En Juillet 2015, j'avais rédigé un article sur Le Journal à quatre mains de Benoite et Flora Groult (lien). Benoite s'est éteinte cet été à l'âge de 96 ans. Hervé avait souligné son talent d'écrivaine, en Décembre 2013, à propos de La part des choses.
Le 18/12/2016 à 09:00 par Les ensablés
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18/12/2016 à 09:00
Au hasard d'une brocante berrichonne, j'ai découvert un livre de Flora, "la cadette blonde, espiègle, coquette.. L'artiste!". Je savais qu'elle aussi avait publié seule, sans jamais avoir lu un de ses ouvrages. Séduite par la mélancolie un peu mystérieuse du titre, j'achetai le bouquin : Un seul ennui, les jours racourcissent.
Par Elisabeth Guichard-Roche
L'histoire est simple et se déroule sur six mois. Lison, styliste quadragénaire, mère de trois enfants vient de se remarier avec Claude, diplomate en Finlande. Elle a quitté sa chère Rive Gauche pour cette contrée nordique et austère en ce mois de Février. Elle a laissé ses trois enfants en France, ne les voyant que durant les vacances. Elle découvre peu à peu Claude qu'elle a épousé presque sur un coup de tête: "avec quelle délicieuse irréflexion elle s'était précipitée dans leur aventure. C'était comme une espèce de cadeau de la vie, quand on aime encore mais qu'on a un peu cessé d'y croire". Elle découvre la vie mondaine des ambassades, rythmée par les soirées. Elle affronte l'incompréhension et même la colère de ses enfants face à son remariage et son choix d'une vie radicalement nouvelle. Lison doute, s'interroge...Est-elle douée pour le bonheur? Elle décide de le construire, et d'oser. Oser ne pas rentrer sur le champs comme lui demande son ex mari lorsque leur dernière fille s'est cassée la jambe. Oser partir avec deux femmes qu'elle connaît à peine pour un voyage en URSS. Oser céder à son attirance pour Sven le temps d'une nuit. Peu à peu, le bonheur s'installe. Lison gagne en confiance aux côtés de son nouveau mari. Les enfants se rapprochent de Claude. Ils admettent sinon comprennent le choix de leur mère. Ils apprécient les vacances d'été en Finlande, découvrant pour certains leur premier amour. Lison savoure cet équilibre patiemment reconstruit.
A l'image de plusieurs ouvrages de Benoite (Mon Évasion, Les trois quarts du temps), ce roman a un côté autobiographique. En effet, comme Lison, Flora a épousé en seconde noce le diplomate britannique Sir Bernard Ledwige qu'elle a suivi en poste en Finlande. Si le récit est simple presque banal, j'ai particulièrement apprécié le tableau du monde diplomatique, la peinture de la Finlande et les réflexions sur le rôle de la Femme. Ces trois thèmes sont abordés avec une plume agile, remplie d'humour et de remarques acérées. A la lecture, j'ai plusieurs fois repensé aux ouvrages à quatre mains et aux écrits de Benoite. Décidément la sonorité est forte entre ces deux dames!
Au fil des pages, Flora démystifie et égratigne l'atmosphère mondaine et luxueuse des milieux diplomatiques. Derrière la légèreté apparente et le tourbillon des soirées, la vie en vase clos se révèle parfois pesante, s'apparentant à une "marmite diplomatique". Les fêtes, week-end et goûters de charité se succèdent comme pour meubler l'ennui. Les épouses rivalisent de luxe et de créativité pour épater et distraire leurs convives parmi des meubles qui ne sont pas les leurs. Ces "bohémiens de luxe" sont pour la plupart arrivés par hasard dans un pays qu'ils n'ont pas choisi avant d'en repartir, souvent brutalement, pour une destination à des milliers de kilomètres. Malgré un métier à temps plein, les épouses connaissent une oisiveté forcée. Les relations de couples se distendent et sont propices aux courtes aventures. Une forme de promiscuité affleure. Lison le décrit avec lucidité: "je n'aime pas l'aspect superficiel de vos vies, ce détachement du cœur, cette obligation où vous êtes d'oublier, pour pouvoir précisément renouer ailleurs d'autres liens, et puis cette pudeur d'admettre que vous travaillez dur. Il y a toujours un petit côté "Congrès de Vienne" dans votre comportement".
La plume de Flora transforme la communauté diplomatique d'Helsinki en une savoureuse galerie de personnages excentriques et un peu paumés. Kaya "une petite femme pâle, de cette pâleur translucide qui donne un éclat si particulier à la peau des Nordiques"; Gunnar qui forme avec elle "un couple agressivement désuni"; Sybil Burton Bruce, une anglaise "menacée avec élégance par une quarantaine proche et qui demeure d'une minceur de page"; son mari Rupert qui "lit les colonnes mortuaires dans le Times, qu'il se réserve pour son premier whisky du soir"; Bob et Mad "des amis de plus de vingt ans; on les jette ou on les garde"; Sven, le beau-frère de Gunnar "une vraie gueule de Viking"; Sylvie la fille de Claude "qui a l'air d'une petite divinité celte, grave et sage"; Ida von Rosenberg qui fut sûrement très belle il y a très longtemps"...
