’être. Il n’est pas bien difficile pour le « noir » de savoir qu’on a vu souvent Sylvain filer vers Furnes ; Lourges ira lui-même vérifier ce qu’y fait Sylvain, se faisant espion dissimulé dans les herbes du canal, près de la maison pour découvrir que son rival y rencontre une jeune fille. Il ne sera, dès lors, pas bien difficile de mettre Germaine, folle de jalousie, dans sa poche et dans son lit. Mais il n’est pas simple d’aller à une catastrophe et le chemin des époux déchirés ne va pas par les lignes droites. Sylvain et Germaine s’affrontent avec fureur, Germaine traîne dans la boue le pur amour de Sylvain qui ne le supporte pas, part se perdre dans l’alcool puis revient et Germaine, qui doit bien l’aimer encore un peu, au milieu de sa haine, le reprend comme Sylvain reprend le sentier du tabac en y associant cette fois, Germaine ; et sans qu’il se fasse aucune illusion sur ce que cela signifie : « Il lui semblait être comme ces femmes qui portent en elle un enfant mort. ». L’inévitable arrive : Germaine, qui ne peut être fouillée que par une femme, finit par tomber sur un poste de douane où il y a une visiteuse et, effondrée, fait prévenir Lourges qui n’a pas de mal à la convaincre que Sylvain a entendu se débarrasser d’elle. Elle se fera Judas. Pourtant les avertissements ne manquent pas pour Sylvain ; la mort de Tom, d’abord, qui cette fois ci, ne reviendra pas des dunes et dont il trouve le corps déchiré au milieu des herbes « un douanier avait coupé sa patte pour toucher la prime », puis Jules, un ami policier, qui vient le mettre en garde, une ultime fois, quant à la fidélité de sa compagne, mais à quoi bon ; comme le répond Sylvain : « Tu comprends, on ne peut pas toujours recommencer … ». C’est avec la mort que Sylvain a rendez-vous, au cours d’une grosse opération de passage de tabac en voiture, sans que, poursuivi, blessé, s’échappant, il puisse rejoindre la Maison dans la Dune et revoir Pascaline.
Maxence Van der Meersch ne mérite pas que les dunes flamandes recouvrent son œuvre, ni le souvenir d’un contrebandier amoureux que Tcheki Karyo incarna dans un télé-film réalisé en 1988 ( Lourges étant interprété avec une grande justesse par Jean-Pierre Castaldi).
Henri Jean Coudy - décembre 2012
Paru le 06/06/2007
253 pages
Albin Michel
8,90 €
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