Léonard, un être égocentrique, brutal et cruel
Si les héros sont éternels, leur recyclage confine parfois à l’acharnement : on devrait leur laisse l’opportunité d’une retraite amplement méritée. Avec la sortie du 47e tome de Léonartd, création de Turk et Groot, le génie allait encore sévir. Et son Basile de disciple va goûter du tromblon velu, velu, velu... Et le lecteur de tâter de la plume de Zidrou, qui prend la suite de Groot pour le scénario. Or, plusieurs passages ont suscité des réactions pour le moins inattendues, quand on parle de ce personnage.
La bande dessinée, quand elle reprend de grands héros, se heurte parfois à des écueils prévisibles. On se souvient que Gaston Lagaffe avait servi d’inspiration à un Cubitus orphelin de Dupa, depuis des années déjà. Mais un gag qui en rappelle un autre est une chose. Une crise identitaire en est une autre.
C’est ainsi qu’au fil des pages, une étrange ambiance se dégage, avaient alerté des lecteurs et lectrices. « Que Léonard soit prévu pour les lecteurs de 7 à 77 ans, c’est une chose, mais cette nouvelle mouture laisse une amertume désagréable en bouche. On arguer l’humour, évidemment, mais qui s'excuse s'accuse », indique une lectrice mécontente. Après lecture du tome, indéniablement le lecteur attentif observe des changements. Ce 47e et nouveau tomen Master Génie, introduit des notes qui ont pu choquer.
Dès la première planche, le disciple fait preuve d’appétits inattendus, nous fait-on observer. « Si l’on double cela de la remarque du chat Raoul, cela passe à la limite du mauvais goût », ont souligné des lecteurs.
Dans le prolongement de ce gag, un geste déplacé de Léonard vis-à-vis de Mathurine provoque également l’étonnement. Effectivement, le geste est sans appel, appuyé par l’onomatopée que l’on redouble, « pour être certain que le lecteur comprenne de quoi il s’agit ». Oui, c’est ce que l’on appelle vulgairement une main aux fesses. L’honneur de la dame sera sauf, elle mettra un grand coup de rouleau à pâtisserie sur le crâne du génie...
Pour d’autres, les représentations d’hommes et femmes préhistoriques versaient dans un cliché – assez habituel, mais pas nécessairement adroit : deux femmes tirées par les cheveux, traînées à terre, et une autre qui se fait poursuivre par un mâle avec un gourdin.
Mais c’est surtout un gag portant sur une publicité qui a marqué les esprits. « Derechef, l’honneur sera sauf, Léonard reprendra un coup sur le crâne, mais manifestement, le précédent coup n'y avait rien fait rentrer... Et le traiter de vieux macho ne change pas grand-chose », insiste une lectrice. Il est vrai que, de mémoire, le Génie de Turk et Groot n’avait jamais eu pareil comportement.
Et puis, ce dernier gag où Leonard se lance dans un roman graphique, et réinvente le marketing avec des séances de dédicace, fait sourire. C’est toute la condition des auteurs – plus spécifiquement des dessinateurs – de bande dessinée qui est pointée : la gratuité des dédicaces. Et d’évoquer directement Angoulême mettra un peu plus de mordant encore. Mais c’est l’une des demandes formulées par les gens qui viennent pour avoir leur dessin qui est pointée du doigt.
« "Dessiner une femme nue", voilà donc à quoi Léonard, pour survivre en librairie, en est réduit ? » On comprend bien que c’est la vie de dessinateur qui est mise en perspective – seul face à des demandes parfois déplacées de la part des lecteurs venus obtenir une dédicace. Une histoire de fin et de moyens ?
Gauthier van Meerbeeck, directeur éditorial du Lombard, expliquait récemment à ActuadBD que « Zidrou n’a jamais été canalisable ! Et ne le sera sans doute jamais ! (Rires) Ce qui ne l’empêche pas de détenir les deux qualités les plus importantes d’un très bon repreneur selon moi : un immense talent de scénariste, avec un panel de ton et de récits très large ; ainsi qu’une connaissance et un amour infini des personnages. Jamais de cynisme ou de calcul chez Zidrou ! Je suis venu le trouver et il a accepté par passion des personnages de Léonard et pour le plaisir de travailler avec Turk. »
Sollicité par ActuaLitté sur les passages pointés dans l’album, il assure que le scénariste « est à mille lieues d’être sexiste ou misogyne. Ces idées sont tellement éloignées de sa façon de penser et de réfléchir. Certes, il apporte une note plus adulte, c’est dans son état d’esprit, mais il n’y aura jamais de pique-nique torride du disciple montré. Que Basile le disciple s’intéresse à la gent féminine, et qu’un rapport différent aux femmes soit apporté peut être vu comme la patte de Zidrou ».
