La reconduction de Gilles Ciment à la direction de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image a ravivé les plaies, déliant les langues des esprits qui, chagrins, assistent aux diverses manigances du Festival de la BD, désireux de museler la Cité. Et des esprits chagrins, aux alentours d'Angoulême, ça ne manque pas, dès lors qu'il s'agit d'évoquer les pressions qu'exerce la société 9ème Art+, organisatrice de la manifestation, pour réduire à néant - parfois littéralement - la Cité de la BD.
Le 03/10/2013 à 11:28 par Nicolas Gary
Publié le :
03/10/2013 à 11:28
Cité internationale de la BD
jean-louis zimmermann, CC BY 2.0
La situation est tout de même lugubre : d'un côté, une entreprise privée mandatée pour l'organisation du Festival de la BD d'Angoulême, de l'autre, un établissement public qui subit les assauts réguliers d'un envahisseur - et résiste du mieux qu'il peut. De là à y retrouver l'histoire d'un célèbre héros à moustaches... « On voudrait que la Cité soit réduite au silence que l'on ne s'y prendrait pas mieux », nous explique-t-on, entre deux tentes.
"On voudrait que la Cité soit réduite au silence que l'on ne s'y prendrait pas mieux"
Au point que la Cité soit empêchée de communiquer sur son existence durant le Festival et de faire parler de ses expositions, et qu'il lui soit interdit de faire connaître les opérations réalisées par le Festival dans ses espaces, ou mieux encore, d'afficher des sponsors et des partenaires. Pas commode quand il s'agit de convaincre dans des négociations portant sur des activités qui pourraient être en partie visibles pendant la manifestation.
En outre, l'entreprise privée, mandatée par l'Association, a toujours été vivement critiquée pour son utilisation de fonds publics, alors même que tout cela se déroule sans appel d'offres. Bertrand Morisset, commissaire général du Salon du livre l'expliquait déjà auprès d'ActuaBD :
Je respecte beaucoup le professionnalisme de leurs équipes, je ne respecte pas la manière dont l'argent public est capté par une société privée. Ce n'est pas républicain. J'espère que depuis trois ans qu'on alerte les autorités, elles vont enfin bouger. Ils annoncent 192.000 visiteurs, je ne vois pas comment c'est possible à Angoulême. Il faut que les festivals qui travaillent avec de l'argent public annoncent des chiffres véraces. Pourquoi pas un million ou deux millions ?
C'est illégal. En France, l'argent public doit être soumis à un appel d'offres. À Angoulême, la loi est bafouée. Le Conseil Général, le Conseil Régional, la Mairie, le Ministère de la Culture, la Chambre de commerce, le Tribunal de Grande Instance... Tout le monde est informé qu'il y a un vice de forme. Il y a une illégalité flagrante.
Sollicité en mai 2012, Franck Bondoux, gérant de 9ème Art+ avait été expéditif sur cette question : « Allez voir comment sont subventionnés tous les événements culturels pratiquement en France et vous verrez qu'il y a des fonds publics dans les événements culturels. Et renseignez-vous sur ce que c'est que l'économie, que l'ingénierie culturelle, et vous découvrirez que ça ne peut fonctionner qu'avec des apports qui sont à la fois des fonds publics et des fonds privés. Et c'est cela, qui est profondément intelligent ».
Et sur ce point, nous en sommes toujours à attendre que les collectivités locales et territoriales réagissent dans le respect et la bonne gestion de l'argent public, c'est-à-dire de l'argent des Français.
Pourtant, le Festival profite amplement de la Cité : cette année, dans le vaisseau Moebius, Uderzo et Jano ont pu découvrir les 'expositions qui leur étaient consacrées - sans contrepartie, ajoute-t-on. Et en s'appropriant joyeusement les lieux (ainsi qu'une belle salle de cinéma, pour des projections de documentaires). Pour certains, « la ville obéit aux injonctions de 9eme Art + », pour d'autres, la Cité n'a pas su défendre sa place devant le Festival. La vérité, c'est tout de même que la Cité de la BD est un espace présent annuellement, et à qui il conviendrait de rendre plus d'ampleur.
Valoriser le territoire, ou un ego ?
Un éditeur et festivalier régulier s'étonne : « Tout de même, un Festival, cela vit pour deux raisons : la première, c'est la valorisation de la profession et de la filière, c'est la présence même des éditeurs sur les stands. L'autre, c'est celle du territoire sur lequel il s'implante. Le Festival, ce sont quatre journées dans l'année - quand le Musée est ouvert tout le long de l'année, avec une structure qui offre des activités... Et l'on voudrait passer cela sous silence, voire l'inféoder au FIBD ? »
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
On sait que, prochainement, Gilles Ciment, fraîchement reconduit, doit recevoir une lettre de mission des collectivités qui financent son établissement. Mais si l'on se fie au protocole d'accord signé en 2012, par le FIBD et la Cité, et supervisé par l'ensemble des collectivités, ainsi que l'État, on peut prendre peur. Ce dernier avait pour vocation d'établir un modus vivendi entre la manifestation, d'origine privée, (en dépit de son large financement public), et l'établissement public. Dans les faits, on assistait presque à une mise sous tutelle, du second par le premier.
Terrible, parce que tous deux ont tout de même pour vocation de mettre en valeur la BD et l'image, avec pour finalité de valoriser, justement, le territoire qui accueille la manifestation et la Cité. On a l'impression que, contre les propres intérêts dudit territoire, le FIBD parvient à convaincre les collectivités de la légitimité de sa demande : faire disparaître la Cité dans le Festival.
