Si, depuis 1989, il est de rigueur de considérer l’élève au centre du système scolaire, ces derniers temps, on semble laisser de côté les autres acteurs de l’Education nationale, à savoir les enseignants.
Que ce soit pour Vincent Peillon ou pour Najat Vallaud-Belkacem, quand on évoque la question du salaire, cela les fait sourire, chacun assurant que l’on ne fait pas prof pour l’argent. En revanche, on n’hésite pas à dépenser sans compter dans la course au numérique (voir notre article) et à monter des commissions pour réfléchir aux nouveaux programmes ou à l’évaluation (voir notre article).
Des moyens mais pas de résultats
Malgré les mauvais résultats successifs obtenus aux dernières évaluations PISA et les difficultés de recrutement dans de nombreuses disciplines ainsi qu’au niveau des professeurs des écoles, aucune prise de conscience n’intervient au sein du ministère de l’Education nationale. La formation continue reste un chantier en jachère sans parler d’une gestion des ressources humaines souvent aveugles et d’une médecine du travail toujours inexistante.
Pourtant, les moyens sont là, tant humains que matériels. En témoigne le budget 2015 de 47,4 milliards d’euros, 66,4 en y ajoutant les pensions. L’enseignement se paie même le luxe de voir ses moyens progresser d’1,1 milliard d’euros dans le temps où presque tous les autres ministères doivent se serrer la ceinture (voir notre article).
Sur 2013, tous acteurs confondus, les dépenses pour l’éducation se montaient à 144,8 milliards, selon le ministère de l’Education nationale. Alors pourquoi n’est-il pas possible d’augmenter le salaire des enseignants afin de les motiver tout en s’assurant aussi d’un recrutement de qualité ?
C’est d’ailleurs exactement ce que démontrent les études de l’OCDE : en augmentant le salaire des enseignants, on fait progresser les résultats des élèves. Une fois un niveau d’équipement satisfaisant des établissements scolaires atteint, faire augmenter le niveau des élèves nécessite de mieux payer les enseignants et de mieux gérer l’organisation des ressources humaines.
L’Education nationale : une structure particulièrement inefficiente
Une étude du think-tank européen Thomas More de 2012 avait épinglé le coût du modèle éducatif français par rapport à celui de ses voisins européens. Et plus particulièrement de l’Allemagne. Pourtant, les deux pays investissent à peu près autant d’argent dans l’Education. Au dernier classement PISA, la France se classait 25ème et l’Allemagne 16ème.
Si les enseignants allemands travaillent en moyenne 11 % de plus que leurs collègues français, ils sont payés 35 % de plus qu’en France, rapporte Le Figaro. Le taux d’encadrement des élèves est presque similaire à la France et les enseignants allemands sont un peu plus nombreux qu’en France. Dans l'Hexagone, « les coûts de structure et d'administration représentent 19,9 milliards d'euros de plus par an qu'en Allemagne.»
Des coûts de structure très importants
L’Allemagne consacre la moitié du budget de l’éducation aux salaires. Le problème se situe en grande partie sur le nombre d’établissements scolaires. L’Allemagne en compte un peu plus de 28 000 et la France 64 000, dont 52 600 écoles contre 7100 collèges. En moyenne, on compte 205 élèves dans un établissement français, c’est 417 en Allemagne. De ce côté, on pourrait économiser 13,6 milliards par an, selon l'institut Thomas More.
Les coûts de structure sont donc pharaoniques. Mais c’est le prix à payer quand tout un village en France manifeste pour éviter la fermeture d’une classe. Les élus cèdent. Résultat, il demeure très difficile de faire baisser le nombre d’établissements scolaires sur le territoire.
Autre problème, la France, qui avait engagé un vaste programme de décentralisation au cœur des années 2000, semble s’être arrêtée au milieu du guet pour l’Education nationale. Si des transferts importants ont été faits aux collectivités locales, le système demeure à deux têtes, avec une certaine schizophrénie. Les dépenses des collectivités locales en faveur de l’éducation ont d’ailleurs grimpé en flèche, dépassant largement les dotations venues de l’Etat. La dépense publique en faveur de l'éducation reste trois fois moins décentralisée qu'en Allemagne.
On devient enseignant pour d’autres raisons que le salaire
En attendant, on gèle le point d’indice des fonctionnaires depuis 2010 et on baisse le niveau de recrutement des nouveaux enseignants. Dans le même temps, inévitablement, les meilleurs professeurs s’investissent en dehors de leur établissement pour améliorer leur salaire mensuel.
