Qu’est-ce qui se cache derrière la pompeuse formule de « refondation de l’Ecole » avancée par l’actuel gouvernement ? A peu près rien, à part un prolongement des réformes conduites au sein de l’Education nationale, du primaire au lycée, depuis au moins trente ans.
Le 21/05/2015 à 00:02 par Victor De Sepausy
Publié le :
21/05/2015 à 00:02
Or, et tous les résultats s’accordent sur ce point, le système éducatif français est un désastre humain et financier. Autrement dit, pour les sommes dépensées, le retour sur investissement est d’une médiocrité rare. Laisser sortir du collège unique plus de 20 % d’une classe d’âge sans une maîtrise correcte de l’écriture et 20 % avec un niveau primaire en maths (voir notre article) est plus que révoltant. C'est du gaspillage.
C’est un énorme gâchis qui se retrouve ensuite dans le fort taux de chômage des jeunes, ce qui conduit durant les décennies qui suivent la sortie du système scolaire à des dépenses sociales en hausse. Soit autant de mal-être à soigner et des vies brisées. Ce sont aussi ni plus ni moins que des points de croissance et de bonheur pour l’ensemble de la nation qui nous échappent chaque année.
Dans les débats qui se cristallisent aujourd’hui autour de la réforme du collège, personne d’ailleurs ne demande le maintien d’un statu quo. Seuls les menteurs affirment le contraire. Tous les hommes politiques de droite comme de gauche qui ont fait entendre leur voix ces derniers jours demandent des réformes importantes. Même les syndicats enseignants sont d'accord sur ce point, du SNALC à FO en passant par le SNES.
Mais vouloir continuer dans la même ligne que ce qui se fait depuis plusieurs décennies est d’un aveuglement rare. Avant même que le collège ne soit désigné comme le maillon faible du système scolaire français, on parlait du primaire. Cependant rien n’a été fait de considérable pour assurer un changement radical. La pseudo réforme des rythmes scolaires n’apporte presque rien. Et l'on ne peut pas dire qu'on soit allé beaucoup plus loin.
Si l’on fait le point sur ce qui a été enlevé depuis 2012, on pourrait peut-être se donner les moyens de vraiment soutenir tous les élèves qui en ont besoin, du primaire au lycée pour assurer véritablement la réussite de tous.
Suppression de l’accompagnement éducatif
La suppression de l’accompagnement éducatif (voir notre article) au prétexte de n’en faire bénéficier que les établissements des zones sensibles est aberrante. S’il n’y avait jusque-là qu’une chose qu’on pouvait proposer aux parents quand leur enfant était en grande difficulté, c’était bien de participer à l’accompagnement éducatif. A la rentrée 2015, cette solution appartiendra au passé pour la très grande majorité des établissements.
Désormais, on ne pourra rien proposer, à part de se tourner vers les boîtes de cours particuliers à domicile. C’est comme si une entreprise, incapable de satisfaire les demandes de ses clients leur disait d’aller s’adresser directement à la concurrence car elle offre des produits plus appropriés à leurs besoins.
Quant à tenir un autre discours aux parents des 20 % d’élèves qui arrivent en sixième en situation d’échec, c’est tout simplement leur mentir. Le système français ne leur propose rien, pas plus dans l’actuel collège que dans le projet pour 2016. Seulement d'attendre la sortie du collège...
Suppression du redoublement
Le redoublement a longtemps été accusé de tous les maux. On pondait régulièrement des études qui démontraient qu’un élève qui avait redoublé au tout début de sa scolarité avait de fortes chances de connaître des difficultés dans la poursuite de ses études. Il n’y avait pas vraiment besoin de conduire des études pour arriver à une telle tautologie.
Résultat, on a décidé de supprimer purement et simplement le redoublement (voir notre article). Certes, ce n’était pas vraiment une bonne solution, et souvent un pis-aller, mais cette possibilité avait le mérite d’exister face à un élève en grande difficulté.
Cependant le problème maintenant se situe véritablement ailleurs : que fait-on une fois que l’on a supprimé le redoublement ? Quelles solutions alternatives mettons-nous en place pour aider les élèves en échec scolaire ? Rien.
