La deuxième matinée du forum de la SGDL, dédiée à l'auteur et à la création sur Internet, se consacre aux aspects économiques. Comment s'effectuera (et s'effectue déjà) le partage de la valeur entre les différents acteurs s'agissant de la vente de livres numériques ?
Le 25/10/2012 à 10:07 par Clément Solym
Publié le :
25/10/2012 à 10:07
Interviennent : Philippe Aigrain, essayiste, membre de La Quadrature du Net ; Alban Cerisier, secrétaire général de Gallimard, président de la commission numérique du SNE ; Hadrien Gardeur, co-fondateur de la plate-forme numérique feedbooks.com ; Marion Mazauric, fondatrice et directrice de Au Diable Vauvert. La modération est assurée par Paul Fournel, écrivain, nouvelliste, ancien président de la SGDL.
Comment s'effectue aujourd'hui le calcul de la valeur numérique calqué sur l'imprimé ?
Alors que, selon la SGDL, les auteurs sont plutôt confiants de ce qui se passe actuellement sur Internet et qu'ils semblent passionnés par les possibilités que leur offre le numérique, le monde économique numérique envisagé par les éditeurs est davantage marqué par un investissement déficitaire.
Inévitablement, le numérique aspire à des modèles différents, au milieu d'un contexte éditorial qui réunit des acteurs dans des situations, des places et des valeurs différentes. Pour Marion Mazauric (éditions Au Diable Vauvert), l'éditeur subit, avec ces changements, plusieurs choses. « Le numérique coûte énormément d'argent à l'éditeur, ne rapporte rien au diffuseur, et un peu à l'auteur », déclare-t-elle, « contrairement à ce qu'on pense ». Pourquoi ? Parce que les éditeurs doivent investir dans un secteur nouveau où tout est à créer : les référencements, les stratégies, les métadonnées plus complexes etc. Ce qui est somme toute logique : un investissement coûte toujours de l'argent – le tout est de savoir s'il y aura un retour ensuite. Mais les éditeurs sont plus préoccupés par les coûts et les efforts à court terme. Pour l'exemple, Marion Mazauric donne des chiffres : au premier semestre 2011, les ventes numériques représentaient 10 000 euros de CA, 25 000 euros de CA en 2012. « Et ça va évoluer », témoigne l'éditrice.
Parallèlement, la maison doit informer elle-même cinq plateformes, assurer financièrement les services d'Epagine, passer 10 minutes par titre pour un référencement commercial, 2h en général par titre. Bref, « on est dans le travail à la chaîne. Et ça coûte 53 000 euros en un an. On est déficitaire ». De plus, les éditeurs doivent revoir certains maillons de la chaîne : pour Marion Mazauric, le diffuseur ne suffit pas à vendre les livres, dans le monde numérique. « Nous, éditeurs, nous devons faire la communication, y compris chez le libraire. Il y a trop de partage, trop d'intermédiaire dans la chaîne du livre et le numérique pointe ça », explique-t-elle. On comprend alors que l'idée que le numérique doit rapporter plus de droits parce que c'est moins cher est « encore une idée à l'ancienne ». Car, actuellement, les éditeurs sont en train d'investir.
C'est pour cela qu'ont été créées les clauses de rendez-vous, pour les auteurs, une sorte de contrat numérique qui revient régulièrement en discussion, tous les ans ou tous les deux ans, afin de réévaluer les droits d'auteur en fonction du marché. A cela, s'ensuit un réel débat sur la répartition des droits entre auteur et éditeur, généralement axé sur la notion « d'investissement » des auteurs (temps d'heures passées) et des éditeurs (temps d'heures passées et coûts). Longtemps, il a été considéré comme « acceptable » une faible rémunération des auteurs au vu d'« un risque industriel ». Or, ce n'est plus le cas dans le numérique, car il n'y a plus d'investissement industriel vers l'imprimeur, déclare-t-on dans la salle de la SGDL. Se dégage alors l'idée et la volonté d'un contrat qui respecte autant le travail de l'auteur que celui de l'éditeur. Mais faudra-t-il en venir à comptabiliser les horaires auteurs ? A quantifier chaque travail ? La question reste en suspens.
Quoi qu'il en soit, ce qui est primordial, c'est que « c'est aujourd'hui qu'il est important de parler de la rémunération des auteurs numériques, car c'est un secteur en plein investissement », déclare la SGDL.
Le modèle américain est-il plus viable que le modèle français ?
