AVANT-PREMIERE - Après La boîte de Pandore l’année dernière où il était question de vies antérieures et de réincarnation, Bernard Werber renfîle le pelage de Bastet, l'héroïne de Demain les chats, dans un nouveau volume à paraître chez Albin Michel. Dans Sa majesté des chats, nous retrouvons la petite bande qui s'était réfugiée à la fin du premier tome sur l'île aux Cygnes, 200 jeunes humains et 300 chats alliés dans une guerre désormais sans merci contre les rats qui ont envahi Paris, après un épisode de guerre civîle puis de peste. Rencontre avec Bernard Werber, qu'il en soit remercié, à l'abri d'un déluge à ne pas mettre un chat dehors.
Le 08/08/2019 à 18:04 par Christine Barros
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Publié le :
08/08/2019 à 18:04
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ActuaLitté : Nous avions laissé, à l’issue d’une première grande bataille, Bastet, cette chatte énigmatique, capricieuse et fort intéressante, avec ses compères, Angelo, son rejeton, Pythagore, le chat connecté, Hannibal, le lion, Patricia, la chamane muette avec qui Bastet communique par rêve chamanique, Nathalie, bien sûr, son humaine, sa servante ; tous sont donc à faire face au danger qui perdure. Que pouvez-vous nous dire de l’intrigue de Sa Majesté des Chats ?
Bernard Werber : C'est le tout premier entretien que j’accorde sur ce livre et c'est un peu déstabilisant : je suis déjà en train d’écrire le troisième tome, et parler du premier me parait presque exotique, comme une machine à remonter le temps.
Notre petite communauté de héros se retrouve donc à la fin du premier volume sur l'île aux Cygnes, vers laquelle de plus en plus de réfugiés fuient pour échapper aux rats, et ont compris que cette communauté savait leur résister. Pythagore pense qu'il faut trouver un endroit un peu plus "secure", et l’île de la Cité, plus grande, présente l’intérêt d'avoir beaucoup plus de bâtiments que l"île aux Cygnes.
Au moment où j'ai écrit le roman, l'incendie de Notre Dame n'avait pas encore eu lieu. J'ai, depuis, un peu réactualisé le texte, en montrant comment les travaux ont pu changer la cathédrale, mais elle va jouer un grand rôle : Bastet va s'y installer, parce qu'elle aime jouer de l'orgue, parce qu'elle est fascinée par les cathédrales et parce qu'elle peut de là-haut surveiller tout ce qui se passe dans l'île de la Cité.
Ils vont former une sorte communauté idéale, chats et humains mêlés, qui va essayer de vivre en autonomie économique, de sécuriser l’île. Va là se dérouler une première période, fort sympathique, durant laquelle on peut penser qu'ils ont trouvé la solution.
Le répit sera de courte durée ?
Bernard Werber : Les rats ne vont pas en rester là : Cambyse, ayant échoué à prendre d'assaut l'île aux Cygnes, a été très durement évincé par les autres rats et remplacé par Tamerlan, petit rat blanc redoutable, qui a lui aussi, comme Pythagore, un Troisième Œil, une clé USB implantée dans le front, qui lui permet de se connecter à internet et donc de connaitre le monde des humains.
Tout ce qui va alors se passer va être plus rapide, plus fort ; les personnages ont été mis en place dans le premier tome (Demain les chats, paru en 2016), il va désormais y avoir beaucoup de voyages, de batailles, de scènes style "du sang, de la chique et du mollard" chez les chats. On va même quitter Paris, puisqu’ils vont à un moment s'enfuir en Montgolfière, et débutera alors la Grande Odyssée de Bastet, de Nathalie (sa servante humaine) et de Pythagore, qui vont partir chercher de l’aide pour libérer la cité assiégée.
Bastet n'est pas forcément un personnage "aimable" : elle n'est franchement pas une bonne mère, elle est une amante extrêmement égoïste, ne semble pas particulièrement sociable non plus... Mais il semblerait que son nom la prédispose à un destin qui la portera ailleurs que là où ses penchants l'auraient naturellement menée. Que devient-elle ?
Bernard Werber : Je voulais créer un être égoïste, un peu fainéante, peureuse, lâche, narcissique, mégalomane. Bastet était l’occasion de créer un personnage négatif, un peu à la façon de JR dans Dallas. Voilà un personnage qui ressemble aux êtres que l'on rencontre dans la réalité, ce ne sont pas des héros gentils, généreux et bienveillants. Ce personnage m'a amusé : au bout de son égoïsme, sur quoi va-t-elle tomber?
Ce qui la sauve, c'est sa vision : le monde peut être sauvé par la communication. Elle veut communiquer, d'abord avec sa maitresse pour lui donner des ordres plus facîlement. Sa passion pour la communication va l'amener à s'intéresser aux autres, et finalement à leur faire du bien presque malgré elle.