Pourtant, tous les pays qui ont supprimé le redoublement proposent d’autres solutions. Mais en France, on s’en est tenu à la seule suppression croyant que, comme par miracle, cela allait faire baisser le nombre d'élèves en situation d'échec scolaire.
Or, l’Institut des Politiques Publiques assure qu’il s’agit là d’une économie à venir de deux milliards d’euros par an (voir notre article). Ce n’est pas tout à fait une paille sur un budget de 65 milliards (voir notre article). Autrement dit, on peut en faire des choses pour les élèves en difficulté avec deux milliards d’euros.
Supprimer le latin et toutes les autres filières supposées d’excellence ?
La réforme 2016 du collège organise la suppression de tous les contenus optionnels qui permettaient de faire perdurer, au sein du collège unique, des inégalités insupportables. On donnait plus à ceux qui ont toujours eu plus, aussi bien dans leur famille, à la maison, que sur les bancs de l'école, depuis leur première entrée en maternelle.
Il y aurait beaucoup à dire sur un tel raccourci. On n’enseigne plus le latin comme il y a vingt ans et cela fait longtemps que dans les collèges on travaille à organiser la répartition des bons élèves dans toutes les classes. Quand il y a des options, les élèves qui suivent ces enseignements sont aujourd’hui partagés dans plusieurs classes pour éviter de former des classes élitistes.
Cependant, on ne peut nier que le constat fait par certains part d’une forme de réalité et suivre des options au collège, que ce soit du sport, de l’allemand ou du latin, a toujours été une façon d’essayer d’éviter de tomber dans la classe des fils et filles de n’importe qui. Et le résultat était le suivant : les élèves moyens, bons et très bons avaient droit, pour le même tarif, à plus d’heures de cours par semaine, ceux-là mêmes qui sont déjà amplement soutenus chez eux.
Mais que fait la réforme du collège 2016 de toutes ces suppressions ?
C’est bien la question qu’on est en droit de se poser car si on fait les comptes, on arrive à des économies substantielles. Entre la suppression des options, celle du redoublement, et celle de l’accompagnement éducatif, il y a des moyens à revendre surtout que presque rien n'est allé à la revalorisation des salaires des enseignants, mis à part pour ceux exerçant dans les zones sensibles.
Mais la seule logique qui prime est celle d’un égalitarisme, autrement dit une égalité de façade. Or, dès qu’un élève de trois ans franchit la porte de l’école primaire, les inégalités sont déjà là, depuis le berceau, elles se sont instaurées d’une famille à l’autre.
Il faut partir de ce constat pour véritablement aider tous les élèves. Une fois qu’on a compris que la mission de l’école n’était pas forcément de donner plus à ceux qui ont déjà beaucoup, il reste à comprendre qu’il faudrait donner beaucoup plus à ceux qui n’ont presque rien.
Ces moyens devraient servir, dans une réforme du collège digne de ce nom, à mettre les élèves en situation d’échec scolaire à l’entrée en sixième dans la situation de sortir du collège avec un niveau satisfaisant, autant en mathématiques qu’en français. Avec, en plus, la maîtrise d’une première langue et une culture générale acceptable aussi bien en histoire, en géographie qu'en musique ou en arts plastiques.
Or la réforme proposée par le ministère ne fait pas ce choix-là. Pourquoi ? Certainement parce que l’actuel gouvernement n’est pas assez fort pour avancer, pour faire quelque chose qui ne serait pas dans la demi-mesure. L'impopularité dont bénéficie François Hollande bloque beaucoup de possibilités et l'on ne s'en tient plus alors qu'à de l'agitation de façade, de la communication, des mots.
Il faudrait pourtant donner bien plus d’heures aux élèves en grande difficulté, concentrer tous les efforts sur eux. Et non pas simplement à coups de deux ou trois heures par semaine, ce qui n’est que du bricolage et n’amène à aucun résultat sensible. La Cour des Comptes ne dit pas autre chose (voir notre article).