En faisant un peu d'histoire, on se souviendra du rapport Ladousse, daté de janvier 2004, qui mérite un peu d'attention. Ce dernier préconisait plusieurs modifications avec la création « d'un établissement public de coopération culturelle (EPCC) à caractère industriel et commercial ». Celui-ci devrait regrouper alors le CNBDI, le Festival, et l'Observatoire de la bande dessinée/la Maison des auteurs ; tous trois travailleraient en bonne intelligence, pour faire rayonner la ville, associant collectivités locales, État et partenaires privés, professionnels et associatifs. (source)
Mais le bât finit par blesser : si le projet devait être examiné dans les semaines suivant la remise du rapport, finalement, il ne vit jamais le jour. On raconte, dans les cuves de Cognac, qu'à l'époque, l'Association derrière le Festival, prit peur, et, redoutant de disparaître, confia les clefs de son organisation à une personne. Ou plutôt, une société : 9ème Art+. C'était déjà le cas depuis un bail, mais cette fois, la société prenait toutes les rênes. Michel Boutant, sénateur de la Charente, avait pourtant prédit qu'à terme, tout serait regroupé ; la décision est toujours attendue.
Le refus de l'EPCC est contemporain du contrat de 10 ans. Finalement, tout le monde s'est retrouvé piégé dans cette histoire, comme on peut le découvrir dans cet entretien avec Francis Groux. « Ah ça, c'est terminé ! On a dit non, c'est très clair. Il se fera avec le CNBDI et La Maison des Auteurs. On était tous contre. Ils n'allaient quand même pas nous marier de force ! », expliquait en 2007 l'ancien président.
Des passerelles possibles, mais réellement souhaitées ?
Et la cohabitation se rafraîchit, entre l'établissement public et la manifestation. Gilles Ciment, sollicité par ActuaLitté, ne souhaite pas apporter d'eau au moulin polémique : « Nous pourrions travailler ensemble, dans une vraie complémentarité, en bonne intelligence et pour le bien de la manifestation et du territoire. La Cité dispose de nombreuses ressources, documentaires, muséales, monte des expositions de prestige, organise des formations, des colloques... » Autant de présences qui, à l'année, favoriseraient plus encore le Festival.
Et pour cause : quand on mesure, toutes proportions gardées, les différentes manifestations qui ont lieu ailleurs, on s'aperçoit très vite que tout fonctionne bien. La biennale d'Art contemporain profite abondamment de l'organisation, par le Musée d'Art contemporain de Lyon, d'une exposition spéciale. De même, le Festival de Cannes voit chaque année la coexistence de la Quinzaine des réalisateurs et de la Semaine de la critique, qui sont pourtant des concurrents directs de la compétition officielle du festival. Parfois même, leurs sponsors sont les mêmes. Comment en serait-il autrement pour Angoulême, qui n'a tout de même pas la même ampleur que Cannes ?
D'autant que les structures angoumoisines ne sont pas dans le même calendrier : chez l'un, l'événementiel domine, assurant la concentration d'auteurs, de rencontres avec le public, et d'activités, durant quatre journées. De l'autre, la préparation d'une exposition s'organise, comme pour tout musée, avec un temps plus ralenti. De même, il est plus facile de trouver des pièces rares et de se les faire prêter quand on dispose du label « musée de France », plutôt qu'une société événementielle. Mais le bien commun n'a pas la même définition pour un établissement public que pour une manifestation privée.
sebgonza, CC BY 2.0
Ainsi, les historiens de ce conflit pas vraiment larvé, se souviennent du lancement, avec Trondheim, des 24 heures de la BD, impulsées quand il fut président de l'édition 2007. Reprenant le concept 24 Hour Comics Day de Nat Gertler, 26 auteurs prirent part à l'événement, avec un fil conducteur : une boule de neige, reprise de case en case. Une BD fut d'ailleurs publiée par Delcourt, reprenant une sélection des histoires réalisées. Depuis cette année, les 24 heures de la bande dessinée furent reconduites. Une performance soutenue par... la Cité. Originellement, le projet fut lancé en coproduction entre le FIBD et la Maison des auteurs, mais la communication fut rapidement accaparée par... le FIBD.
De quoi mettre la puce à l'oreille, estiment certains. Car 9ème Art+ s'est fait une spécialité du dépôt de licences. Pour exemple, citons le Concert de dessins, ou encore le Pavillon Jeunes talents, marques déposées depuis 2005.
Alors, bien entendu, le FIBD est détenteur de ces marques, et quiconque tente de les utiliser se retrouvera rapidement avec un courrier d'avocat pour lui rappeler que l'on ne fait pas n'importe quoi avec elles. Mais qui est le FIBD dans ce cas ? L'Association loi 1901, ou son organisateur ? Ou l'organisateur mandaté par l'Association, plus simplement ? Dans ce cas, si l'organisateur actuel décidait de migrer, comme ce fut le cas, en 1998 à Grenoble, avec le soutien de Jacques Glénat, le FIBD aurait-il la possibilité de proposer des Concerts de dessin ou un Pavillon Jeunes talents sans ennuis ?
La Ville est-elle soumise à 9ème Art+, comme certains le prétendent ? Certes, que le Champ de Mars, par exemple, soit « aménagé » de manière à accueillir des tentes durant quatre jours, cela implique quelques adaptations en termes d'urbanisme de la part de la ville, mais dans quelle mesure le Festival influence-t-il l'ensemble de la politique culturelle ?
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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