Bien avant la création du Groupement des Auteurs de Bande dessinée du SNAC, en 2007, les dessinateurs ont, à maintes reprises, montré leur capacité à s’unir pour défendre leurs intérêts face aux éditeurs ou au législateur. Dès 1905, il existe une Société des dessinateurs humoristes, association d’entraide qui se propose de prêter assistance aux artistes dans le besoin en organisant chaque année un Salon des Humoristes (lequel perdurera jusqu’en 1955). Texte du discours prononcé le 29 janvier 2016 lors de la présentation de l’étude auteurs à Angoulême, lors des Etats-Généraux de la BD.
par Thierry Groensteen
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Vers 1910, Jules Grandjouan, dessinateur, peintre et affichiste, conçoit le projet d’une « Association des Imagiers », ayant pour but de défendre les intérêts matériels des dessinateurs de journaux. Il existe un brouillon de sa main définissant les dix objectifs que se proposerait cette Association. L’article 10 est passablement radical : « étudier la constitution d’une société syndicale des Imagiers qui essaierait, par la publication d’albums d’abord, de journaux ensuite, de supprimer l’intermédiaire des éditeurs ». Il faut dire que Grandjouan professe des convictions révolutionnaires et libertaires. L’Association qu’il projetait ne vit pas le jour.
En 1918, une Fédération des artistes mobilisés est instituée, pour aider les dessinateurs revenus du front qui n’ont plus de travail. Elle rassemble jusqu’à 4000 membres, toutes professions artistiques confondues. Il est nécessaire de préciser qu’au début du XXe siècle, les dessinateurs de bande dessinée ne constituent pas encore une catégorie distincte. Ils se confondent avec les caricaturistes, les illustrateurs, les dessinateurs de presse et mènent souvent de front plusieurs activités graphiques.
De cette Fédération naîtra l’union des Artistes Dessinateurs de France (uADF) en 1920. Son principal animateur sera André Galland, qui préside l’uADF à partir de 1934, la relance en 1944 et en garde la présidence jusqu’en 1957.
L'aventure de la carte de presse
C’est dans le sillage des nouveaux droits acquis par les journalistes que les dessinateurs de presse vont obtenir un début de statut professionnel. Dans l’entre-deux-guerres, les journalistes, unifiés par un puissant Syndicat national, acquièrent d’authentiques privilèges professionnels, notamment dans le domaine de l’impôt. Dès 1929, en marge de l’Association professionnelle des journalistes parlementaires sur laquelle elle prend modèle, une Association professionnelle des dessinateurs journalistes s’est constituée. En 1935, le Parlement assimile la catégorie des « reporters-dessinateurs » au statut de journalistes, avec les mêmes privilèges : préavis de licenciement ; indemnité en cas de congédiement de l’employeur ; congés annuels (un mois à cinq semaines) ; revalorisations de traitement convenues par une commission paritaire... En janvier 1936, le dispositif est complété par la création de la carte de journaliste délivrée par une commission mixte.
Pour bénéficier de cette « carte de presse », un dessinateur doit être rattaché à un journal et publier des dessins ayant trait à l’actualité. Dans cette période de l’entre-deux-guerres, quelques dessinateurs de bande dessinée parviennent à l’obtenir, généralement au titre d’une autre partie de leur activité. Ainsi, Alain Saint-Ogan l’obtiendra quand il prendra la direction de Benjamin [revue BD pour les plus jeunes], dans les années quarante.
En octobre 1935, le Syndicat des dessinateurs de journaux (SDJ) voit le jour. Ce syndicat obtient une revalorisation de 10 à 15 % du tarif des œuvres, dont le montant marquait le pas depuis la guerre. Elles seront désormais payées mensuellement, et non au moment de la publication, comme auparavant. Le SDJ s’attelle aussi au règlement de l’épineuse question des droits d’auteur, les dessinateurs se montrant bien peu satisfaits des services du Syndicat de la propriété artistique (ancêtre de la SPADEM). Le SDJ représente principalement des dessinateurs de presse, mais également des auteurs de bande dessinée. Il disparaît avant la guerre.
(Jeremy Rozier, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Le relais est opéré par un syndicat à l’appellation plus restrictive, le Syndicat des Dessinateurs de Journaux pour Enfants (SDJE), créé le 15 janvier 1946. Alain Saint-Ogan se voit confier la présidence. Le Rallic, Marijac, Liquois et Bob Dan (Robert Dansler) font partie des fondateurs. Le SDJE représente une première autonomisation au sein de la profession des dessinateurs de presse : pour la première fois, il distingue ceux qui se sont spécialisés dans la presse pour enfants.
Alors que les dessinateurs français sont « attaqués par la concurrence américaine », le SDJE se bat surtout pour obtenir des éditeurs un quota de 75 % de dessins français dans leurs journaux, et réclame qu’une loi soit votée en ce sens. Mais la loi n° 49-956 sur les publications destinées à la jeunesse, votée le 16 juillet 1949, n’inclut aucun système de quota. Cédant au lobby des éditeurs, le Conseil de la République a rejeté cette disposition jugée trop « protectionniste ». Jusqu’au début des années soixante, les dessinateurs français chercheront, en vain, à la faire réintroduire.
