ENTRETIEN – Directeur général de la New York Public Library, Anthony Marx sera présent à Paris, dans le cadre du Tandem Paris-New York. En amont de cette rencontre, il répond à ActuaLitté : lecture, accessibilité, numérisation, prison et prêt numérique, autant de sujets cruciaux pour l'établissement.
Le 06/10/2016 à 11:28 par Antoine Oury
Publié le :
06/10/2016 à 11:28
Catherine Cronin, CC BY SA 2.0
Anthony Marx : Les bibliothèques de la ville, comme la plupart des institutions et organisations, ont subi des compressions budgétaires suite à cette crise de 2008. Dans un effort pour réduire les dépenses, la ville a lentement coupé le budget de fonctionnement pour les établissements, d’environ 65 millions $. La New York Public Library a pris des mesures pour contrer les réductions – y compris une diminution des horaires d’ouverture – afin de faire face aux pertes. Avec une planification responsable, nous avons été en mesure de maintenir une moyenne de service de 6 jours.
Les bonnes nouvelles sont que la situation des bibliothèques a considérablement changé au cours de ces dernières années : le maire, Bill de Blasio et le Conseil de la Ville de New York ont restauré 43 millions $ de financement, sous la forme d’une allocation sur l’année fiscale 2016. Ce fut une grande victoire qui a permis de maintenir les services sur six jours de semaine. Pour l’exercice 2017, les 43 millions $ ont été replacés dans le budget comme un montant de référence, ou, dirait-on, réinstaurés comme un budget permanent pour les bibliothèques. Alors, bien entendu, les coupes peuvent toujours survenir : l’important est que nous n’ayons plus à nous battre pour ces 43 millions $ annuels — désormais, c’est acquis.
Donc, en mobilisant les habitants qui aiment les bibliothèques, en écrivant, par des rassemblements et un soutien démontré, nous avons prouvé notre valeur à la ville (qui fournit la majeure participation au budget de fonctionnement de la branche) et la ville a positivement répondu. Voilà ce que nous devons continuer à faire : planifier de manière financièrement responsable, tout en s’adaptant aux besoins actuels des New-Yorkais.
Nous restons concentrés sur le prêt de livres, nous proposons également des cours d’anglais, de l’aide à la recherche d’emploi, un soutien aux programmes scolaires, des cours et des formations, et beaucoup, beaucoup plus encore. Le public le sait, et comprend que nombre de ces offres totalement gratuites sont irremplaçables. Tant que nous les proposons, le public et notre cité n’auront aucune hésitation à nous soutenir, et nous gérerons et planifierons de façon responsable nos dépenses.
Anthony Marx : Nous avons examiné un certain nombre de facteurs, et décidé de reporter le projet pour la Central Library. Plusieurs raisons, mais la plus importante était l’augmentation des coûts. Et pour être clair, il n’y a jamais eu de projet d’installer un café dans la bibliothèque. En fait, nous offrons déjà du café dans l’établissement, car c’est une chose que nos chercheurs ont demandée. Il y avait le projet d’installer une bibliothèque mobile dans le bâtiment de la 42nd Street, qui est dédiée à la recherche. Nous ne considérons pas ce résultat comme un échec à tous égards. Écouter le public et réévaluer le projet qui avait été annoncé en 2008, avant la crise, était la chose la plus responsable à faire, et l’abandonner était la bonne décision.
Maintenant, nous avons l’intention de rénover totalement la Mid-Manhattan Library, pour donner aux citoyens à ce lieu central l’accès qu’ils méritent. De même que nous projetons d’étendre l’espace d’accueil de la Library de la 42nd Street, en rénovant les lieux pour s’asseoir, ou pour les personnels, de stockage.
Notre équipe d’architectes de renommée mondiale, Mecanoo et Beyer Blinder Belle, y travaille en toute transparence pour entrelacer les approches de tradition et de modernité, ce qui aboutira à des espaces publics étonnants. Alors nous sommes fiers de cette décision, et enthousiastes de cet avenir que nous préparons pour la Bibliothèque, et de ce meilleur service pour nos usagers.
Quant à ces services nouveaux, la bibliothèque doit croître quand c’est nécessaire. Au cours des 10 dernières années, nous avons ouvert ou enrichi six espaces, en nous appuyant sur les besoins de la communauté. Et nous envisageons d’en ouvrir 13 de plus dans les prochaines années. Nous nous efforçons de fournir les services les plus divers au public, afin de maintenir la mission des bibliothèques : l’accès libre à l’information, l’éducation et des opportunités d’avenir.
Anthony Marx - Knight Foundation, CC BY SA 2.0
Anthony Marx : La bibliothèque prête des ebooks depuis de nombreuses années. Le fonctionnement était imparfait, car les usagers devaient télécharger plusieurs applications pour accéder à l’ensemble du catalogue ebook de la Bibliothèque. Et ce, parce que les livres étaient fournis par des sociétés différentes. La consommation d’ebooks augmente – ces 5 dernières années, une croissance de 241 %, avec 2,9 millions de contenus numériques distribués en 2015. La Bibliothèque a alors considéré qu’il était important de lancer une application qui simplifie le téléchargement d’ebooks. Et que d’autres établissements pourraient facilement adapter à leurs propres systèmes.