C'est, je crois, le mécanisme de tout bon héros de roman : il est changé par l'histoire. Elle ne deviendra ni gentille, ni généreuse, ni aimable au final, elle va seulement faire du bien aux autres presque malgré elle. C'est ce qui arrive dans la réalité : les gens ne sont pas forcément généreux, mais ils s'aperçoivent que leur intérêt stratégique est d'aider les autres plutôt que d'être égoïstes. Cela devient un reflexe, et c'est là que Bastet va découvrir l'empathie, la douleur des autres, et va faire un chemin initiatique.
C'est une quête vers la compréhension du monde et une forme de sagesse, mais elle y va sans enthousiasme, portée par les événements, parce que c'est souvent le choix le plus simple.
Au fur et à mesure que je l'ai créée, comme on façonne un petit monstre que l'on observe, elle est devenue attachante parce qu'elle me rappelle les vrais humains autour de moi, qui se débattent dans ce choix : si l'ambition est d'être heureux, il y a plutôt intérêt à aider les autres, même si on le fait par égoïsme.
Oui, elle est une mère indigne : elle a perdu ses enfants et elle est trop fainéante pour s'occuper du survivant, elle est une amante pas très aimante, les mâles sont là pour la satisfaire sexuellement. Elle n'a pas de réels sentiments pour Pythagore. C'est là aussi l'un des enjeux de ce nouveau roman : va-t-elle découvrir les sentiments, l'empathie, toutes choses qui lui étaient étrangères puisqu'elle considérait que l'égoïsme est la solution à tout?
Elle est au final une héroïne aimable pour le lecteur, mais de manière assez paradoxale.
Pour parvenir à cette cruciale communication inter espèces, deux canaux sont possibles : d’une part, pour Bastet, par le rêve chamanique qui lui permet de rentrer en contact avec une chamane muette, Patricia, et d’autre part la technologie, la science, qui permettent à Pythagore et Tamerlan de se connecter à Internet. Comment co-habiter entre ces deux mondes antagonistes, entre la science et les rêves?
Bernard Werber : C'est la voie du conscient et de l'inconscient, c'est la voie magique et la voie technologique. Ce sont en effet les deux moyens qu'utilisent les chats pour communiquer avec les humains , et c'est en même temps le grand questionnement de Bastet : comment améliorer cela, comment avoir un contact chamanique plus fort avec Patricia, comment Pythagore pourrait-il accéder à encore plus d'informations ?
L'objectif de communication me semble le plus intéressant pour un héros ; ce n'est pas gagner, ce n'est pas être bon, c'est communiquer. Et la communication est la clé de la plupart de mes romans : mes personnages s’aperçoivent qu'ils communiquent mal et qu'en communiquant mieux , ils vont pouvoir être plus heureux. Bastet, au-delà de ses défauts aura au moins eu cette intuition : la communication est la clé de tout.
Et attention spoîler : Bastet va elle aussi accéder à un Troisième Oeil, se brancher sur internet, et avoir accès à la découverte du monde. Ce qui manque aux chats, c'est la connaissance du passé. La plupart des animaux vivent en permanence dans le présent ; nous les humains, sommes en permanence dans le passé ou le futur, les animaux sont dans "que vais-je manger dans les dix minutes qui arrivent"?
Cette absence de perception du temps large, en avant et en arrière, empêche les animaux d'avoir un réel pouvoir. Et dès lors que Bastet accédera à la connaissance de cela, celle du temps passé, et la projection grâce à l'imaginaire dans le temps futur, son esprit va s’ouvrir.
C'est cette expérience qui est au cœur de Sa majesté des chats, c'est-à-dire la compréhension qu'elle vit dans un monde limité, et qu'elle peut et doit, si elle veut devenir la déesse ou la reine d'une nouvelle civilisation, accéder à des champs de perception beaucoup plus larges, le temps et l'espace.
Dans le 1er tome est abordée la question du rire. Faire surgir cette question du rire dans un contexte totalement apocalyptique peut paraitre saugrenu. Mais la question semble cruciale puisqu’elle détermine la qualité humaine ou animale des personnages. Que devient ce rire ?
Bernard Werber : Il y a bien sûr la phrase de Bergson, le rire est le propre de l'homme ; nous nous distinguons des autres animaux par notre capacité à rire, à avoir une petite distance spirituelle face aux événements qui arrivent.
Les chats ne savent pas sourire, contrairement aux chiens, aux singes, qui parfois le savent, les chats prennent tout au sérieux. Le rire me semblait un grand enjeu pour Bastet : elle va comprendre le mécanisme de l'humour, ce qui sera pour elle une révélation. En fait, Nathalie, sa servante, va lui révéler l’essentiel : si tu veux devenir aussi forte qu'un humain, il faut l'Amour, l'Humour et l'Art.
L’amour, l’humour et l’Art sauveront-ils le monde ?
