Alors que la suppression du redoublement vient d’être officiellement actée (voir notre article), il semble opportun de s’interroger sur les évolutions actuelles de l’Education nationale. Et comme souvent, hélas, lorsqu’on met en œuvre de belles idées sur le papier au profit des populations les plus en danger, la mise en application conduit régulièrement à instaurer un système qui dessert encore plus ceux que l’on voulait pourtant aider.
Le 27/11/2014 à 09:12 par Victor De Sepausy
Publié le :
27/11/2014 à 09:12
La volonté de faire disparaître la note chiffrée pourrait bien être la dernière illustration de cette spirale infernale de la bienveillance affichée alors même que les indicateurs de l’OCDE démontrent que la France est parmi les pays où le système scolaire est le plus inégalitaire, peu à même de corriger les écarts entre enfants, et plus porté à les renforcer.
Un système de moins en moins lisible
De l’école maternelle aux études supérieures, la logique actuelle semble de tout faire pour renforcer les inégalités en rendant le système de sélection toujours moins lisible, donc toujours moins facile à saisir pour les parents peu informés.
Cette logique, on la retrouve opérationnelle de façon très claire pour ce qui est des études supérieures. Un élève a beau avoir fait une scolarité des plus brillantes jusqu’à la terminale, tout est remis en jeu dans les choix d’orientation qui sont faits pour l’après-bac, ce que pourtant beaucoup de parents ignorent. Résultat, combien de talents partent dans des filières courtes faute d’avoir été suffisamment soutenus à la fois par l’institution et par leur famille. La suppression de la bourse au mérite n'arrange rien à cette situation.
Une sélection qui ne dit pas son nom dans le supérieur
Dans un récent article, le magazine Slate épinglait l’hypocrisie qui pèse autour de l’interdiction de la mise en place d’une sélection à l’entrée de l’université. Le résultat de cette pseudo interdiction, puisque sélection il y a forcément, comment pourrait-il en être autrement, ce sont les moins informés et les moins préparés qui trinquent.
Et certains universitaires prônent de ce fait la mise en place d’une véritable sélection qui serait moins préjudiciable à l’ensemble des aspirants étudiants. On remarque que les bac techno et pro forment des contingents très importants, assurant presque à eux seuls la montée en puissance du niveau bac pour une classe d’âge donnée, comme le constatait le Café pédagogique en 2012.
Mais ces derniers trouvent difficilement place dans les filières courtes et sélectives, types IUT ou BTS, des filières qui avaient pourtant été pensées pour eux. Cette situation résulte du choix des familles des élèves de bac général ayant un niveau moyen. On préfère alors assurer un bac + 2 plutôt que d’envoyer ses enfants à l’université.
La sélection qui ne s'affiche pas est finalement la plus rude
Résultat, les bacs pro et techno «courent à l’abattoir dans les filières de licence ». « Leur taux de réussite en licence y est effectivement très faible (13,5% pour les bacheliers techno et 4,6% pour les bacheliers pro) », précise Slate. C’est finalement parce qu’il n’y a pas de sélection à l’entrée en fac que les bacs généraux s’en détournent…
Et d’ajouter que « la ségrégation scolaire se développe, et la ségrégation universitaire se poursuit sur le même mode : non avouée, dans un cadre qui reste officiellement ‘unique’ et par la grâce des informations dont disposent les familles les mieux dotées en capital culturel comme disent les sociologues de l'éducation. »
Depuis des années, les facs perdent des élèves au profit de la myriade d'écoles sélectives qui continuent de voir le jour pour répondre aux inquiétudes des parents. Les bacheliers s'inscrivent alors à l’université par défaut, n’ayant pu être pris ailleurs. Si l’on assure qu’on oriente durant les premières années de fac, en réalité, on écrème. Mais toujours dans un cadre unique, en apparence…
Le mirage du cadre unique et de la pédagogie différenciée
C’est ce qui prévaut finalement depuis le primaire dans le système français. Supprimer le redoublement aujourd’hui, c’est supprimer la seconde chance que pouvait parfois laisser l’Education nationale. C'est d'autant plus dommageable qu'il est clairement établi que la date de naissance d'un élève influe sur sa trajectoire scolaire. Il ne sera plus alors possible de remédier à cette inégalité de fait.
« Les études consacrées aux effets du mois de naissance sur le destin scolaire des individus ont montré que la principale raison pour laquelle les élèves nés en fin d’année obtiennent des résultats scolaires inférieurs à leurs camarades nés en début d’année est qu’ils sont plus jeunes, donc intellectuellement moins ‘mûrs’, au moment du passage des évaluations » relevait ainsi Julien Grenet dans la Revue économique en 2010.