Ecrivain, Hervé Letellier témoignait d'une anecdote avec son éditeur américain qui lui a dit : « tu ne voudrais pas être un auteur américain en langue française. Et moi je vendrais ton livre en France ? ». On l'aura compris, par ce truchement, chacun y gagnerait. « Nous souhaitons que l'accord contractuel passé avec l'éditeur soit maintenu », déclare Hervé Letellier, mais si l'auteur se trouve dans un contexte économique trop fragile où il se retrouve perdant, il aura tout intérêt à aller voir ailleurs et autrement.
morpholux, CC BY-ND 2.0
Si l'on revient sur les clauses de rendez-vous, pour l'auteur, celles-ci sont pensées relativement à un marché très faible aujourd'hui en France. Les « rendez-vous » sont là pour adapter la valeur et permettent de négocier les droits d'auteur pour le numérique. Ce sont des pratiques éditoriales qui se mettent tranquillement en place. « Les clauses de rendez-vous sont établies à 1 an pour le Diable Vauvert », explique Marion Mazauric, « et on essaie de plaider le même pourcentage pour tout le monde ». Cependant, attention. « Les pourcentages américains ne sont pas faits sur l'échange unitaire du livre, mais sur les assiettes, et même pas de marge. Les 25% des USA reviennent à 12%, ou à moins, français. Nous, Au Diable Vauvert, on propose 20%. Donc, les pourcentages américains ne sont pas toujours avantageux », ajoute l'éditrice.
Selon Hadrien Gardeur (co-fondateur de la plate-forme numérique feedbooks.com), plusieurs choses sont à envisager dans les coûts numériques. Par exemple, numériser un livre papier est plus coûteux que de créer une nouveauté numérique. De même, il faut faire fi de nombreux autres préjugés, comme les conditions surprises aux États-Unis qui engagent parfois des clauses d'exclusivité, ou qui appliquent des promotions influant directement sur les droits d'auteur. De même, il faut se rappeler que les modèles peuvent être différents.
Alors que les éditeurs français vivent de leur travail sur le livre, pour Apple ou Google, le livre n'est qu'un périphérique. Seul Amazon souhaite vivre de la vente de ses contenus, avec une politique agressive pour s'imposer. « On vit une révolution qui touche toute l'économie numérique et qui dépasse le livre. Les rapports de force changent », annonce Hadrien Gardeur. Là où ça devient difficile, c'est lorsque l'on considère l'écart important qui se creuse entre les nouveaux acteurs (qui ne vivent pas que du livre) et les éditeurs. Ce sont ces nouveaux modèles qui apparaissent, qui tendent à s'imposer et à mettre le marché éditorial français sous pression.
La question des nouveaux modèles, et baisse des prix
« Ce n'est pas très rassurant d'entendre que le prix de vente baisse, et devient très inférieur à ce qu'on connaît dans le papier », déclare un membre de la SGDL. « Comment un éditeur peut-il ensuite assurer un revenu correct à son auteur avec de tels prix numériques ? » Pour l'assemblée, c'est évident, il nécessaire de créer de nouveaux modèles.
401(K) 2012, CC BY-SA 2.0
Pour Alban Cerisier (Gallimard), il s'agit de reconstituer une base acceptable pour les auteurs, le tout fondé sur de nouveaux modèles. Sur ce point, Hadrien Gardeur souligne qu'une monétisation des informations comme les analyses des traces de lecture peut être une piste. On peut aussi offrir ces informations comme des services aux éditeurs. Néanmoins, ce qu'il convient de ne pas oublier, et c'est le principal souci des intervenants, c'est que ces nouveaux modèles doivent permettre aux anciens d'exister. On est actuellement dans une époque de transition et certains acteurs cherchent à se repositionner. Tout reste à faire donc. Mais avant d'imaginer de nouveaux modèles, certaines choses qui sont acquises dans le papier sont loin de l'être dans le numérique, et il est important d'y prêter de l'importance. Par exemple, au niveau des bibliothèques, les fonds de catalogue et le prêt sont remis en question dans de nombreux pays par des éditeurs qui ont peur que cela influe sur les ventes. « Il va falloir une concertation collective pour arriver à quelque chose qui marche pour tous les acteurs de la chaîne ».
Et Hervé Letellier de conclure : « sur 25 000 euros que je touche, je génère plus de 75 000 euros, le tout en numérique. J'aimerais que ça change ».
« Il faudrait être plus audacieux »
Enfin, lors des discussions entre la salle et les intervenants, d'autres aspects sont apparus. Et certains de pointer, finalement, la manière trop traditionnelle que l'édition a d'aborder son secteur. « Ce genre de colloque nous aide à penser autrement », déclare-t-on. Et de dire alors que « les auteurs se sentent comme les oubliés du système » dans cette économie numérique. Il faut repenser le secteur et peut-être envisager les auteurs désormais comme des partenaires. Car, avec le numérique, il faut raisonner en investisseur capital (valeur matérielle et immatérielle).
Une autre revendication majeure est apportée par le CPE qui stipule que les « auteurs signent des conditions qui ne sont pas raisonnables », comme ces fameuses clauses de rendez-vous. « Le CPE demande une durée limitée pour les contrats numériques ». Et il faut se battre, car, affirme Philippe Aigrain, avec le numérique, « le risque est dans l'affaiblissement des statuts et des cachets ».
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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