Bernard Werber : Sa majesté des Chats, c'est la découverte pour Bastet de l'amour, l'humour et l'art, constituant les trois parties du roman. Le concept d'art n'est pas un concept animal ; l'animal peut faire des choses belles, mais il n'en a pas conscience et ne perçoit que sa propre esthétique. Une araignée qui tisse sa toîle crée quelque chose de beau mais ne se dit jamais : "que ma toîle est jolie!", ne va pas aller se comparer avec les autres araignées.
Cette absence de perception esthétique gratuite me semblait aussi un enjeu important pour Bastet : désireuse d’installer une nouvelle civilisation de chats qui va remplacer une civilisation humaine, elle doit en prendre le meilleur, et donc comprendre ces trois concepts.
Et non la science ?
Bernard Werber : La science n'est pas de l'ordre de l'émotionnel ; la science est de l'ordre pratique.
Les chats n'ayant pas accès à la maîtrise du feu, à la connaissance des outils, Bastet ne peut d'emblée apprendre à fabriquer une machine à vapeur et a fortiori un ordinateur. Les chats vont donc s'entourer de technologie, et s'entourer de plus en plus d'humains capables de la produire.
Mais nous ne serons pas sauvés par la science. Nous serons peut-être sauvés par des scientifiques qui nous présentent de nouveaux moyens pratiques de sauver la planète, de nouveaux moyens de communiquer, mais la vraie évolution se fait par le changement des mentalités.
L'humour, l'art et l'amour, ce sont nos capacités d'empathie, de distance, notre volonté de vouloir faire quelque chose de beau, de laisser une planète agréable à nos enfants : c'est là qu'est le vrai enjeu. Les ordinateurs, les massues, les bombes nucléaires n’ont été que des outils nouveaux, permettant de faire plus de bien ou plus de mal, selon la mentalité des gens qui les utilisent.
Le regard de l'écrivain sur ses chats a-t-il changé?
Bernard Werber : De manière hyper paradoxale, je n'ai actuellement pas de chat, mais un chien, un coton de Tulear pour être précis. Mon fils, qui veut être écrivain, a un chat, une petite siamoise très gentille qui s'appelle Plume. Contrairement à Bastet, elle ne miaule pas, n'est pas capricieuse, est aimable, se laisse caresser, ne part pas dès qu’on l’appelle, n'agresse pas les gens, n'essaie pas tout le temps de culpabiliser ses maîtres.
Elle est adorable et je crois que mon fils est tombé sur une meilleure chatte que moi. Ma Domino était une chatte qui me faisait tout le temps comprendre que ce que je faisais pour elle n'était pas suffisant, que je ne la traitais pas assez en princesse.
Le Festival des chats qui se prépare pour le 4 octobre au Grand Rex sera sans doute l’occasion de lui rendre hommage ?
Bernard Werber : Pour la sortie de Sa Majesté des Chats, j’organise une grande fête au Grand Rex, qui reproduit une fête qui existait réellement dans l'antiquité. En hommage à la déesse Bastet, elle se déroulait dans la ville de Bubastis.
C'était la plus grande fête de l'antiquité : Hérodote, le premier historien, raconte que plus de 800 000 personnes se réunissaient dans cette ville, déguisés en chats, à miauler et leur rendre hommage.
C'est cet événement que je voulais reproduire, avec l’aide de mon éditeur et de quelques amis : Bruno Salomone, Eric Antoine, Geluck, Laëtitia Barlerin, Selig, Patrick Baud et le Dr Jean-Yves Gauchet. Nous allons animer une soirée spéciale chats. C'est un mélange d'événement littéraire et animalier, tout cela au bénéfice d'une association.
Pour célébrer le chat, son intelligence, et se demander quelles sont nos places respectives, et comment cela pourrait évoluer de manière... sympathique.
Paru le 30/09/2020
528 pages
LGF/Le Livre de Poche
8,90 €
Paru le 31/01/2018
352 pages
LGF/Le Livre de Poche
7,90 €
2 Commentaires
CathyBer
09/08/2019 à 07:33
Maintenant je vais m'intéresser sérieusement à cette saga.
J'étais restée attachée aux micro-humains, et en attente pour ce qui est des chats ... je crois que je vais apprécier, merci de ce regard in situ ?
Silver
08/06/2020 à 18:16
J ai lu ce livre, un pur bonheur. J ai 4 chats et je leur donne beaucoup d amour. J ai bien caractérisé Bastet et sa « servante » Nathalie. C est effectivement cela, mes chats me donnent beaucoup d affection mais je suis un peu leur « servante « car si ils ont décidé de ne me pas m écouter, ils me montre aucune expression. Par contre, je me pose souvent la question si ils avaient un cerveau identique aux nôtres, ne seraient pas merveilleux de pouvoir communiquer?
J ai passé un super moment de lecture.
Merci Monsieur Werber Bernard