Le métier se féminise toujours davantage (82 % de femmes dans le primaire et même 91 % pour le privé, contre 54 % il y a cinquante ans), rappelait en 2013 le Web pédagogique. Les nouveaux entrants dans le métier répondent souvent qu’ils ont choisi cette profession pour les vacances et le faible temps d’obligation de service.
Comme on dit, cette profession permet de « concilier vie professionnelle et vie familiale ». On peut ainsi voir grandir ses propres enfants en rentrant plus tôt à la maison. Et, même s’il faut travailler chez soi, il existe des marges de manœuvre importantes pour s’organiser.
Le « travailler plus pour gagner plus »
Sans réforme de structure, l’Education nationale n’a tout simplement pas les moyens d’augmenter ses enseignants. Et dire autre chose serait mentir. Remonter de quelques centimes le point d’indice quand la croissance reviendra ne fera qu’entrainer une dépense de millions supplémentaires pour l'Etat sans changer pour autant la situation des personnels. Et l’on se demande bien quelles sont les solutions proposées par les syndicats enseignants qui entendent demander une revalorisation salariale d’importance.
Durant son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait trouvé une forme de parade qui s’inscrivait dans la logique de son slogan « travailler plus pour gagner plus ». Avec la défiscalisation des heures supplémentaires et une prime donnée aux enseignants faisant plus de trois heures supplémentaires par semaine, tout le système était encouragé à faire monter le nombre d’heures par enseignant. Surtout qu’en parallèle, on supprimait des postes.
Un principe qui a cependant ses limites
L’idée était sans doute bonne car une réforme de structure de l’Education nationale n’est vraisemblablement pas pour demain. Mais inégalitaire car pour un professeur de français ou de mathématiques qui fait 18 heures par semaine, passer à 21 heures est presque un maximum possible tant cela ajoute du travail en préparation et en correction.
Du côté des enseignants en lycées professionnels, avoir un service de 26 heures par semaine est courant, une grande partie des cours se faisant en demi-groupe. L’autre solution mise en place par Nicolas Sarkozy était la généralisation de l’aide aux devoirs assurée par les enseignants. Cela permet d’ajouter des heures dans leur service, sur la base du volontariat, sans que ces heures n’entraînent des temps supplémentaires de préparation.
Les nécessaires réformes de structure
La seule solution resterait certainement de commencer à entamer d’importantes réformes de structures, sans doute en décentralisant davantage l’Education nationale, comme c’est le cas en Allemagne et dans bon nombre de pays. Il faudrait alors redonner du pouvoir au chef d’établissement afin qu’il puisse choisir ses équipes et donc avoir la main pour faire vivre une véritable gestion des ressources humaines qui reste toujours inexistante sur le terrain.
Résultat, que l’on s’investisse dans tous les projets possibles ou que l’on ne fasse que le minimum tout en arrivant souvent en retard, et même en manquant des jours fréquemment, la différence au finale sur la fiche de paie dans l’Education nationale reste anecdotique. Ce qui est tout de même affligeant et ne pousse pas les équipes à s’investir davantage pour la réussite de tous les élèves.
L’enseignant, ce modèle à ne pas suivre : plus qualifié mais moins payé
Sur le terrain, on brise les bonnes volontés, on casse des initiatives par manque de reconnaissance. Et qui dit reconnaissance dit aussi finance quoi qu'en disent les ministres de l'Education nationale. Certes, on ne devient pas enseignant pour l’argent mais avoir un système éducatif qui ne paie pas décemment ses enseignants, c’est tout simplement suicidaire.
Comment l’enseignant peut-il alors incarner un modèle aux yeux de ses élèves. On demande à ce qu’il ait un bac + 5, là où, avant, il ne fallait qu’un bac + 3. Mais, avec le gel du point d’indice, on se paie le luxe de payer moins cher un niveau de qualification plus élevé.
L’enseignant n’est tout simplement plus crédible quand il essaie de susciter de l’ambition chez ses élèves pour faire des études et lui-même commence à se poser des questions. Il incarne aussi d'une certaine manière une paupérisation de la classe moyenne qui a cru à l’ascension sociale grâce aux études.
Et, encore, on ne parle même pas ici des enseignants vacataires et du recrutement des assistants d’éducation, des personnels qui sont souvent dans des situations professionnelles et financières très précaires. Pourtant, leur rôle auprès des élèves est de la première importance.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Esparta Palma)
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