En cette année 1949, le SDJE et l’uADF, sont réunis avec d’autres syndicats au sein d’une Fédération Nationale des Artistes Dessinateurs et Créateurs, dont le Président est, une fois encore, Alain Saint-Ogan.
En janvier 1956, Goscinny, Uderzo et Charlier, qui travaillent pour l’agence World Press à Bruxelles, ont l’intention de constituer un Syndicat autonome de dessinateurs et scénaristes chargé de défendre leurs intérêts collectifs en matière de prix des planches et de droits d’auteur générés par les albums. un projet de « charte » est élaboré, qui recueille quatorze signatures, parmi lesquelles celles de la fine fleur de la BD belge : Jijé, Franquin, Morris, Rosy, Will... Quand il l’apprend, le patron de l’agence, Georges Troisfontaines, décide d’évincer Goscinny. Uderzo et Charlier quitteront la World par solidarité. Ces trois auteurs seront à l’origine de l’hebdomadaire Pilote en 1959.
Cette année-là, Jean Trubert succède à Saint-Ogan comme Président du SDJE. Il occupera le poste jusqu’en 1968, remplacé ensuite, pour un an, par Raymond Poïvet. Pierre Le Goff prend ensuite la présidence et redynamise le syndicat, aidé par sa femme Jacqueline, coloriste. Pour tenir compte de l’apparition d’une bande dessinée adulte, le SDJE est rebaptisé Syndicat National des Dessinateurs de Presse (SNDP).
L’uADF va, elle aussi, être rebaptisée à plusieurs reprises. Elle est toujours active aujourd’hui, sous le nom d’union Nationale des Peintres Illustrateurs (uNPI). Le 31 décembre 1975 est votée la loi n° 75-1348 « relative à la sécurité sociale des artistes auteurs d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques ». C’est dans ce cadre que l’Agessa et la Maison des Artistes sont agréés pour gérer ce régime.
La transformation des auteurs BD en auteurs de livres
Après 1968, le SNDP incite les dessinateurs de bande dessinée à demander la carte de presse, et s’emploie à convaincre la Commission paritaire (composée de journalistes et de patrons de presse) du bien-fondé de cette revendication. Le 10 juin 1974, une décision du Tribunal administratif de Paris donne raison à deux dessinateurs (Louis Cance et Roger Bussemey) qui avaient été déboutés par la Commission.
Par ailleurs, la différence entre le statut de journaliste salarié et celui de pigiste est effacée le 4 juillet 1974 avec le vote de la loi Cressard, qui reconnaît aux journalistes pigistes le statut de journaliste professionnel et des indemnités de licenciement. De sorte que, sous l’effet conjugué d’une décision de justice et d’une évolution de la législation, les dessinateurs de bande dessinée seront de plus en plus nombreux à se voir accorder le statut de journaliste et à obtenir la carte de presse. Les autres sont inscrits à l’URSSAF comme travailleurs indépendants ; ils perçoivent des indemnités et doivent cotiser à l’Agessa (au lieu de bénéficier de la Sécurité sociale des salariés).
Membre du SNDP, le dessinateur Roland Garel (1930-2015) crée une section de « reporters-dessinateurs » à la CFDT, à laquelle adhèrent de nombreux caricaturistes et auteurs de BD. Bon connaisseur du Droit, Garel – secondé notamment par Pierre Dupuis – défend ses collègues et leur fera gagner de nombreux procès, entre autres contre les rédactions de Pif et de Mickey. Dans les années 70, la profession est donc essentiellement représentée par deux syndicats, communément désignés comme « le syndicat Le Goff » (le SNDP) et « le syndicat Garel » (la CFDT).
Mais les éditeurs de bande dessinée se transforment peu à peu en éditeurs de livres. Le nombre d’albums ne cesse d’augmenter alors que, dans le même temps, la presque totalité des magazines « historiques » disparaissent : Métal hurlant en 1987, Tintin en 1988, Pilote en 1989, Pif en 1993, (À suivre) en 1997...
Cette évolution transforme les auteurs de BD en auteurs de livres. Dès lors, ils perdent la carte de presse et les avantages conquis par les générations précédentes, et redeviennent travailleurs indépendants. Les grands éditeurs tentent d’abord de sauver leur niveau de rétribution en conservant le principe d’un prix à la page, soit sous la forme d’un fixe, soit sous la forme d’une avance récupérable sur d’hypothétiques droits dérivés (prépublications éventuelles, éditions étrangères). Puis, ces dernières années, confrontés à l’effondrement des ventes, ils abandonnent le prix à la page pour ne plus donner que des à-valoir.
Avec la création de l’ADABD (Association des Auteurs de Bande Dessinée) puis du Groupement des Auteurs de Bande dessinée, généralement désigné comme « Syndicat BD » ou « SNAC BD », et récemment, en Suisse, de la Swiss Comics Artists Association, de nouveaux mouvements sont apparus, dans un contexte de précarisation de la profession. Il leur appartient de trouver des réponses aux nouveaux défis que posent la crise de l’édition et les mutations technologiques.
Par La rédaction
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