Et de revenir sur le personnage de Léonard lui-même : « Les gags autour de cette création ont toujours montré un homme cynique, désabusé par les autres et leur infériorité, qui maltraite tant le disciple que les gens autour de lui. Léonard est totalement égocentré, et jamais un personnage positif. Il est génial, et à ce titre, totalement focalisé sur sa personne. »
À ce titre, la création de De Groot et Turk n’aurait pas changé dans ce 47e opus. « Il n’est pas aberrant que Léonard se comporte de la sorte, mais le sexisme est une mauvaise accusation. Si l’on revient dans tous les autres tomes, son comportement est toujours brutal, obnubilé qu’il est par ses inventions et son génie. »
D’ailleurs, poursuit Gauthier van Meerbeeck, Léonard se fait toujours recadrer, « et le personnage de Mathurine s’impose sen fait : elle n’est plus la boniche. C’est celle qui tape sur un vieux macho, lequel en prend pour son grade. » L’éditeur reconnaît volontiers une maladresse concernant la publicité pour le shampoing qui donne des idées aux femmes, mais « ce n’est certainement pas dans l’intention de Zidrou ».
Quant au gag Au Gay l’an neuf, il procède de la manière dont le scénariste travaille : « Il soulève des problèmes de société et des comportements intolérants. Ici, c’est très clair : Léonard est le progressiste, qui veut inventer le mariage gay, Disciple est le réac effrayé. On parle de préjugés, et on les dénonce, c’est d’ailleurs l’objet de la dernière case. Peut-être que le gag n’est pas bon, mais entendre autre chose ne serait pas juste. C’est aussi dans l’époque : on a tendance à chercher la petite bête et à penser à mal... »
L’éditrice de l’ouvrage, Nathalie Van Campenhoudt, avait déjà fait paraître un livre justement orienté contre le sexisme, Les crocodiles. Elle nous précise : « La présence d’un nouveau scénariste modernise et change le ton de la série. Mais, d’abord, je suis très investie, à titre personnel sur ces questions de sexisme. Et je refuserai qu’à travers les BD que j’édite, des messages néfastes soient véhiculés. Plus généralement, notre maison est particulièrement attentive aux publications, spécifiquement celles destinées au grand public et à la jeunesse. »
Pour elle, donc, les situations pointées sont peu après dénoncées, par le comportement de Mathurine, qui agirait comme une sanction contre, justement, les marques de sexisme. « Zidrou a introduit des problématiques contemporaines, sur la relation aux femmes, par exemple. On en revient toujours à la question, peut-on rire de tout ? À partir du moment où les comportements sont dénoncés, il me semble que oui. »
Et puis, il relève de la liberté des auteurs que de développer de nouvelles approches. « Le public de Léonard est plus âgé. Que le disciple ait des fantasmes, pourquoi pas ? » Et pour le shampoing ? « Celui-ci avait été très discuté avec les auteurs, mais la narration ne laisse aucune place au doute. »
Pour l’éditrice, notre société opère une prise de conscience du respect dû aux femmes. « C’est très positif, et moi-même je milite pour cela. Comprendre ce qui n’est pas acceptable est une chose. Mais on ne doit pas être dans l’exagération ni tout analyser pour le prendre mal. Il existe une juste mesure dans la manière de comprendre les choses. »
D’ailleurs, s’interdire certaines approches ou sujets, « ne serait-ce pas aller trop loin ? Que les lecteurs soient vigilants est une excellente chose, parce que notre devoir d’éditeur réside aussi dans la sensibilisation. Bien entendu, nous tiendrons compte de ces remarques – et nous en avions parlé avant publication. Ensemble, nous avions estimé que le récit était suffisamment clair. Sinon, on peut aussi critiquer la cruauté constante de Léonard, qui fait intrinsèquement partie du personnage. Léonard, c’est avant tout un humour de cartoon... »
1 Commentaire
ROMAN
12/06/2022 à 11:41
Mensonges! Dragon Ball est sexiste mais pas Léonard