La Finlande constitue une toile de fond sauvage propice à un voyage dépaysant. Le lecteur la découvre hostile en Février, au cœur de l'interminable hiver. "Tandis que les longues plaines identiques se déroulaient dans un ordre dont la monotonie sage déconcertait. De temps en temps une maisonnette de bois peinte en rouge, seule note de couleur dans cet univers noir et blanc, rassurait un instant". Les plaisirs rustiques de la nature se succèdent au rythme des saisons. Ils sont l'occasion de fêtes quasi païennes où l'alcool coule souvent à flot. Les chasses à l'élan meublent l'hiver. Après la battue matinale dans les bois et le dépeçage sanglant de l'animal, le repas réunit l'ensemble des villageois. Moment de convivialité, au cours duquel chacun (sauf Lison) déguste religieusement "l'élan de la semaine passée. Une femelle. Elles sont moins tendres que les mâles, mais celle-ci était très jeune". Premier signal annonciateur de la fin de l'hiver, la fonte des glaces libérant la mer est célébrée rituellement au cours d'une longue nuit, sur une île, entre amis: " le carcan de glace avait éclaté durant la nuit. Heure par heure, jusqu'à l'aube, après avoir atteint son apogée symphonique, le fracas s'était lentement apaisé. Fourbus, brisés par les excès de la nature, les habitants de la cabane se réveillèrent par un temps d'eau et de vent". L'attente du printemps est interminable... avant de céder la place à des jours démesurément longs. "Le petit instant de nuit demeurait si bref qu'à peine avait-on le temps de se mettre à la fenêtre pour observer le semblant d'obscurité qui tombait sur un ciel dont la clarté nocturne gardait un étrange reflet de perle, que la lueur de l'aube colorait à nouveau à l'horizon". C'est enfin la saison des barbecues, de la fête aux langoustines, des ballades en bateau dans les îles.
Les réflexions sur le rôle de la femme sont assurément le fil conducteur que j'ai le plus apprécié. Comment ne pas éprouver de la culpabilité lors d'une virée entre copines? Comme apprécier, sans complexe, une complicité avec un homme autre que son mari? Comment dire non aux demandes exigeantes et souvent inopportunes des enfants sans déclencher un cataclysme familial ? Lison, comme la majorité des femmes, est confrontée à ces choix qui sont autant de contradiction et de renoncement. "Je suis amenée à être tant de personnages divergents et contradictoires qu'il y a toujours l'un d'entre eux qui se rebelle. Les femmes qui sont mères, épouses, et qui ont une carrière, en sont-elles toutes là?" Aidée par sa maturité de quadra "quand le cœur est déjà marqué comme un passeport plein de tampons et de visas et de visages", elle cherche des réponses simples. Sans tomber dans un féminisme exacerbé, elle travaille à "s'endurcir" alliant humour et autodérision.
Au fil des pages, j'ai savouré la pertinence des remarques qui me sont apparues comme autant d'échos de ma propre expérience. Ce commentaire sur le rôle de mère l'illustre avec brio:" C'est vrai, vos enfants se comportent comme vos propriétaires et ils n'ont pas beaucoup d'égards pour leur propriété". Cette réflexion sur les amitiés féminines sonne tout aussi juste: " C'est bizarre, je crois qu'un homme est souvent ombrageux à l'idée des amitiés féminines de sa femme". Et pour finir, cet échange autour de la culpabilité : "Tu te rebelles, mais tu abandonnes tout pour t'occuper de ta fille de quatorze ans qui n'est pas inquiétante. En supplément, tu te tapes un complexe de culpabilité... Mais, je te reprendrais en main à Helsinki...Je t'apprendrai l'égoïsme."
Après des études artistiques, Flora, commence comme journaliste pour le magazine Elle. Comme sa soeur aînée, elle milite en faveur de l'avortement et de l'égalité des sexes avant de se lancer dans l'écriture. Elles écrivent ensemble trois ouvrages: Le Journal à quatre mains 1958, le Féminin Pluriel 1965, Il était deux fois 1967. Flora publie seule une dizaine d'ouvrages parmi lesquels: Le Passé Infini , Le temps s'en va Madame, Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Son premier mari, Michael Pringle, décède en 1981. Remariée avec le diplomate Sir Ledwidge, elle le suit en Finlande, en Israël avant de s'installer à Londres. A la mort de son époux en 1999, souffrant de la maladie d'Alzheimer, elle retourne vivre à Paris où elle s'éteint deux ans plus tard.
Elisabeth Guichard-Riche - Décembre 2016
Un seul ennui, les jours raccourcissent, Flora Groult (1924- 2001). J'ai Lu, 1978.
Par Les ensablés
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