C’est ainsi que l’on a créé SimplyE. Lancée début juillet, nous en avons déjà constaté les effets : durant la semaine de lancement, nous avons enregistré 52.341 téléchargements, soit 7000 de plus que la semaine passée. Il est encore tôt, mais nous sommes satisfaits des résultats obtenus jusqu’à présent. Notre mission est de fournir des informations dans différents formats, pour le public. SimplyE, est une manière de le faire – de même que de recommander aux éditeurs de garantir aux bibliothèques qu’elles accèdent aux ebooks. Nous ne prêtons pas actuellement de eReader, bien que ce soit un point que nous puissions développer.
Anthony Marx : Nous disposons de notre propre équipe pour la numérisation. Vous pouvez consulter des centaines de milliers d’articles. La bibliothèque a également numérisé 50.000 pages d’un manuscrit américain, dans le cadre d’une subvention de la Polonsky Foundation. C’est un effort considérable, et vous pouvez en découvrir les résultats dans nos archives.
Concernant les licences d’accès, nous faisons en sorte qu’un maximum de ces documents soit accessible au public – autant que possible. Nous détenons le copyright sur plusieurs images et d’autres sont dans le domaine public. Rien que l’an passé, notre équipe juridique a évalué nos collections et pour un grand nombre d’œuvres, on ignorait quel était le copyright. Grâce à leurs recherches, nous avons pu verser environ 180.000 d’entre elles dans le domaine public. Nous nous conformons toujours au droit d’auteur, mais notre première intention est de rendre les œuvres accessibles à des fins de recherche, et la numérisation est un moyen d’y parvenir.
Anthony Marx : J'insiste sur ce point : notre mission est de rendre les œuvres accessibles. Les œuvres orphelines [sous droit, mais dont le titulaire ne peut pas être identifié ou localisé, NdR], sont versées dans notre collection destinée à la recherche – comme dans d’autres institutions. Pour augmenter la disponibilité de ces œuvres, nous avons consacré plus de ressources humaines pour l’examen des droits et conduire des recherches rapides et raisonnables. Trouver les titulaires de droit importe pour notre travail de numérisation de documents et s’assurer d’une utilisation respectueuse.
Pour les œuvres indisponibles, qui sont toujours sous droit, mais plus commercialisées, nous sommes impatients de collaborer avec les ayants droit pour trouver des solutions permettant de rendre ces ressources disponibles pour tous, et d’une façon qui convienne à tous.
Kathleen Cocklin, CC BY 2.0
Anthony Marx : Nous avons pris de nombreuses mesures pour faire en sorte que nos installations et services leur soient accessibles, quel que soit le handicap. Nous avons dépensé des millions de dollars pour adapter nos bâtiments à la législation (l’American Disabilities Act). De même, nous achetons des contenus adaptés aux différents handicaps. Nous hébergeons également des programmes pour les jeunes, les adolescents, les adultes – pour exemple, ces cours proposés aux enfants qui ont un retard de développement, en partenariat avec des écoles.
Nous tâchons constamment d’améliorer nos solutions numériques, pour qu’elles profitent au plus grand nombre possible.
Il faut également noter que, parmi nos structures, se trouvent l’Andrew Heiskell Braille et Talking Book Library. La NYPL est une bibliothèque de premier plan aux États-Unis pour les malvoyants. Elle fournit non seulement la ville de New York, mais également les comtés des environs avec avec des milliers de livres en braille et des livres audio. Elle propose également des cours de technologies et des sessions en tête à tête avec des aides techniques pour aider les malvoyants à utiliser les dernières offres de la bibliothèque, ainsi que toute nouvelle technologie arrivée.
La bibliothèque est disponible pour tous pour la lecture et l’apprentissage. Nous nous efforçons, dans la limite de nos moyens, de faire en sorte que ce soit une réalité accessible à tous ceux qui franchissent nos portes ou nous consultent en ligne.
Anthony Marx : La bibliothèque prend toutes les précautions nécessaires pour assurer la sécurité de ses collections. Bien sûr, c’est un grand défi : d’un côté, nous existons pour garantir l’accès au public, nous sommes, de l’autre, les garants de collections remarquables et précieuses, d’une grande importance culturelle et historique.
Cela dit, sur les quelque 50 millions d’articles, nous n’avons enregistré le vol que d’un très petit nombre. Ces incidents ont eu lieu voilà des décennies. Nous travaillons activement à récupérer des éléments quand nous le pouvons et disposons d’un excellent personnel consacré à la vérification de nos processus de sécurité. Et leur révision si nécessaire.
des chariots de livres qui circulent dans les prisons, pour donner aux prisonniers la possibilité d’emprunter des livres
des groupes de discussions
le programme Daddy and Me, où les pères incarcérés reçoivent un enseignement pour acquérir des compétences de lecture, puis enregistrent des contes pour les enfants. Des vidéos d’eux en train de lire sont proposées à leurs enfants, de sorte qu’ils peuvent entendre leur père faire la lecture, alors même qu’il est en prison
les ateliers de poésie et de performances à l’oral
Le programme que vous évoquez est la première bibliothèque permanente jamais ouverte à Rikers Island. C’est un endroit où les prisonniers peuvent parcourir et consulter des œuvres. Nous avons parlé avec des personnes anciennement incarcérées qui ont pris part au programme. Elles nous ont assuré que les livres leur avaient permis de garder l’esprit en éveil et ouvert en prison, tout en leur assurant une certaine sécurité.
Dans le cadre du Tandem Paris/New York, les bibliothèques patrimoniales et spécialisées de la Ville de Paris organisent une rencontre exceptionnelle avec Mr Anthony Marx, Président de la New York Public Library, à la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville — vendredi 14 octobre 2016 de 13 h 30 à 18 h.
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