De son côté, dès 1965, Michel Gilly, dans la revue Enfance, assurait que « les enfants les plus vieux (nés au premier trimestre) ont plus d’une chance sur deux d’avoir pris de l’avance et très peu de chances d’avoir pris du retard (7,1 %), alors que les enfants les plus jeunes (nés au 4ème trimestre) n’ont pratiquement aucune chance d’avoir pris de l’avance et plus d’une chance sur deux d’avoir pris du retard ».
Même si la méthode du redoublement était très imparfaite, elle existait et l’on pouvait la tenter. Désormais, son usage sera très limité. On prône le suivi des élèves en grande difficulté grâce à la magie de la pédagogie différenciée. C’est-à-dire que l’enseignant, au sein du groupe classe, doit faire avancer chaque élève en fonction de ses capacités et de son niveau de départ.
Un système opératoire depuis de nombreuses années au sein du primaire et dont on vante la réussite au point de vouloir l’imposer dans le secondaire. Sauf qu’au bout du secondaire, il y a une nécessaire sélection qui s’établit. Aujourd’hui souvent en fin de troisième, mais de plus en plus en fin de seconde.
L'impossibilité de se comparer au groupe
La disparition des notes qui est de plus en plus mise en avant, sous prétexte de bienveillance et pour dédramatiser l’échec, va encore accentuer l’illisibilité du système pour les parents non informés. On leur assurera alors que leur enfant fait des progrès mais il sera de moins en moins possible de savoir comment il se place par rapport au groupe. Or la sélection se fait précisément par rapport à ce même groupe…
Avec le fonctionnement par cycle de certains niveaux clefs, on renforce également ce phénomène. Ainsi du CP lié au CE1 : lorsqu’un élève n’a pas atteint le niveau requis en fin de CP, il passe en CE1 où il pourra continuer d’avancer à son rythme.
Mais cette théorie du « il faut respecter le rythme de l’enfant » a ses limites, surtout s’il n’est plus possible de redoubler. Et surtout lorsqu'on s'aperçoit que, comme par hasard, ce sont bien plus souvent les enfants des classes défavorisés qui ont besoin de plus de temps...
Une fois en sixième, l’élève sera tout simplement en perdition, faisant partie de cette frange croissante qui ne sait pas bien lire ni écrire et à qui l’on va tout de même tenter d’enseigner l’anglais, les arts plastiques, l'histoire, la géographie, la musique, la technologie, les sciences de la vie et de la terre et j’en passe.
Le collège unique : un système inique pour les élèves en grande difficulté
Le collège unique dans sa forme actuelle ne permet pas d’aider un enfant qui arrive en sixième sans maîtriser correctement la lecture et l’écriture. Affirmer le contraire relève tout simplement du mensonge.
Au pire, l’élève en grande difficulté à l’entrée de la sixième ressortira de troisième en ayant perdu toute confiance en lui, tout en ayant moins de connaissances qu’en fin de primaire. Au mieux, il aura fait quelques minimes progrès en quatre ans tout en passant le plus clair de son temps à s’ennuyer puisqu’incapable de suivre les enseignements dispensés.Et l'on ne parle même pas ici du comportement que ces situations induisent chez les élèves les plus en difficulté.
Les systèmes mis en place, tel que le PPRE (programme personnalisé de réussite éducative), se résument souvent à des constats d’échec. On n’est même pas loin du mensonge organisé. Les parents croient que l’Education nationale va s’occuper de la difficulté de leur enfant alors qu’aucun moyen n’est véritablement débloqué.
Une solution : mettre de gros moyens au service des élèves les plus en difficulté
La seule possibilité de soutenir les élèves qui décrochent, c’est de les prendre en tout petit groupe, pas plus de cinq, durant plusieurs mois, voire une année, afin de leur fournir un soutien véritablement personnalisé pour les remettre ensuite dans le circuit classique. C’est d’ailleurs ce qui se fait dans de nombreux pays nordiques dont on vante sans cesse les mérites.
Face à ces élèves, il faudrait des enseignants spécialement formés, motivés et très bien rémunérés. La rémunération serait effectivement l’assurance de recruter les meilleurs là où il faut effectivement les meilleurs, c’est-à-dire en face des élèves les plus faibles. Le système français a plutôt tendance à faire exactement l’inverse.
Le milliard six cents millions d’économie que le Cnesco promet grâce à la suppression des redoublements pourrait être utilement investi dans la création de ce type de dispositif. Mais, hélas, ces sommes risquent surtout de ne jamais réapparaître nulle part…
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Pink Sherbet Photography)
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