Mettre les meilleurs face aux élèves les plus en difficulté
Une réforme digne de ce nom s’attacherait à mettre les meilleurs enseignants devant les élèves les plus en difficulté. On peut comprendre que les meilleurs enseignants, au moins du point de vue des savoirs, se retrouvent devant les meilleurs élèves, c’est le principe des prépas françaises.
Mais qu’il n’y ait pas le pendant pour les élèves en grande difficulté est proprement injuste, inexplicable. Recrutés sur profil et formés de façon efficace, des enseignants payés aussi bien que les profs de prépas seraient en charge de petits groupes d’élèves en difficulté au collège afin de les aider à reprendre le train en marche. Voilà déjà une proposition qui aurait du sens à tout point de vue.
Des enseignants très bien formés et très bien payés
Ces coachs d’un nouveau genre en France pourraient réussir là où leurs collègues ne peuvent rien faire dans une classe à 25 ou 30 élèves. Dire le contraire, c’est mentir. Impossible aujourd’hui de s’occuper réellement des élèves en grande difficulté. Aux enseignants du collège qui échouent à aider efficacement leurs élèves en difficulté en classe entière, on vante toujours les mérites de la pédagogie différenciée mise en place au primaire.
Mais, comment peut-on mettre en avant des pratiques qui pourtant ont bien montré leur inefficacité. Il n'y a qu'à voir le nombre d'élèves qui entrent en sixième en situation d'échec scolaire, n'ayant pas les bases minimales pour suivre (20 %, selon l'Education nationale).
Après, on peut toujours discuter des modalités de constitution des petits groupes d'élèves en difficulté. Cela pourrait se faire, pour une classe donnée, uniquement durant les cours de français, maths, histoire et première langue. Le reste de la classe serait pris en charge par un enseignant classique quand ceux qui ont besoin de plus seraient mis en face d'experts, rémunérés, choisis et formés en conséquence.
C'est en face de ceux qui échouent qu'un véritable bon prof se reconnaît. Face aux bons élèves, que vous mettiez un bon ou un mauvais prof, le préjudice ne sera pas très lourd. Les bons élèves sauront toujours en retirer quelque chose. C'est d'ailleurs une formule régulièrement entendue dans les salles des profs : l'enseignant est véritablement utile pour les plus faibles.
Pour les autres, cela ne change pas vraiment la donne. La majorité des très bons élèves n'a pas attendu de se trouver devant un bon prof pour réussir. En revanche, les élèves en grande difficulté n'avanceront pas sans croiser un excellent prof en face.
Au moins, avec un tel système, on serait sûr que ceux qui sont au fond, qui souffrent, parfois en silence mais pas toujours et on les comprend, sortent avec plus à la fin du collège, et non pas avec moins, comme c’est le cas aujourd’hui. Avec, en plus, une casse psychologique difficilement réparable.
Combien d'anciens élèves pourraient intenter des procès à l'Education nationale pour destruction de la confiance en soi, une maltraitance psychologique qui aura des conséquences sur toute la vie de ces adultes encore en devenir...
La communication plutôt que l'action
En attendant, on perd du temps, on discute, on assure qu’on réforme. Rendez-vous dans dix ans pour voir les beaux résultats de la réforme du collège 2016, une réforme qui montre simplement qu’au plus haut niveau de l’Etat, la priorité, c’est la communication, non l’action.
Ce sont alors ceux qui ont le mieux appris à dire qu’ils font qui réussissent et non ceux qui font, sans forcément avoir appris à bien dire ce qu’ils arrivent à faire. Triste époque.
Les enseignants du collège vont être condamnés à ne pas avoir de solutions à proposer aux parents qui ont des enfants en grande difficulté scolaire. Le seul discours qu’ils pourront tenir, c’est de faire culpabiliser les parents : ils ne soutiendraient pas assez leurs enfants. Voilà la belle raison de l’échec.
Mais allez tenir ce discours à des parents qui ne parlent presque pas le français, qui sortent du travail à 19h voire plus tard. Allez tenir ce discours aux parents qui n’ont pas fait d’études, qui ont eux-mêmes subi l’échec scolaire. Le système français, en perpétuant une égalité de façade, continue de maintenir une inégalité réelle.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - ishmel daro)
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